Cet article date de plus de trois ans.

"Je voulais tout arrêter" : quand les sportifs font face aux blessures mentales

Article rédigé par Théo Gicquel, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Les blessures mentales restent un sujet tabou dans le sport. (TIM MACPHERSON / CULTURA CREATIVE)

À l’occasion de la semaine olympique et paralympique dédiée cette année à la santé, franceinfo: sport s'est penché sur la problématique de la dépression et des blessures mentales des athlètes.

On ne les voit pas, il faut les deviner. Parfois, elles parviennent à s'extraire du cerveau, parfois elles restent invisibles jusqu'à la fin. Mais elles ne sont jamais indolores. La dépression, la souffrance mentale, le burn-out : les blessures mentales tapissent le psychisme de beaucoup d'athlètes. Bien plus difficiles à déceler pour l'athlète lui-même mais aussi pour son entourage, ces vices cachés sont aussi complexes à soigner. Un vague à l'âme qui peut progressivement tirer vers le fond lorsque l'objectif n'est pas atteint ou que la pression médiatique ou personnelle est trop intense.

Ce n'est pas un hasard si les athlètes olympiques sont de ceux-là. Ceux qui ne vivent parfois que pour une heure d'épreuve tous les quatre ans sont sujets à une étreinte de stress encore plus que les autres. Pauline Ferrand-Prévot est passée par là en 2016. Favorite pour le titre olympique en VTT à Rio de Janeiro, la Française a été contrainte à l'abandon. Usée, désabusée, frustrée, la nouvelle championne du monde de cross-country est passée par l'examen mental. "Moralement, je ne voulais plus entendre parler du vélo, car je m'étais fixée comme objectif d'être championne olympique à Rio et que j'ai échoué. Derrière, il faut attendre quatre ans avant les prochains Jeux, ça me paraissait interminable. Ca m'a pris six mois avant de retrouver l'envie de refaire du vélo et de continuer mon métier. Je voulais clairement tout arrêter", nous explique-t-elle. 

Puits sans fond

Mais elle est loin d'être la seule dans le circuit olympique à subir les affres de l'affliction mentale. Martin Fourcade est aussi passé par là, en mars 2019. En panne de résultats, la légende du biathlon français s'était octroyé une pause salvatrice pour soigner son burnout sportif. "Si on m'avait dit que je devrais affronter cette situation, j'aurais cassé quelque chose et là, j'arrive à rester assez calme malgré ces émotions qui sont assez difficiles à vivre", analysait-il avec le flegme qui le caractérise. 

Béryl Gastaldello est allée beaucoup plus bas. Les signes de la dépression surgissent parfois brutalement. "J'ai plongé très, très bas. J'avais une trentaine de tics non stop, pendant deux mois, je ne pouvais même pas parler. On ne peut même pas imaginer : j'étais par terre, je hurlais, j'étais un animal. J'avais complètement perdu le contrôle de mon corps", expliquait la nageuse au Monde il y a un an.

La dépression touche particulièrement les nageurs : Michael Phelps et Ian Thorpe ont été parmi les premiers à révéler leurs troubles mentaux. "Il y en a pour qui les symptômes de la dépression sont moins élevés, dans mon cas, ça a été tellement extrême que je n'ai pas eu le choix : on m'a mise tout de suite sous médicaments, je n'étais pas loin d'être internée à l'hôpital", raconte Gastaldello, quadruple championne d'Europe du relais. 

Cédric Anselin, ancien joueur des Girondins de Bordeaux, a côtoyé Zinedine Zidane et affronté le grand Milan AC dans les années 1990 avant que ses démons ne le rongent, faisant basculer sa vie à la suite de difficultés financières.

"Je ne savais pas vraiment ce qu'il y avait dans ma tête, je savais que quelque chose n'allait pas mais j'avais peur d'en parler. La dépression a grapillé mon cerveau à une rapidité impressionnante", s'était confié à Slate celui qui a depuis remonté la pente au point de faire de la prévention contre la dépression des sportifs au Royaume-Uni.

Parler pour briser le cercle infernal

Tous ceux qui s'en sont sortis le disent : la clé, c'est la communication. S'isoler renforce la douleur, la vacuité parfois illusoire et la bulle de négativité qui entoure l'athlète. Le joueur de NBA Kevin Love est un des premiers à avoir osé laisser entrer la honte à la table des discussions. "C'est difficile d'en parler, d'affronter ça. Il a fallu que je me dise : 'Tu seras confronté à ça toute ta vie, donc comment vas-tu gérer ?' Je sais que, quand les gens recherchent de l'aide et parlent, ça fonctionne vraiment. Pendant longtemps, je ne l'ai pas vu car je pensais ne pas en avoir besoin, qu'il fallait être un homme", expliquait en août 2018 le champion NBA 2016 avec Cleveland.

