Orpheline, handicapée, marathonienne, skieuse : la prodigieuse Tatyana McFadden
C'est l'histoire d'une petite fille abandonnée à la naissance qui a tout gagné aux Jeux paralympiques d'été avant de se qualifier pour Sotchi en pratiquant le ski de fond pendant... une semaine.
"I love, love, love, love, love to race." Vraiment, l'Américaine Tatyana McFadden adoooooore ce qu'elle fait. Cette championne paralympique va participer pour la première fois aux Jeux d'hiver, à Sotchi, du 7 au 16 mars, en ski de fond. Avant cela, elle a survolé les Jeux paralympiques d'été, en remportant dix médailles, du 100 m au 1 500 m. Et quand vous aurez lu son incroyable histoire, Usain Bolt vous paraîtra comme un petit joueur.
Elle marche sur les mains, faute de fauteuil roulant
Tatyana McFadden naît à Saint-Pétersbourg, en Russie, en 1989. Les choses se gâtent rapidement : ses parents l'abandonnent dès sa naissance. La fillette souffre de spina bifida – une malformation de colonne vertébrale et de la moelle épinière – qui la prive de l'usage de ses jambes. Les médecins hésitent. Quand ils se décident à l'opérer, trois semaines après sa naissance, il est trop tard. L'orphelinat où atterrit Tatyana McFadden ne roule pas sur l'or. Pas d'argent pour des crayons de couleur, encore moins pour un fauteuil roulant. La petite fille grimpe les escaliers avec les mains jusqu'à l'âge de 6 ans. En 1994, l'orphelinat reçoit la visite d'une responsable du ministère de la Santé américain, Deborah McFadden, qui dirige aussi l'International Children's Alliance, une association qui vient en aide aux orphelins.
"Je n'avais aucune intention d'adopter un enfant quand je me suis rendue dans cet orphelinat, explique cette dernière sur le site de la fondation Christopher Reeve. Encore moins une enfant de 6 ans, sans parler d'une handicapée." Pourtant, quelque chose se passe entre Deborah et Tatyana. Les deux repartent ensemble pour Baltimore, sur la côte est des Etats-Unis. "Les médecins ne lui donnaient pas deux ans à vivre", poursuit-elle.
Elle a 15 ans lors de ses premiers Jeux paralympiques
Deborah et Tatyana habitent ensemble, mais ne parlent pas encore la même langue. La petite fille ne cesse de répondre à sa mère adoptive, qui lui propose de faire du sport pour se renforcer : "ya sma". "Je suis capable de le faire moi-même." Tatyana touche à tous les sports : athlétisme, natation, basket. Et s'impose rapidement comme une athlète d'élite. Elle n'a que 15 ans quand elle est envoyée aux Jeux paralympiques d'Athènes (Grèce), où elle décroche deux médailles sur 100 m (bronze) et 200 m (argent).
Marty Morse, ancien entraîneur des athlètes handisport à l'université d'Illinois où elle étudie, explique au Washington Post (article en anglais) la formidable progression de la jeune femme : "Tatyana, quand elle était bébé, rampait partout, en utilisant uniquement ses bras. Elle a développé une densité osseuse incroyable dans le haut du corps. Et vous pouvez passer toute votre vie en salle de gym : vous n'atteindrez pas la force qu'elle a dans les triceps."
Appelez-la "The beast"
N'empêche. Tatyana a beau être un prodige, elle n'en demeure pas moins marginalisée dans son lycée. Lors d'un meeting, en 2005, elle veut s'aligner avec les valides sur un 100 m. Refus des organisateurs, qui lui demandent de courir toute seule, puis de laisser la place aux valides. Ecœurée, Tatyana porte l'affaire en justice. Son combat devient médiatique. "C'était très dur d'aller aux compétitions, de se faire siffler, de recevoir des lettres haineuses et d'avoir des paparazzis devant la maison", se souvient-elle, dans le Washington Post (article en anglais). Elle tient bon, et gagne : la loi qui découle du verdict s'appelle même la Tatyana's Law, et dispose que les athlètes handicapés ont le droit de s'aligner contre les valides en compétition.
Quatre médailles aux Jeux paralympiques de Pékin plus tard, Tatyana McFadden s'aligne, pour voir, au marathon de Chicago, en 2009. Histoire de se tester sur la distance. Test plus que concluant : elle remporte la course. Le début d'une histoire d'amour entre Tatyana et les 42 kilomètres, malgré quelques désillusions à cause des crevaisons de son fauteuil roulant. Sa vélocité lui vaut un surnom : "The beast", la bête. "Au début, je n'étais pas très contente, confie-t-elle au Guardian (article en anglais). C'est quand même très masculin. Mais c'est resté. J'en ai hérité après ma première victoire en marathon, à cause de ma force et de ma vitesse dans les montées."
Championne de ski de fond après huit jours d'entraînement
En 2013, elle a réussi l'exploit de remporter les quatre marathons les plus durs, l'équivalent du Grand Chelem au tennis : Boston, Chicago, Londres et New York. Ce qu'aucun athlète, valide ou non, n'avait réussi avant elle. "D'habitude, les années post-paralympiques sont plutôt calmes, s'amuse McFadden sur le site du mouvement paralympique. Enfin, cette année, ce n'était pas trop le cas !" Tatyana boucle ses courses en moins de 2 heures, un meilleur temps que les meilleurs valides, fauteuil roulant aidant. "Elle fait du 26 km/h", s'enthousiasme son entraîneur, Adam Bleakney, sur NBC (article en anglais).
Des qualités qui lui ont donné des idées. Après avoir tout raflé aux Jeux paralympiques de Londres – trois médailles d'or sur 400, 800 et 1 500 m – Tatyana s'est lancé le défi de briller aux Jeux d'hiver. Les débuts sont prometteurs : après huit jours d'entraînement, elle remporte le titre américain en sprint de ski de fond, début 2013. Oui, huit jours. Tatyana McFadden a tellement impressionné ses entraîneurs qu'elle s'est laissé convaincre de s'aligner également en biathlon. "Le coach est venu me voir et m'a dit : 'tu es la personne idéale. Tu as le corps pour ça. Tu as la force et tu as l'endurance. Tout ce qu'on doit faire, c'est t'enseigner la technique'", raconte-t-elle à ESPN (en anglais).
Les Jeux de Sotchi résonnent particulièrement pour la jeune femme, qui aura l'occasion de briller dans son pays d'origine. Tatyana McFadden a déjà fait parler d'elle deux fois dans le pays. En 2011, pour s'opposer à la loi interdisant aux couples américains d'adopter des enfants russes, promulguée par Vladimir Poutine. Un an plus tôt, elle était retournée dans son orphelinat de Saint-Pétersbourg. Elle avait offert sa médaille d'or reçue au marathon de New York cette année-là à l'institution. "C'était une façon de leur dire merci", a-t-elle commenté sur ESPN. Sa mère adoptive, interloquée, lui a demandé une fois la visite finie si elle ne regrettait pas d'avoir donné sa précieuse médaille. La réponse de Tatyana a fusé : "Ne t'inquiète pas, maman. Il y en aura d'autres."
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