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Comment Adidas a recalé Michael Jordan, et autres incroyables ratages de sponsors

Les belles histoires, vous les connaissez déjà. Les gros loupés, en revanche…

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Michael Jordan lors du match entre ses Chicago Bulls et le Utah Jazz, le 14 juin 1998, à Chicago (Etats-Unis).  (JOHN W. MCDONOUGH / SPORTS ILLUSTRATED / GETTY)

Le monde du sponsoring sportif est rempli de belles histoires. Prenez Maria Sharapova. La tenniswoman russe avait déjà signé un contrat avec Nike à 14 ans, sans avoir disputé le moindre match officiel. Les couacs, eux, sont beaucoup plus longs à sortir. Le Wall Street Journal (en anglais) a ainsi révélé, lundi 23 mars, qu'Adidas avait renoncé à faire signer un contrat à Michael Jordan lors de ses débuts en NBA, en 1984, sous prétexte qu'il était trop petit (1,98 m tout de même). Et ce n'est pas un cas isolé. 

Michael Jordan, trop petit

Michael Jordan et Adidas, c'est l'histoire d'un rendez-vous manqué. Le basketteur, qui se révèle à l'université de Caroline du Nord avant d'exploser en NBA en 1984, se définit lui-même comme un "dingue d'Adidas". La marque aux trois bandes est la force dominante du marché, et équipe les meilleurs joueurs. Mais personne chez Adidas ne contacte Jordan pour lui offrir un contrat. La décision vient d'en haut. En Allemagne, les pontes d'Adidas ont décidé de sponsoriser en priorité les joueurs les plus grands, comme la vedette de l'époque Kareem Abdul-Jabbar, qui dispose de sa propre ligne de chaussures. Sur le terrain, les représentants d'Adidas aux Etats-Unis se lamentent : "Mais personne ne s'identifie à ces types ! Qui rêve devant un gaillard de 2,15 m ?" raconte l'un d'eux au Wall Street Journal

Le basketteur Michael Jordan, en octobre 2006.  (WALTER LOSS JR / SPORTS ILLUSTRATED CLASSIC / GETTY)

Le téléphone de Jordan sonne uniquement quand Nike l'appelle, et lui propose de développer sa propre marque. Loyal jusqu'au bout envers la marque qui l'a fait rêver, Jordan contacte Adidas et leur demande de s'aligner. En vain. Adidas préfère faire signer Patrick Ewing (2,13 m), la vedette des New York Knicks, qui fera une brillante carrière. Mais qui, contrairement à Jordan, ne vendra pas pour 100 millions de dollars de chaussures à son nom, dès la première année de commercialisation, note ESPN (en anglais)

Armin Hary, trop gourmand

Dans les années 1960, les sportifs qui participent aux Jeux olympiques sont amateurs. En théorie, ils n'ont pas le droit d'accepter d'être payés pour porter des chaussures. Un sprinter américain, qui participe aux Jeux de 1964 à Tokyo, raconte dans le livre Sneaker Wars (en anglais) : "Je me souviens de scènes dignes d'un film de James Bond. A Tokyo, un agent d'une marque de chaussures se rendait aux toilettes, laissait une enveloppe sur la cuvette. Je m'y rendais juste après lui." Certains champions trouvent dans leur vestiaire plusieurs enveloppes, et font leur marché entre Puma, Adidas et Onitsuka. 

Et il y a Armin Hary, le sprinter allemand, premier homme à avoir couru 100 mètres en 10 secondes. Ce record se produit opportunément à quelques mois des Jeux de Rome, en 1960. Adidas, qui détient alors 80% du marché, lui propose de devenir le distributeur exclusif de la marque aux Etats-Unis, avec 10 000 paires de chaussures en guise de fonds de commerce. Une seule condition : qu'il devienne champion olympique. Armin Hary maugrée, et réclame de l'argent. Refus catégorique d'Adidas. On ne plaisante pas avec l'interdiction des primes de sponsors.

Dans les tribunes du stade olympique de Rome, juste avant la finale du 100 mètres, le grand patron d'Adidas, Adi Dassler, blêmit quand il découvre Armin Hary avec une paire de Puma aux pieds. Puma, la marque fondée par Rudolf Dassler, son propre frère. Hary décroche l'or olympique, en 10"2, survolté par la prime de 10 000 marks promise par Puma. Mais juste avant de monter sur le podium, il chausse sa vieille paire d'Adidas, espérant toucher la prime promise par l'autre marque allemande. En vain. Hary continuera à travailler avec Puma, où il hérite rapidement du surnom de "celui qui bouffe à tous les râteliers", raconte le livre Pitch Invasion (en anglais).