Le premier pas vers la guérison intervient à la prise de conscience, aussi tardive puisse-t-elle être. "Lorsque le docteur de l'hôpital psychiatrique m'a dit que j'étais sérieusement en dépression, c'est comme si un sac de sable était tombé de mes épaules car je savais ce qui n'allait pas. Ce fut le premier pas pour m'en sortir. Le deuxième a été d'accepter que la dépression est une maladie", se rappelle Cédric Anselin.

Makis Chamalidis, psychologue du sport et coauteur du livre Champions dans la tête  en 2016, précise l'importance de la question du sens pour les athlètes : "Ça renvoie au pourquoi de chaque sportif : pourquoi je fais ce que je fais ? C'est une question existentielle. Si je n'ai pas répondu à mes motivations profondes, ça peut vite s'effriter, et à ce moment-là, on peut être en manque de repères. Ces moments-là se prêtent pour certains à l'isolement là où d'autres vont chercher à évacuer", précise le spécialiste de la préparation mentale.

Les jeunes en première ligne

Parmi les plus sujets à une fragilité mentale, les jeunes athlètes font l'objet d'une surveillance particulière. L'inexpérience et la honte provoquent chez certains un cocktail foudroyant sur leur santé mentale. Adam Silver, le patron de la NBA, a saisi le problème au vol à la suite des prises de parole de Kevin Love mais aussi de DeMar DeRozan et Larry Sanders.

Mais Makis Chamalidis tempère la question de l'âge. "C'est une question d'intelligence émotionnelle avant tout. Un jeune de 17 ans qui a l'intelligence de dire 'J'ai peur' ou 'Je ne sais plus où j'en suis', c'est une preuve d'intelligence émotionnelle, car tu aides l'autre à t'aider. Il y a des sportifs entre 20 et 25 ans qui sont plus pudiques et qui disent que tout va bien, alors que rien ne va", observe le psychologue.

Paradoxe de l'histoire, il n'est pas obligatoire pour tous les sportifs d'être sain mentalement pour arriver à leurs fins sportives. Les exemples de Michael Phelps ou Andre Agassi en sont des témoins vivaces. Les 23 médailles d'or olympiques de Phelps, record jamais égalé, ont été glanées malgré une dépression latente. "J'ai pu réaliser certaines performances incroyables dans les piscines et je me suis battu en dehors. Il y avait une partie de ma vie que je ne souhaiterais pas connaître", expliquait l'Américain à sa retraite sportive, qu'il a dédiée à soutenir cette lutte pour le bien-être mental.

Makis Chamalidis est de ceux qui pensent que les meilleurs ne sont jamais en paix avec eux-mêmes, et c'est justement ce qui les différencie des autres. "Je ne fais pas partie des gens qui disent que pour être très performant, il faut être bien dans sa peau : on ne peut pas monter l'Everest sans souffrir. Si je ne suis pas sur le fil du rasoir, je peux avoir accès à un bon niveau, mais celui qui va être le meilleur prend des risques sur sa vie personnelle, son équilibre mental", précise le psychologue.

Paradis artificiels et rédemption réelle

Avant de s'en sortir, beaucoup passent par la case addiction. Les palliatifs artificiels que sont l'alcool ou la drogue agissent alors comme onguent sur une plaie qui continue à s'ouvrir. "Je suppose qu'il était inévitable que je me sois tourné vers des moyens artificiels pour maîtriser mes sentiments et j'ai trouvé l'alcool", confessait Ian Thorpe.

Cédric Anselin s'est lui aussi tourné vers l'alcool, véritable combustible de désespoir pour les personnes en détresse. "J'ai commencé à boire de l'alcool, la dépression avait complètement pris le contrôle de mon cerveau. Je planifiais mon suicide 30 à 40 fois par jour sans le dire à personne. J'avais peur de sortir car j'avais peur du regard du public." 

"Je planifiais mon suicide 30 à 40 fois par jour sans le dire à personne. J'avais peur de sortir car j'avais peur du regard du public." - Cédric Anselin, ancien joueur de football professionnel

Pour supplanter l'addiction, plusieurs techniques ont vu le jour et notamment le travail du psychisme : la sophrologie, la méditation ou le yoga. "Ces techniques peuvent permettre d'être plus performants : si on intègre dans la méditation une visualisation, soit répéter mentalement une action face à une crainte, cela signifie qu'on va aller de plus en plus vers le 'faire' au lieu du 'j'espère'", précise Makis Chamalidis.

La Covid-19, qui a bousculé tous les repères des sportifs - qu'ils soient liés à l'entraînement ou aux objectifs avec le report des Jeux olympiques - agit pour certains comme un accélérateur d'isolement, et donc de risque d'effondrement mental. "Au lieu que ce soit perçu comme une faiblesse, il faut prendre un angle différent : tu es dans une période de lassitude, de baisse de motivation, quelles peuvent-être les compétences à développer dans ce cas ? Et une compétence à développer se rapproche déjà d'un objectif", positive Makis Chamalidis. "C'est un moment où on peut flancher mais on peut aussi s'élever. C'est l'occasion de se redécouvrir."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.