Jeux olympiques 2022 de Pékin : pour le skieur Kevin Rolland, aller aux JO après avoir frôlé la mort est "une victoire avant même d’avoir commencé"
Kevin Rolland raconte sa reconstruction après sa terrible chute en avril 2019 dans un documentaire intitulé "Résilience".
Au printemps 2019, le skieur Kevin Rolland a fait une spectaculaire chute lors d’une tentative de record du monde. Victimes de multiples fractures et plongé dans le coma, le skieur spécialiste de half-pipe, l’un des plus doués et les plus titrés au monde, va pourtant se relever alors que certains médecins l’annoncent perdu pour le ski. Kevin Rolland va même disputer les Jeux olympiques de Pékin dans quatre mois.
Cette reconstruction, le champion originaire de la Plagne (Savoie) la raconte dans Résilience, un documentaire diffusé pour la première fois le week-end du samedi 2 et dimanche 3 octobre au High Five Festival d’Annecy, un festival qui réunit le milieu de la neige. Kevin Rolland s’est confié à franceinfo.
franceinfo : Votre film s’appelle "Résilience", un mot beaucoup utilisé depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Pourquoi avoir choisi un tel titre pour votre histoire ?
C’est vrai que tout le monde emploie ce mot. Mais me concernant, c’est logique : ça définit exactement ce film. En plus, c’est un mot qui s’utilise aussi en anglais et la résilience transpire vraiment tout au long de ce film.
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Vous aviez commencé à tourner ce film avant votre accident du 30 avril 2019. Pourquoi l’avoir continué après cette chute ?
Depuis que je suis tout jeune, j’ai pour habitude de raconter le ski freestyle, plus que de montrer. J’essaye de raconter l’histoire, quand ça gagne, quand ça perd, quand c’est dur, quand c’est facile. Et là, on me dit : "Ok, on arrête tout, l’histoire est finie." J’ai répondu : "Non, les gars, on continue." Et surtout, ça m’a donné l'objectif de revenir. Cela m’a redonné de l’énergie pour revenir au plus haut niveau.
Je trouvais intéressant de montrer un peu, brut de décoffrage, ce qui s’était passé dans ma vie ces deux dernières années. Il y a eu des émotions très intenses, comme la naissance de mon fils au même moment [sa femme accouche neuf jours après l’accident alors qu’il est dans le coma]. Je ne me suis jamais caché donc j’étais d’accord pour tout déballer. Aujourd’hui, je suis content parce que je me suis rendu compte que ça touchait aussi pas mal de personnes.
Ce film a-t-il agi comme une thérapie également ?
Le fait de me donner cet objectif alors que je suis allongé sur mon lit depuis 45 jours alors que je ne peux pas me lever m’a aidé. Je voulais redevenir une personne normale, ensuite redevenir un skieur et enfin redevenir un skieur professionnel. Le fait de filmer tout ça a appuyé cet objectif. Ça m’a fait du bien.
Dans ce documentaire, on voit les images de l’accident. Personnellement, vous en avez gardé en tête ou c’est le trou noir ?
Je n’ai pas trop de souvenirs mais j’ai des flashs de mon accident. Ce qu’il y a après, forcément je ne m’en rappelle pas car j’étais dans le coma. Avant, je me rappelle de tout.
Et revoir les images de votre chute, qu’est-ce que ça a provoqué chez vous ?
La vérité, c’est qu’on s’y habitue. J’ai revu ma chute rapidement car je suis curieux. Je me suis mis tellement de tartes tout au long de ma carrière que je ne suis pas choqué de me voir tomber. C’est vrai que celle-là est impressionnante mais en travaillant sur ce documentaire, j’ai revu ces images des centaines de fois et ça ne me fait plus grand-chose. Mais bizarrement quand je le regarde avec du monde, j’ai le petit frisson.
À force de les revoir, est-ce que vous prenez encore un peu plus conscience que vous l’avez échappé belle ?
