JO 2016 : Aries Merritt, le miraculé du 110 m haies qui a raté la qualification aux Jeux de Rio pour un centième
Le champion olympique en titre n'a pas pu participer aux Jeux de Rio, après avoir raté la qualification d'un centième. Mais c'est déjà un exploit que cet athlète américain, transplanté du rein en septembre, puisse encore courir à ce niveau.
Un centième. C'est tout ce qui sépare Aries Merritt des Jeux olympiques de Rio. Samedi 9 juillet. Le champion olympique en titre du 110 m haies erre, sous le choc, sur le tartan du stade Hayward Field de Eugene (Oregon, Etats-Unis). Il vient de terminer 4e de la finale des sélections américaines, et de rater, de fait, la qualification pour les JO. "J'avais l'impression d'être deuxième ou troisième", avoue Aries Merritt au Washington Post (en anglais).
La déception est de taille. Car le champion olympique ne rate pas seulement l'occasion de défendre son titre. Il perd aussi un incroyable pari qu'il s'était lancé l'été précédent : décrocher son ticket pour Rio, dix mois après avoir subi une transplantation du rein.
Maîtriser la discipline "la plus impitoyable" de l'athlétisme
Aries Merritt a découvert le 110 m haies presque "par hasard". "Jeune, je passais beaucoup de temps à courir, raconte-t-il à francetv info. A l'école, vers 10 ans, on m'a proposé d'essayer l'athlétisme." Il commence par le 100 m et le 400 m. Des classiques du genre. Jusqu'à ce que son entraîneur le voie un jour sauter une barrière. "Il m'a dit que j'allais faire du 110 m haies, donc c'est ce que j'ai fait !", poursuit l'athlète dans un éclat de rire.
La suite ne doit rien au hasard. Aries Merritt est déterminé à maîtriser "la discipline la plus impitoyable" de l'athlétisme. Il s'entraîne toujours plus, dans le but d'obtenir une bourse d'entrée dans une université. "Ma famille n'avait pas forcément beaucoup d'argent, donc je savais que c'était le seul moyen pour moi de faire des études supérieures, explique-t-il. A la maison, il fallait travailler pour avoir ce que l'on voulait. Ça m'a appris à être persévérant dans tout ce que je faisais."
Et ça paye : Aries Merritt décroche une bourse, et devient professionnel. Une fierté pour celui qui peut désormais aider sa famille financièrement. Mais ses proches sont loin d'être sa seule motivation. L'Américain est un homme de challenge, un compétiteur qui aime se dépasser jusqu'à réaliser l'exploit.
L'or aux JO de Londres, "sans pression"
Le premier exploit se produit aux Jeux olympiques de Londres, en 2012. "J'y suis allé sans pression : je n'avais pas encore gagné de titre, je voulais juste faire mes preuves, se remémore Aries Merritt. Si j'avais eu le bronze ou l'argent, ça aurait déjà été une victoire car je voulais juste vivre pleinement l'expérience des JO." Mais c'est bien l'or qu'il décroche, couronnant une saison durant laquelle il a survolé toutes les compétitions.
Un mois plus tard, Aries Merritt s'offre un deuxième exploit. Cela fait des mois qu'il court après le record du monde du 110 m haies, détenu depuis 2008 par le Cubain Dayron Robles. Au Mémorial Van Damme de Bruxelles (Belgique), l'Américain s'envole. Le champion olympique passe la ligne d'arrivée avec un temps de 12"80, soit sept centièmes de moins que la précédente marque.
"Etablir le record du monde, c'est un honneur, confie le coureur à francetv info. C'est quelque chose dont on rêve toute sa vie et pour lequel il faut se battre pour l'atteindre." Sur son épaule droite, un tatouage représentant une paire de baskets dotées d'ailes lui rappelle ce succès. Tel Hermès, le dieu aux pieds ailés, Aries Merritt file à toute allure.
