JO de Rio : près du Maracana, des Brésiliens "très loin" des jeux
Station Maracana. C'est ici que descend Elisabeth. Cette mère de famille, fonctionnaire, habite juste à côté du stade mythique Maracana. Mais elle n'ira pas au stade. "Non, non, mais je vais peut-être suivre les jeux Olympiques à la télévision. Je n'ai pas les moyens d'acheter un billet, la dernière fois que j'ai regardé le prix pour la finale d'un match de rugby, l'entrée coûtait 300 reals".
300 reals, soit 80 euros c'est près de la moitié du salaire minimum ici au Brésil. Le Maracana fait face aux favelas les plus pauvres de Rio, touchées de plein fouet par la crise. Pour dénoncer l'état de décrépitude de leur lycée, une soixantaine d'élèves occupent cette grande bâtisse beige, défraichie, depuis un mois. Antonio y enseigne la biologie. Il nous montre sa classe : "Dans un espace comme celui-ci, d'environ 35 mètres carrés, s'entassent 60 élèves, deux élèves par mètre carré. Et vous voyez, là, les ventilateurs sont en panne. Les professeurs doivent acheter eux-mêmes les feutres pour écrire au tableau."
Les néons blafards soulignent encore un peu plus la vétusté de la pièce, le plafond percé, la vitre cassée, la peinture écaillée sur les murs. L'air est moite, lourd. "Renommez mon lycée Jeux olympiques et vous investirez enfin ici ! " lit-on sur les affiches placardées dans le couloir. Dans l'auditorium laissé à l'abandon, un professeur donne bénévolement un cours de philosophie à une poignée d'élèves... dont Rafael. "Notre école tombe en ruine, l'auditorium, les classes, les toilettes, on n'a plus d'air conditionné. C'est notre quotidien et ça nous préoccupe, tout comme notre avenir d'ailleurs."
La crise s'invite aussi chez Thiago. Le jeune homme de 17 ans, de grands yeux bruns, préfère l'humour aux larmes. Depuis six mois, sa mère multiplie les ménages pour le nourrir : "Ma mère galère pour payer les transports, remplir le frigo. Maintenant à la maison, on mange du poulet, la seule viande elle est hachée. Et quand il y a de la viande c'est un jour spécial. Youhouuuu il y a de la viande ! Alors autant vous dire que les Jeux olympiques c'est très loin. D'ailleurs ici à l'école, on a écrit une chanson adressée aux politiques qui dit en gros : oublie les Jeux, pense plutôt à notre éducation ! "
"Je suis professeur de biologie depuis 23 ans, et je gagne 2000 reals par mois soit 500 euros..."
Antonio participe à ce mouvement de contestation. Ce quadragénaire à la barbe fournie est lui aussi en grève pour dénoncer la situation des enseignants : "On est toujours payé avec du retard. Le salaire du mois de mars va être versé en deux fois. La première partie au début du mois d'avril, la deuxième devrait l'être en fin de mois ."
Pour s'en sortir, ce père de famille enseigne dans un autre établissement. En tout 60 heures de cours par semaine. Mais il craint que l'Etat de Rio, au bord de la faillite, ne puisse bientôt plus payer les salaires. En un an le nombre de chômeurs a doublé au Brésil et l'inflation a grimpé en flèche, surtout dans l'alimentation. Antonio nous emmène au supermarché situé au coin de la rue, direction les légumes les plus impactés : "Vous voyez ces pomme de terre ? L'un des aliments les plus consommés par les Brésiliens. Il y a 6 mois, elles coûtaient 1 real le kilo, aujourd'hui elles sont à 7 reals, près de 2 euros. Pareil pour l'ail, très utilisé dans notre cuisine, son prix a doublé depuis le mois d'octobre… "
Le long des allées, Antonio pointe le prix du lait qui a triplé, celui du riz et des haricots rouges, deux aliments essentiels ici, qui ont doublé. Ce professeur a dû changer ses habitudes : "Maintenant j'achète du vin et du champagne uniquement pour des occasions exceptionnelles. Je fais très attention à l'augmentation des prix et repère sur internet les magasins les moins chers."
Antonio passe à la caisse. "J'en ai pour 40 reals, un peu plus de 10 euros. J'ai acheté des pommes de terre, du lait, de l'ail, un jus et de la crème... " Il y a 8 mois, il dit qu'il n'aurait payé que "25 reals maximum. "
Face à cette flambée des prix, Antonio fait des coupes sèches dans ses loisirs. Fini le cinéma, les restaurants, les week-ends. Le Brésil a investi 10 milliards d'euros dans ces jeux. Antonio est persuadé que les retombées n'iront pas dans les bonnes poches, en tout cas pas dans celles de l'éducation, de la justice. Le système de corruption mis au jour récemment dans le pays et qui implique notamment des grands noms du BTP pourrait hélas lui donner raison.
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