Pelé, trop malin

L'épilogue de la guerre Adidas-Puma se joue lors de la Coupe du monde 1970, au Mexique. Les deux marques rivales ont décidé d'un pacte de non agression concernant la plus grande star du football, Pelé, qui joue dans des chaussures de la petite marque Stylo. Puma dépêche sur place un reporter allemand, Hans Henningsen, proche des joueurs. Il les démarche jusque dans le vestiaire pour leur faire signer un contrat. Tous, sauf Pelé, qui s'agace de la situation. "Pourquoi tu n'essaies pas de me faire signer un contrat ?" lui demande "le Roi". Henningsen prend l'initiative, lui offre 25 000 dollars pour cette Coupe du monde et 100 000 pour les quatre années suivantes. Prévenue en urgence, la direction de Puma acquiesce. Tant pis pour le "pacte Pelé", tant pis pour Adidas, relate le livre Sneaker Wars (en anglais).

D'autant plus qu'Henningsen a prévu un bonus. Il a convenu avec l'avant-centre brésilien qu'au moment du coup d'envoi de chaque match du Mondial, Pelé demanderait quelques secondes à l'arbitre pour refaire ses lacets. Ce happening publicitaire réussit au-delà de toute espérance. La plupart des réalisateurs se fendent d'un gros plan de Pelé agenouillé sur ses crampons Puma. 

Carl Lewis, trop timide

L'affaire est restée dans l'histoire sous le nom du "saut jamais tenté". Archifavori des Jeux olympiques de 1984 à Los Angeles, Carl Lewis survole l'épreuve du saut en longueur. Assuré de la victoire, il lui reste une dernière tentative pour tenter de battre le record du monde. Mais Carl Lewis ne se rend pas sur le sautoir, et préfère rester bien au chaud dans son survêtement. Il expliquera avoir voulu éviter tout risque de blessure : "Je suis là pour gagner des médailles pour les Etats-Unis, pas pour battre des records du monde pour ma gloire." Ce refus de sauter n'améliore pas ses relations exécrables avec la presse. Beaucoup de journalistes déplorent son côté froid et calculateur, certains fustigent sa supposée homosexualité au point de le surnommer le "Flying Faggot" (qu'on pourrait traduire par "le pédé volant"). Dans les tribunes du stade olympique, Paul Schrage, directeur marketing de McDonald's, se souvient, quatre ans après, dans le Los Angeles Times (en anglais) : "Il serait dans une position marketing totalement différente s'il avait pris ce saut. J'y étais, et je me souviens encore du sentiment de déception que le public a ressenti." 

Son agent avait prédit que Lewis deviendrait le Michael Jackson de l'athlétisme après ces Jeux, mais c'est l'inverse qui se produit. Petit à petit, tous ses sponsors lâchent Carl Lewis, quadruple médaillé d'or. Y compris Nike, officiellement parce qu'il porte des survêtements où la virgule figure en trop petit. Un des représentants de la marque sera plus direct, rappelle le Guardian (en anglais) : "Si vous êtes un athlète masculin, je pense que le grand public veut que vous ayez l'air macho."

Carl Lewis lors de l'épreuve de saut en longueur aux Jeux de Séoul (Corée du Sud), le 26 septembre 1988.  (TOM DUFFY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Juste avant les Jeux de 1988, Carl Lewis n'a plus qu'un sponsor américain, Lustrasilk, des soins pour cheveux visant le public afro-américain. Il faudra attendre les Jeux de 1992 pour que l'athlète redevienne hype. Sa victoire sur la distance reine, face à de jeunes concurrents aux dents longues, lui redonne un statut bankable. "Un athlète vieillissant qui lutte contre des jeunes représente une belle histoire, et dispose d'un superbe potentiel marketing", explique alors à Bloomberg (en anglais) Jim Andrews, de Special Events Report, une agence qui aide les athlètes à trouver des sponsors. Nike ne récupère Carl Lewis dans son giron que pour ses derniers Jeux, à Atlanta en 1996, où il ajoutera une neuvième médaille d'or à son incroyable palmarès. 

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