JO 2016 : Teddy Riner, le bon, la brute et le géant
"Invincible", "colosse", "imbattable". Les superlatifs ne manquent pas lorsqu’il s’agit de qualifier Teddy Riner. Et pour cause : le Français a tout réussi. Il est entré dans l’histoire en 2015, en devenant le premier judoka à remporter huit titres de champion du monde. Il a aussi croqué l’or aux Jeux olympiques de Londres (Royaume-Uni), en 2012, dans la catégorie reine (plus de 100 kg). Sans oublier ses cinq titres de champion d'Europe. Mais le géant de 2,04 m pour 139 kg ne s'est pas arrêté là. Il est devenu le troisième judoka à décrocher trois titres olympiques chez les poids-lourds, aux Jeux de Rio de Janeiro (Brésil), vendredi 12 août.
Un champion hors norme
Teddy Riner, c’est avant tout un corps hors gabarit : 1,20 m de tour de taille, 2,12 m d’envergure, 51 cm de tour de bras et 49,5 de pointure, selon Libération. A sa naissance aux Abymes (Guadeloupe), le 7 avril 1989, le futur poids lourd du judo n'affichait pourtant que 52 cm pour 4 kg. Dans les normes. Mais celui que son grand-père surnomme "gros bébé" grandit vite. "Un jour, il a pris un kilo en une journée", raconte sa mère, Marie-Pierre, dans le documentaire de Canal+, Teddy dans l'ombre de Riner. "Je me suis précipitée chez le pédiatre, qui l’a examiné et a dit que tout était normal. Heureusement, ça s’est calmé : vous imaginez s’il avait pris un kilo par jour ?"
Jeune, Teddy Riner souffre de sa taille. Il est "toujours le plus grand de la classe", selon Marie-Pierre Riner. Certains parents, convaincus qu’il est plus âgé, ne veulent pas le laisser jouer avec leurs enfants. "Sur les photos de classe, c’est toujours ma tête qui dépassait. On ne voit que moi, confirme le champion, dans un entretien à GQ. Et quand je jouais au foot avec mes camarades, il fallait toujours que je fasse attention à ne blesser personne." De quoi faire naître quelques petits complexes. "Ce n’est pas facile d’être celui que l’on voit tout le temps, d’être celui qui se cogne partout, concède-t-il. Et puis c’est handicapant : quand j’étais ado, impossible de m’habiller."
Aujourd’hui, les 2,04 m du colosse continuent de le démarquer des autres. Et à martyriser les lits des hôtels où il passe. Dans un établissement, c’est un sommier qui casse sous les 140 kg du champion. Dans un autre, Teddy Riner se retrouve littéralement coincé entre deux murs. Mais le judoka n’a plus aucun complexe. "Je me trouve beau, confie-t-il sans détour à Canal+. C’est important d’aimer ce qu’on est. Moi je m’aime. (…) J’aime ce que mes parents m’ont donné, ce que Dieu m’a donné."
Cette taille démesurée pourrait le desservir sur les tatamis. "On n’a pas besoin d’être grand pour être bon au judo, rappelle l’octuple champion du monde dans le documentaire autobiographique. Il faut juste savoir se servir de son corps et être plus intelligent que l’adversaire." Maîtriser son physique, c’est la spécialité de Teddy Riner. A chaque déplacement, entre chaque combat, le géant enchaîne les 100 m, dévale les escaliers quatre à quatre, fait de la corde à sauter. Riner est "explosif". "Il est fondamentalement athlétique, capable de bouger comme une personne de 70 kg", souligne encore son préparateur physique, Yann Morisseau.
Teddy Riner est une "supermachine" huilée, entretenue et scrutée en permanence. Une kinésithérapeute l’accompagne partout. Avant, ils étaient deux, pour réussir à "faire le tour" de ce corps monstrueux. Le judoka est également suivi par toute une équipe médicale. Géante, à son image. Lorsqu’il faut déterminer les soins dont il aura besoin en prévision des Jeux olympiques de Rio, au printemps 2016, un collège entier de médecins se réunit à l’Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep).
Le corps de Teddy Riner ne l’a trahi qu’une seule fois. Lorsqu’il arrive aux championnats du monde de Rio, en 2013, il a "un énorme secret". "A tout moment, mon épaule peut ressortir [de son articulation], confie-t-il à Canal+. Mon corps est HS et c’est la première fois que ça m’arrive. (…) Quand je rentre en France, je passe sur le billard, direct."
