"Géant vert", Montesquieu et déceptions : après trois ans de vague à l'âme, le "squale" Yannick Agnel vise l'or à Rio
Le nageur français prendra le départ des séries du 200m nage libre, dimanche. Dans l'espoir de décrocher une nouvelle médaille d'or, quatre ans après celle de Londres.
Un peu plus, et Yannick Agnel ne décrochait pas sa qualification individuelle pour Rio ! Le double champion olympique a été repêché de justesse par la Fédération française de natation (FFN) pour participer aux Jeux olympiques, après un cafouillage sur les résultats des championnats de France à Montpellier (Hérault). Un épilogue heureux mais laborieux, qui s'ajoute à trois années de doutes et de résultats en demi-teinte pour Yannick Agnel.
Il y a quatre ans pourtant, à Londres, personne n'aurait imaginé un tel scénario pour celui qui s'est lui-même surnommé "le squale des piscines". Mais ne retenir que ce passage à vide dans la carrière de Yannick Agnel serait pourtant injuste.
>> JO 2016 : le programme complet des épreuves de natation
Des courts de tennis à la piscine
Le nageur, prénommé "Yannick" en hommage à Noah, aurait pu avoir une toute autre carrière sportive. Il commence par jouer au tennis, comme son père, jusqu’à ce qu’un voisin remarque ses aptitudes pour la natation alors qu’il barbote dans la piscine. A seulement 8 ans, il troque ainsi sa raquette pour un slip et un bonnet de bain. Brillante initiative : dès son premier âge, Yannick Agnel finit en tête de sa toute première compétition.
Sa grande taille (le nageur mesure aujourd'hui 2m02) est très vite un atout dans les bassins. Mais elle lui rend aussi la vie difficile à l'école. "Girafe", "géant vert", "tour de contrôle"... Yannick Agnel collectionne les surnoms péjoratifs. Des années plus tard, il continue de les entendre "trente à quarante fois par jour", assure le nageur à L'Equipe. "Ce n'est pas gênant parce que ça fait partie de moi. Je l'accepte. Ça me fait plus rire qu'autre chose."
Quand on est grand, les autres te font rapidement savoir qu'il y a une différence. Ça se fait d'une manière très enfantine : on va te mettre à l'écart. Je l'ai mal vécu.
Cette maturité, Yannick Agnel assure l'avoir acquise très vite. Alors qu'il quitte sa famille à 14 ans pour s'entraîner à l'Olympic Nice natation, le divorce de ses parents, difficile à vivre, l'oblige à "se forger un mental, une combativité". "Tout ça fait mûrir, on devient responsable", assure-t-il à Libération.
Mais à en croire son entraîneur de sept années, Fabrice Pellerin, Yannick Agnel garde malgré tout "un côté grand bébé". "Je dois toujours lui dire ne pas oublier son maillot, sa carte d’identité, expliquait le coach à la Voix du Nord, en juillet 2012. C’est un garçon qui pense à 3 000 km/h, il s’intéresse à tout ce qui touche aux génies, que ce soit en maths ou en musique. (...) Le plus difficile, c’est donc de le maintenir concentré sur sa nage."
L’intello des bassins
Lorsque les journalistes découvrent Yannick Agnel aux JO de Londres, en 2012, ce côté "génie" ne passe pas inaperçu. Le "squale" refuse de "végéter au niveau intellectuel". Il réussit d'ailleurs aussi bien dans les bassins qu’en cours. Après avoir décroché un bac S avec mention bien, Agnel, passionné de politique et de littérature, pense à Sciences Po. Il débute finalement des études dans une école de commerce. Et lorsque Reuters lui demande où il puise sa motivation, il répond en citant Montesquieu.
"La gravité est le bonheur des imbéciles". C'est ma phrase préférée, elle est de Montesquieu. Les gens prennent trop les choses au sérieux. Moi, je prends du plaisir à nager.
Au bord des bassins, ses goûts éclectiques se font également remarquer en chambre d'appel. Quand la plupart des sprinteurs préfèrent se mettre en condition avec du rap, lui préfère entonner des chansons de Barbara, pour déconcentrer ses adversaires, selon Rue89.
Difficile de savoir si L'Aigle noir est pour beaucoup dans la réussite de Yannick Agnel. Mais en 2012, le nageur survole les Jeux olympiques de Londres. Il décroche d'abord l'or en relais 4x100 m nage libre, avec ses coéquipiers Clément Lefert, Amaury Leveaux et Fabien Gilot, le 29 juillet 2012. Le lendemain, il devance de presque deux secondes le Sud-Coréen Taewhan Park et le Chinois Yang Sun en finale du 200 m nage libre. Un deuxième titre olympique que Yannick Agnel espérait décrocher. "Hier soir, je me suis dit que je pouvais peut-être ne pas me contenter d'une seule médaille... Et j'ai réussi", lance-t-il à L'Express.