"Vos reins sont morts, vous ne courrez plus jamais"
Mais en août 2013, sa carrière connaît un coup de frein brutal. Aries Merritt ne parvient plus à passer sous la barre des 13 secondes aux championnats du monde d'athlétisme de Moscou (Russie). Un mois plus tôt, il avait pourtant tout raflé au meeting de Paris. "Mon corps avait l'air différent, je n'avais plus de jus. Je courais et j'avais l'impression de mourir, comme si j'avais arrêté la compétition depuis un moment. Ce n'était pourtant pas le cas."
L'athlète fait une première série d'examens dans une clinique de Phoenix (Arizona, Etats-Unis), où il réside. Les résultats sont catastrophiques. "On m'avait hospitalisé une nuit, pour faire une biopsie. Je me suis réveillé le lendemain face à sept médecins qui me disaient que mes reins ne fonctionnaient plus qu'à 10%."
Lorsqu'il rencontre enfin un néphrologue, la sentence est encore plus dure. "Au début, je me suis dit que tout ça n'était qu'un petit obstacle à affronter, confie-t-il. Mais le spécialiste m'a dit : 'Vos reins sont morts, il faut commencer une dialyse immédiatement. Vous ne courrez plus jamais'." Les médecins lui diagnostiquent une maladie génétique rare qui empêche ses reins de fonctionner. Son cas est d'autant plus inquiétant qu'il est également touché par un parvovirus qui attaque ses reins, sa moelle osseuse et son organisme. Aries Merritt est "en colère", "dépressif".
Je ne comprenais pas pourquoi ça m'arrivait, comment je pouvais passer d'un record du monde à la fin de ma carrière.
De l'hôpital à l'entraînement
De nouvelles analyses laissent les médecins pantois. "J'avais gagné 4% de fonction rénale en quelques semaines, ce qui n'avait aucun sens : mes organes étaient censés mourir, pas aller mieux !", explique Aries Merritt. Son état s'améliore. Alors l'athlète continue de courir. "J'avais besoin de m'entraîner pour me sentir normal, même si je n'étais pas bon."
Il s'impose un rythme drastique. D'abord un passage à l'hôpital, de 7 heures à midi. Puis des sessions sur le tartan, tous les après-midi. "Il me fallait 30 minutes pour récupérer après chaque exercice. Même monter des escaliers était un challenge, mais j'allais quand même au bout."
L'athlète refuse toutefois de prendre les traitements utilisés habituellement pour soigner sa maladie. "Lorsque vous souffrez d'insuffisance rénale, on vous donne de l'EPO, une hormone naturellement produite par les reins, rappelle-t-il. Sauf que cette substance est sur la liste des produits interdits par l'Agence mondiale antidopage, donc j'ai refusé qu'on m'en donne." Il préfère les traitements expérimentaux et la transfusion d'immunoglobuline (ou anticorps) intraveineuse. "J'ai eu cinq, peut-être six transfusions en tout, même si c'était plus long et plus risqué que les injections classiques."
"Les athlètes ne sont pas des super-héros"
Au bout de six mois, Aries Merritt peut enfin reprendre la compétition. Mais il est encore très loin du haut niveau : son premier chrono de la saison, enregistré en mai 2014 au Steve Scott Invitational d'Irvine (Californie, Etats-Unis), est de 13"78, selon Eurosport. Soit une seconde de plus que son record du monde. Le champion olympique ne se décourage pas.
Je courais pratiquement sans fonction rénale. Mais mon corps a fini par s'adapter et c'est devenu mon nouvel état normal.
Il prend le risque de se rendre à Pékin (Chine) en août 2015, contre l'avis de ses médecins. "Ma sœur venait de me proposer de me donner son rein pour une greffe et les médecins craignaient que je tombe malade à cause de la pollution, ce qui aurait repoussé l'opération de six mois." Un délai qu'Aries Merritt n'a pas. A Pékin, la compétition est difficile. "A chaque fois que je courais, je m'affaiblissais", explique le champion olympique. Son temps de récupération est beaucoup plus long et son régime, adapté à sa maladie mais pas aux compétitions de haut niveau, complique encore les choses. "Je savais que j'allais finir par ne plus avoir d'énergie à un moment, mes reins étaient en train de mourir."
