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Criminalité galopante, bétonisation, sentiment d'abandon... Les JO ne font pas de quartier à Ramos

Pour les habitants de ce quartier pauvre de Rio, les retombées des Jeux olympiques sont inexistantes. Pire, l'organisation de la compétition a dégradé leurs conditions de vie.

Article rédigé par Pierre Godon - Envoyé spécial à Rio de Janeiro (Brésil),
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des maisons taguées au centre du quartier pauvre de Ramos, au nord de Rio de Janeiro (Brésil), le 14 août 2016. (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

"Vous voulez vraiment venir ? Parce que comme on est juste un quartier pauvre, et pas une favela, ni le parc olympique, on n'intéresse pas les journalistes..." Voilà la première réaction d'Hugo Costa, lorsqu'on lui demande de nous faire visiter le quartier populaire de Ramos, où il habite. Dans le civil, Hugo travaille dans le système de santé, mais sa vraie passion reste l'urbanisme. Diplômé de la spécialité, il n'a pas trouvé d'emploi dans cette branche, "parce qu'au Brésil, on n'a pas besoin de penseurs, vous savez".

"C'est comme dans 'Robocop' : les riches en haut, les pauvres en bas"

A vol d'oiseau, Ramos n'est qu'à 10 km du centre de Rio, où se trouvent notamment la gare Central do Brasil et le mythique stade Maracana. Mais c'est comme si deux mondes coexistaient sans se rencontrer. Pour se rendre dans ce quartier situé au nord de la ville, comptez un train de banlieue toutes les heures (au mieux) le week-end. La semaine, ils ne fonctionnent qu'aux heures de pointe, pour amener la main d'œuvre bon marché dans les quartiers riches, et la faire disparaître à la nuit tombée. Quand on sort de la gare de Ramos, on trouve partout des rideaux tirés sur les devantures des commerces, et des panneaux "à vendre" défraîchis sur la plupart d'entre eux.

La gare de Ramos, quartier du nord de Rio de Janeiro (Brésil), surplombée par la voie rapide du Transcarioca, le 14 août 2016. (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

En levant la tête, une voie rapide surplombe la gare. Voilà l'héritage des Jeux olympiques, le Transcarioca, qui passe au-dessus de Ramos, sans s'y arrêter. Et avec un peu de chance, les visiteurs venus de l'aéroport international Tom-Jobim ne regarderont pas en bas par la fenêtre de leur véhicule. "Lors de l'inauguration, le gouverneur et le maire se sont arrêtés, ont posé pour la photo officielle, avant de repartir aussi sec, se souvient Hugo. Nous, on était en bas. Ils ne nous ont pas jeté un regard. C'est comme dans Robocop, les riches en haut, les pauvres en bas."

La moquette rapiécée du terrain de foot

En guise de retombées, les (rares) poumons verts de Ramos ont été impitoyablement bétonnés. "Les organisateurs parlent d'héritage environnemental pour les Jeux. Ici, ils ont tout détruit, ont replanté cinq arbres, et ensuite, on ne les a plus jamais revus", dénonce Hugo. Quelques pousses chétives permettent de donner un semblant d'ombre à la place principale. "Près de 7% de la surface de Ramos est végétale. Je vous laisse imaginer ce que ça donne quand ça tape l'été." En ce matin d'août (en plein hiver donc), il fait 28°C alors qu'il n'est que 10 heures. "A comparer avec les 50% de surfaces vertes de la zone sud...", conclut l'urbaniste, implacable. 

Le terrain de foot municipal de Ramos, quartier du nord de Rio de Janeiro, et sa moquette rapiécée, le 14 août 2016. (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

L'unique terrain de foot du quartier a été raboté de moitié pour laisser la place à une station de bus. Ne cherchez pas d'herbe, encore moins un gazon synthétique. La touche verte du terrain vient d'une moquette verte rapiécée. Ce n'est même pas la mairie qui l'a posée, mais Chico, qui tient la buvette voisine – quelques tables de plastique, un frigo fatigué, et des clients qui sirotent une bière fraîche. Voilà pour le département "espaces verts et loisirs" de Ramos. "Mes enfants jouent à l'intérieur. Je ne les laisse pas aller dehors", confesse Hugo. On cherche, en vain, un touriste, qui pourrait s'être laissé tenter par l'école de samba Imperatriz Leopoldinense, qui a sa petite notoriété.

Les autorités essaient même de lancer des écoles de samba dans la zone sud, pour décourager les derniers visiteurs de venir.

Hugo Costa, habitant du quartier Ramos

à francetv info

Hugo Costa à la gare de Ramos, un quartier pauvre de Rio de Janeiro (Brésil), le 14 août 2016. (HUGO COSTA / DR)

Un mur pour se protéger des junkies

Pourquoi être venu s'installer ici dans ce cas ? "Ma femme a grandi dans le quartier. Elle m'a convaincu de lâcher notre petit appartement à Tijuca, pour une maison ici." Leur logement fait partie d'un petit complexe protégé par des grilles et surveillé par un garde 24 heures sur 24.

La situation s'est considérablement dégradée en quelques années. On peut lire ça et là des graffitis désespérés. "Ramos, là où les faibles n'ont aucune chance", "le Brésil sans aucun respect pour les travailleurs"... Sous les immenses arches de la voie rapide, sans-abris et junkies se sont installés, forçant les riverains à se cotiser pour bâtir un mur entre leur domicile et ce "no man's land".

Un graffiti sur un mur du quartier de Ramos, à Rio de Janeiro : "BRT : Brésil sans aucun respect pour les travailleurs". (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

Ramos passe progressivement sous la coupe des favelas environnantes. Sur la colline voisine, le Complexo do Alemao, à la réputation (méritée) de véritable coupe-gorge. Y règne un parrain de la pègre qui étend son influence – et le racket qui va avec – jusqu'en bordure de Ramos. De l'autre côté, la redoutable favela Maré, qui s'est bâtie autour de la piscine d'eau traitée, créée par le gouvernement pour permettre aux locaux de se baigner, vu que la mer, en baie de Guanabara, est souillée par les rejets d'égouts. Pour faire trempette, il faut donc compter 1h30 de transports en commun pour aller à Copacabana, deux heures pour se rendre à Barra de Tijuca. Autant dire que personne n'en profite. "On est cernés par les favelas. Nous sommes prisonniers ici", résume Hugo.

"La criminalité a doublé ici, et personne n'en parle"

Et ne comptez pas sur la police pour rétablir l'ordre. "Les policiers ? On ne les voit plus depuis le début des Jeux olympiques. Ils ont tous été transférés dans les zones touristiques. La criminalité a doublé ici, et personne n'en parle. Tout ce qui nous reste, c'est une petite unité de la police municipale." Rien à voir avec les cow-boys à moto qui filent sirènes hurlantes et pistolet à la ceinture sur l'Avenida Atlantica de Copacabana pour protéger toute voiture officielle. 

On cherchera aussi, en vain, toute référence aux anneaux olympiques à Ramos – alors que le quartier était prévu comme hôte du village et du parc olympiques lors de la candidature avortée de Rio aux Jeux de 2004. Les habitants qui ont pu assister à des épreuves se comptent sur les doigts d'une main. "Les billets les moins chers étaient à 30 reals - environ 10 euros, constate Hugo. Avec cette somme, des familles parviennent à vivre une semaine entière. Alors les Jeux, on les regarde à la télé, comme s'ils se déroulaient à Pékin."

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