Je n’ai pas besoin de les regarder plusieurs fois pour me dire que je l’ai échappé belle. J’ai eu énormément de chance d’être aujourd’hui ici à échanger avec vous. Ça fait prendre conscience des choses de la vie. Rien de de pouvoir remarcher, c’est incroyable et on ne s’en plus bien compte quand on est valide.
Pendant cette longue convalescence, est-ce que vous vous êtes dit qu’il valait mieux arrêter ?
Ça ne m’a jamais traversé l’esprit. En revanche, les médecins me l’ont dit. J’étais encore un peu en vrac mais je me rappelle de cette petite voix qui me dit : il va falloir penser à faire quelque chose d’autre de votre vie ! Ça m’a fait bizarre parce que mon objectif de remonter sur les skis était tellement intense que de penser qu’il fallait faire autre chose était très compliqué. Sur le moment, je n’arrivais pas à l’envisager. Dès que je me suis réveillé, je pensais déjà à repartir sur le record du monde, c’est comme si j’avais zappé l’étape où j’étais tombé dans le coma.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
Il y a eu deux étapes difficiles. La première a été de rester allongé pendant un mois et demi. La deuxième c’est au moment de réattaquer les tricks, les figures dans les airs, donc de se remettre en danger. Psychologiquement, ça n’a pas été simple. On m’avait prévenu que c’était possible d’avoir des blocages. Et je me suis dit que c’était normal d’avoir peur. J’ai tout repris à zéro, j’ai pris une saison pour moi où je me suis fait plaisir. Je suis parti au Japon sans objectif de résultat sans objectif de performance. Je suis revenu l’hiver dernier avec plein d’envie, le couteau entre les dents. Cette peur psychologique a disparu.
Quel rôle ont joué vos proches, votre compagne et vos enfants ?
C’est l’un des gros sujets du film. Le fait d’être devenu papa en même temps que l’accident m’a sauvé. La période où j’ai eu l’accident a été celle où j’ai été le plus heureux de ma vie. Parce que je suis devenu papa et que j’avais de l’amour à ne plus savoir quoi en faire.
La première fois sur les skis après votre accident, c’était comment ?
C’était très intense car je me rendais compte de la chance que j’avais d’être là, juste de prendre de l’air sur mon visage et de skier. Deux ans auparavant, skier ne me procurait de sensations incroyables, c’était normal. Et là, juste de skier, de me balader dans la montagne, de regarder les oiseaux, c’était incroyable. Ça parait un peu cruche mais c’était vraiment le cas.
Est-ce que ça a changé votre rapport à votre sport ?
En soi pas vraiment si ce n’est que j’ai des enfants que je sais qu’en un claquement de doigts, tout peut d’arrêter. Je ne laisse rien au hasard. Je prends toujours des risques mais en connaissance de cause. Je ne me dis plus : On essaie, on verra bien. Si j’essaye, c’est que je sais que je peux y arriver. Je suis plus réfléchi tout simplement. Je suis un peu moins barjot qu’avant. Enfin, je le suis toujours mais en connaissance de cause ! (rires)
Et votre retour à la compétition en mars dernier lors des Mondiaux, la seule que vous ayez disputée depuis plus de deux ans, comment l’avez-vous vécu ?
C’était incroyable, j’étais de retour et j’étais en finale des championnats du monde. Après tout ce qui m’était arrivé, c’était déjà une victoire, une grande victoire pour moi. Mais la vérité c’est que c’était un peu précipité. En plus, ma chérie allait accoucher, ça a été émotionnellement très dur à gérer. Mais au final ça a été.
Vous êtes en pleine préparation pour les Jeux Olympiques. Est-ce que vous réalisez ?
C’est assez fou. Encore une fois c’est une victoire avant même d’avoir commencé. Mais quand je vais pousser sur les bâtons, c’est pour gagner. Mais cette fois, c’est différent : je sais d’où je viens. Et je viens de très loin.
Résilience de Kevin Rolland devrait être diffusé pour le grand public avant les Jeux olympiques de Pékin en février 2022.
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