Les Mondiaux l'affectent aussi psychologiquement. "Il y avait des rumeurs, les gens pensaient que j'étais mauvais parce que j'avais pris des stéroïdes à un moment de ma carrière et que j'avais arrêté, souffle Aries Merritt. Les gens réagissent comme si les athlètes ne pouvaient jamais avoir un moment de 'moins bien'. Ils ne se rendent pas compte que nous ne sommes pas des super-héros ! Même si nous sommes les meilleurs dans notre domaine, nous pouvons avoir des problèmes."
L'esprit plus fort que le corps
Aries Merritt cloue le bec aux rumeurs de la plus belle des façons : il monte sur le podium des championnats du monde de Pékin, la médaille de bronze autour du cou. Dans la foulée, il révèle sa maladie lors d'une conférence de presse. "Soudainement, j'ai reçu beaucoup de soutien, notamment de la part de la communauté des gens transplantés, sourit l'athlète. Ils ne s'étaient pas rendu compte qu'on n'est pas obligé de se mettre en retrait parce qu'on a une maladie grave, que l'esprit est plus fort que le corps."
Quatre jours après les Mondiaux, l'athlète subit une transplantation. "Je suis incroyablement reconnaissant envers ma sœur, Latoya Hubbard, car sans elle, aujourd'hui, je ne pourrais plus courir. D'ailleurs, je ne serais même plus en vie !", lance-t-il, goguenard. A peine sortie de l'hôpital, il pense déjà à retourner sur le tartan. Car Aries Merritt s'est lancé un nouveau défi, complètement fou : aller défendre son titre aux Jeux olympiques de Rio.
Les médecins lui assurent qu'il ne sera pas prêt à temps. Ils l'implorent de ne pas risquer sa vie en partant dans un pays touché par l'épidémie de Zika, alors qu'il est immunodéficient depuis sa greffe. Une fois de plus, Aries Merritt les ignore. "J'ai 30 ans, je n'aurai plus beaucoup d'occasions de participer aux Jeux olympiques, rappelle-t-il à francetv info. Je ne voulais pas rater ça, pour moi, mais aussi pour les autres athlètes : à leur place, j'aurais voulu gagner les Jeux en battant le champion en titre."
"Inspirer une génération"
Il reprend l'entraînement sept semaines après son opération, avant la date recommandée par les médecins. Mais un hématome le force à repasser sur le billard. "J'ai dû attendre encore huit semaines pour reprendre l'entraînement et trois mois avant de pouvoir lever des poids, indique l'athlète. En tout, il me manquait quatre mois de préparation pour les Jeux." Frôler la qualification olympique d'un centième après une transplantation du rein et un entraînement minimum : l'exploit est de taille, malgré la défaite.
Aries Merritt en a bien conscience. "J'ai dépassé cette déception au moment où j'ai quitté Eugene, explique-t-il à francetv info. C'est dommage de rater les Jeux de Rio, mais je garde le moral : je suis à nouveau en bonne santé et je peux m'entraîner normalement." Le champion olympique veut désormais envisager sa carrière "une année à la fois".
Avec, en ligne de mire, les championnats du monde de Londres de 2017. "Et pourquoi pas les Jeux olympiques de 2020 à Tokyo ? Il n'y a pas de raison que je n'essaie pas !, glisse-t-il dans un sourire. J'ai été mis sur cette terre pour courir et, avec tout ce que j'ai traversé, je sais que je peux faire quelque chose d'exceptionnel." Cette détermination, Aries Merritt tient plus que jamais à la transmettre aux jeunes athlètes. "Le slogan des Jeux de Londres était : 'Inspirer une génération'. Je crois bien que c'est ce que je suis en train de faire."
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