Le médecin de l’équipe de France et le chirurgien préconisent de placer deux vis dans l’épaule du champion, pour la fixer. Teddy Riner refuse, préférant l’option moins risquée de la suture par arthroscopie. "Dans ma tête je serai mieux et mon corps réagira mieux, assure le champion, assis dans sa voiture, au médecin de l’équipe de France. Je peux pas, j’y arriverai pas, je suis déjà en train de psychoter en me disant que je vais perdre mon épaule. Laisse-moi tranquille. J’ai pris ma décision."
"La peur, ce n’est pas dans mon vocabulaire"
Dans ses décisions comme sur les tatamis, Teddy Riner est implacable. Si tout le monde remarque la force brute du colosse, son véritable atout est son mental. "On dit souvent que Teddy est fort, ça me met terriblement en colère, avoue sa psychologue, Meriem Salmi, à Canal+. C’est triste de regarder un athlète de ce niveau uniquement du côté physique. Il a un cerveau exceptionnel."
Teddy Riner a été le premier judoka à bénéficier de l’accompagnement d’une psychologue, depuis l’âge de 15 ans, pour mieux gérer la pression du haut niveau. Avec elle, il a établi un rituel d’avant-match. De la musique, pour "se mettre dans sa bulle" quelques minutes avant d’entrer sur le tatami. Des films, pour s’occuper entre deux combats. Le même sac de compétition "depuis toutes ces années", toujours préparé par sa mère, avec un soupçon de paranoïa. Chaque bouteille d’eau est vérifiée, pour s’assurer qu’aucun produit dopant n’a été glissé dedans à l’insu du champion.
Le monstre du judo l’admet volontiers : il est orgueilleux. "Il ne supporte pas la défaite, souligne sa psychologue. Même s’il en fait quelque chose, cela le rend incroyablement triste." Un esprit de compétiteur que Teddy Riner a developpé depuis l’enfance.
Il faut que je gagne, dans tout, c’est comme ça. Une bataille d’eau éclate à l’Insep, je fais tout pour gagner !
Heureusement pour le champion, il ne compte que deux défaites sur plus de 200 combats en senior. Mais, même dans la victoire, Teddy Riner reste perfectionniste. Lorsqu’il gagne sans la manière les championnats d’Europe de 2013, gêné dans son attaque par son adversaire géorgien, la déception est omniprésente. Au point qu’il quitte la cérémonie qui le met à l’honneur le soir-même, avant la fin du dîner.
Dans la chambre d’appel, casque vissé sur les oreilles, Teddy Riner observe. Il scrute chaque adversaire, jauge sa concentration, son envie de combattre. "La médaille, c’est pas à elle de venir à moi, c’est à moi d’aller la chercher. Tu veux quelque chose, t’y vas, assène-t-il à Canal+, avec l’assurance qui le caractérise. De toute façon, moi, je n’ai pas le droit de perdre. De par mon passé, de par ce que j’ai fait. Je ne laisserai personne me critiquer."
Qui, aujourd'hui, oserait critiquer l'indétrônable Teddy Riner ? Il ne semble plus avoir d’adversaire à sa mesure. L’octuple champion du monde continue pourtant de "se méfier" de la relève, au point de mettre une claque à une caméra espionne du staff japonais qui le filme à l’entraînement. "Toute la nation s’emploie à trouver une solution pour me battre", assure Teddy Riner à la chaîne cryptée. L’un des espoirs du judo nippon, Ryu Shichinohe, a d’ailleurs bien failli le "becqueter" lors des Championnats du monde en 2014. Pas de quoi effrayer Teddy Riner. "La peur, ce n’est pas dans mon vocabulaire", affirme-t-il, goguenard, à France 2. Et de se reprendre, avec un clin d’œil : "Ma maman me fait peur !"
Le bon gros géant
Sur les tatamis, Teddy Riner effraie. Mais au quotidien, c’est un enfant de chœur. A juste titre : très croyant, le judoka a endossé ce rôle à l’église Sainte-Marie-des-Batignolles de Paris pendant son enfance. Aujourd’hui, il continue de "remercier le Seigneur" après chaque combat. Il lui arrive même de se confesser pour être pardonné "d’avoir été grossier", révèle Libération en 2011.
Teddy Riner aime le combat, mais a été bercé aux comédies romantiques. "Je ne voulais pas montrer [aux enfants] des films violents", explique Marie-Pierre Riner. Elle lui passe en boucle Sissi Impératrice, Heidi, Mary Poppins. La tradition perdure encore. "Une ou deux fois par mois, avec maman, on se regarde des films comme ça", avoue Teddy Riner à Libération.
