Patrice Canayer (entraîneur-manager du Montpellier handball): "Mes joueurs me manquent"
Patrice, la fédération européenne de handball (EHF) planifie déjà l’après-crise en programmant la reprise de ses compétitions début juin et un Final Four de Ligue des champions fin août, cela vous semble-t-il raisonnable?
Patrice Canayer : "Sincèrement, en ce moment, je trouve ça complètement déplacé de parler de la partie sportive. Dans tous types de crise, il faut avoir le sens des priorités et en ce moment j’en vois deux: comment endiguer ce fléau- parce que c’est bien le mot adéquat- et après ça, comment rebondir et relancer la vie tout court mais aussi la vie sociale, économique? Alors, la formule des compétitions, savoir si l’on va jouer en juin, juillet, août ou septembre, je trouve ça complètement dérisoire et hors de propos par rapport à l’urgence du moment."
Vous vous projetez quand même dans l’après-crise?
PC : "Bien sûr qu’il faut l’anticiper. C’est un travail très compliqué, surtout quand tu n’as pas les données principales en mains et aujourd’hui il y a beaucoup de paramètres que l’on ne maîtrise pas du tout.
Il y a deux choses qui me préoccupent : savoir quand le confinement va se terminer, bien sûr, mais aussi dans quel état physique et psychique on va ressortir de tout ça? Quand on voit le nombre de morts qui augmente de jour en jour... Progressivement on risque d’être tous touchés, directement ou indirectement, par ces drames. Personnellement j’espère que ma famille, mes joueurs, les salariés et les gens qui gravitent autour du club seront épargnés le plus possible."
Le Montpellier handball a été l’un des tout premiers clubs, tous sports confondus, à mettre ses joueurs en chômage partiel, vous aviez anticipé ce confinement longue durée?
PC : "Disons que l’on a un avantage dans notre organisation. Au sein de notre conseil d’administration et de notre comité directeur, il y a des gens très bien informés qui nous ont très vite fait comprendre que l’on n’était pas dans quelque chose de banal et qu’il fallait prendre des décisions fortes. Quand j’ai entendu, au début, des discours disant que les matches à huis clos allaient devenir la norme de notre fonctionnement, ça m’a fait tomber de ma chaise! Comment penser que les joueurs ne risquaient pas de se contaminer sur le terrain? On dit aujourd’hui qu’il faut respecter une distance d’au moins un mètre entre chacun, donc les joueurs auraient été exposés, huis clos ou pas. On parlait même d’éviter le « check hand» (tape dans les mains entre joueurs) au début des matches, c’en était ridicule! Donc oui, à Montpellier, nous avons pris des décisions radicales dès le début sur le plan sanitaire et économique."
Vous êtes vous-même en télétravail. Sur quoi planchez-vous en priorité?
PC : "J’essaie de trouver les solutions économiques et sociales les plus satisfaisantes pour que l’entreprise puisse redémarrer. Il y a 50 salariés au Montpellier handball et donc 50 familles qui vivent autour de cette activité... C’est une vraie responsabilité. Je prends également le pouls de nos sponsors et partenaires qui sont eux aussi inquiets pour l’économie de leur secteur, de la même façon que nous. Des crises, j’en ai connues dans ma carrière mais là c’est d’une autre échelle. Il y a quelque chose d’extraordinaire dans le sens littéral du terme. Est-ce qu’on repartira sur les mêmes bases? Est-ce que l’impact psychologique et économique ne va pas engendrer des bouleversements profonds? Parfois je me dis «allez, dans un mois on est sorti de tout ça! » Mais quand je vois l’ampleur que ça a pris, c’est effrayant... Il va y avoir une phase de récession, c’est certain. Ça ne veut pas dire que l’on ne va pas s’en sortir car on va tout faire pour mais il va falloir aborder cette phase le plus sereinement possible, en ne mettant pas l’aspect social de côté."
Pour un passionné comme vous qui entraînez non-stop depuis 30 ans, le terrain vous manque-t-il ?
PC : "Non, pas vraiment. Je n’ai pas la tête à ça en ce moment. Ce qui me manque, c’est la vie sociale, de voir mes joueurs, d’aller tous les jours au bureau, de discuter avec les salariés, de voir ma famille, mes petits-enfants... Je n’ai pas vraiment envie de me relancer dans de l’activité sportive pour le moment."
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