La déception américaine
Après chaque titre olympique, Yannick Agnel partage sa joie avec son entraîneur Fabrice Pellerin. Mais un an plus tard, c'est la rupture. Le nageur veut quitter l'Olympic Nice natation. Il évoque "un point de non-retour" avec son coach. "Ce qui manquait sur Nice (...), c'est la chaleur humaine, le partage, la sincérité. (...) Des choses que Fabrice [Pellerin] a volontairement voulu élaguer, explique alors le nageur à 20 Minutes. J'ai besoin de me lancer sur autre chose. Un nouveau projet."
La nouvelle aventure démarre outre-Atlantique. Yannick Agnel part s'entraîner à Baltimore (Maryland) sous la houlette de Bob Bowman, l'ancien coach de Michael Phelps. Si la légende américaine de la natation est connue de toute la ville, le nom du Français, lui, ne signifie rien pour ses nouveaux voisins. Certains vont jusqu'à demander aux journalistes qui est ce nageur auxquels ils s'intéressent, raconte France Inter.
Yannick Agnel se sent "extrêmement bien" à Baltimore, où "l'atmosphère est au top". Mais côté sportif, le "squale" déchante vite. La méthode quasi militaire de son nouveau mentor, qui repose plus sur des entraînements intenses que sur la technique, "ne convient pas" au Français.
A peine un an et demi après son départ, Yannick Agnel décide donc de revenir dans l'Hexagone. "Les résultats sportifs, la préparation, la méthode en elle-même, n'étaient pas adéquats, notamment au vu de tout ce que j'avais fait avant, de mes expériences passées", explique-t-il alors à RTL.
Le "squale" ne veut pas être enterré trop vite
Nouveau changement d'entraîneur : cette fois, il s'agit de l'ancien directeur technique national de la natation française, Lionel Horter. "C'est le choix qui est le plus apte à me préparer de la meilleure des façons en vue des Jeux olympiques de 2016", assure Yannick Agnel à la radio. A Mulhouse (Haut-Rhin), le nageur recommence à s'épanouir. "Ça va de mieux en mieux dans l'eau, affirme-t-il à Eurosport. Je sens que quand je nage, la technique est différente, je suis moins à la Rambo."
Mais les résultats se font attendre. Il peine à s'imposer face à son compatriote Jérémy Stravius lors de l'épreuve du 200 m nage libre des championnats de France en petit bassin de novembre 2015, à Angers. Dans les couloirs, on s'interroge sur son niveau, rapporte Libération. Mais Yannick Agnel se veut rassurant.
Je n'écoute pas les gens, mais si je n’avais qu’une seule chose à leur dire, ce serait : ne m’enterrez pas trop vite.
Six mois plus tard, Yannick Agnel semble en effet amorcer son retour à son meilleur niveau. Si le relais 4x200m français n'obtient que la 5e place aux championnats d'Europe de Londres, le nageur signe le 7e temps de la compétition. "C’est un 200 qui me plaît énormément parce que je le gère d’une manière tout autre qu’aux championnats de France, estime le nageur, interrogé par Le Républicain Lorrain. C'est vraiment positif."
"Je suis fait pour être un guerrier"
Entre deux longueurs, Yannick Agnel trouve le temps de s'improviser chroniqueur cinéma. Le nageur a lancé une chaîne Youtube avec la Liberty, la fille de Lionel Horter, fin avril. Il y commente (occasionnellement) les dernières sorties sur grand écran. Ne croyez pas pour autant qu'il délaisse la natation : la dernière vidéo de Galaxie Liberty dévoile l'entraînement (parodique) de Yannick Agnel pour les Jeux olympiques.
Yannick Agnel a visiblement retrouvé le sourire, et pas uniquement sur Youtube. "Il y a eu un déclic après les championnats de France, où j’ai vraiment décidé de prendre la vie du bon côté, d’être à fond dans ce que je fais. De ne rien lâcher, de ne rien regretter surtout", confie-t-il au Figaro, à la veille du début des Jeux olympiques.
Après trois ans de traversée du désert, le "squale" a balayé tous ses doutes. "Un beau matin, je me suis levé et me suis dit : 'de toute manière, je suis fait pour ça, je suis fait pour être un guerrier, avoir l’œil du tigre, m’amuser, jouer en compétition avec les autres et vivre ces moments-là en y prenant un max de plaisir'", assure-t-il. Avec l'or en ligne de mire : "Mon objectif à Rio ? Etre champion olympique". Chiche ?
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