A 27 ans, le champion est toujours très proche des siens. La tribu Riner est de toutes les compétitions, de tous les événements marquants. Lorsque le judoka monte les marches du Festival de Cannes, en mars 2016, pour la projection de Teddy dans l’ombre de Riner, ses parents et sa compagne sont à ses côtés. Après chaque grosse compétition, il rentre se ressourcer auprès de ses proches, en Guadeloupe.
"Avoir la famille avec moi, c’est ce qui fait ma force", assure-t-il. Au-delà de l’orgueil du champion, le perfectionniste Teddy Riner a le besoin de ne pas décevoir les siens. "Quand je les quitte je me dis que c’est à moi de faire du boulot parce que, si je perds, ils seront venus pour rien." Le champion ne perd jamais une occasion de remercier ses parents, Marie-Pierre et Moïse Riner, qui se sont "serré la ceinture pendant des années" pour qu'il reste en sports études. "Sa force, c’est peut-être de se dire qu’il gagne pour ses parents, reconnaît Moïse Riner, interrogé par Canal+. Mais on ne lui a jamais demandé d’aller gagner pour nous."
Teddy Riner cultive son image de gendre idéal, et ça lui réussit. Le champion figure parmi les dix sportifs les plus appréciés des Français depuis 2012, selon GQ. Il a également été choisi comme porte-drapeau de la délégation française aux Jeux olympiques de Rio. Le soir de la cérémonie d’ouverture, vendredi 5 août, Teddy Riner brise la tradition. Il défile au milieu des tricolores, tout sourire, plutôt que de les devancer dans l’enceinte du stade Maracana, note le Huffington Post.
Son humour et sa franchise, comme lorsqu’il lâche une remarque un brin coquine en pleine interview sur le plateau du "Petit Journal" (à 2'20''), le rendent encore plus sympathique. Tout comme son engagement auprès des jeunes. "Je suis conscient que je peux être un exemple", reconnaît Teddy Riner, dont l’image parfaite semble parfois aussi millimétrée que sa stratégie sur les tatamis.
L'engagement du champion est pourtant sincère. Pour l’association Imagine, il visite les services de pédiatrie dans l’espoir de redonner le sourire aux enfants malades. Lorsqu’il apprend qu’un jeune Guadeloupéen, atteint de myopathie, n’a plus longtemps à vivre, le colosse s’effondre. Caché dans un couloir, il pleure à chaudes larmes. "Tu vois le petit, comment il a le sourire ? Il va mourir, le pauvre", lance-t-il à sa mère, inconsolable, dans le documentaire de Canal+. Le cœur aussi, chez Teddy Riner, est surdimensionné.
Quitter le judo invaincu
Et après le judo ? Teddy Riner prépare une reconversion "dans les affaires". Pour l’instant, c’est son père Moïse qui gère ses revenus, évalués par Libération à environ 2 millions d’euros en 2014. En attendant, le judoka étudie à Sciences Po. Sans poste de ministre en ligne de mire. "En politique, t’as intérêt d’être bon, sinon t’es mort. (…) Sciences Po, c’est pour la culture générale, pour le cerveau", affirme-t-il à GQ.
Le grand-père de Teddy Riner voudrait le voir troquer le kimono pour le costume de businessman le plus tôt possible. "Les adversaires commencent à apprendre son jeu. Et moi, j’ai envie qu’il arrête, j’ai envie qu’il reste avec son titre, explique Pierre Melgard à Canal +. Je lui ai dit ‘tu vas aux JO mais après, pars avec les honneurs’. Pour qu’il n’ait pas de regrets de ne pas avoir arrêté en temps voulu."
Teddy Riner, lui, ne veut pas encore arrêter. "Je me rends compte que je suis plus proche de la fin que du début ou de la moitié [de ma carrière], reconnaît le judoka. Tous ces pays, tous ces kilomètres (…), toute cette sueur, toutes ces remises en question… Tout ça, demain, c’est fini. Je veux m’arrêter sur une victoire, pas sur une défaite."
"Riner le Winner" a une nouvelle fois croqué l’or à Rio, vendredi 12 août, en battant le Japonais Hisayoshi Harasawa aux pénalités (2 à 1). Et il compte bien en faire de même lors des Jeux de Tokyo. "J’aimerais finir ma carrière olympique en 2020, confie-t-il à Canal +. C’est le Japon, ce serait juste magnifique de terminer là-bas." Teddy Riner pense à sa sortie, et il a déjà prévu la manière. "Le défi c’est de quitter le judo en étant invaincu, en ne laissant aucun reste pour personne." Ses adversaires sont prévenus.