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Peut-on gagner une médaille olympique en sniffant du gaz ?

Les médias accusent les athlètes russes d'être dopés au xénon, un gaz faiblement présent dans l'atmosphère. Mais on peut significativement améliorer ses performances avec de l'oxygène…

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La porte d'un point de contrôle antidopage, à Krasnaya Poliana, près de Sotchi (Russie), le 5 février 2014. (KAY NIETFELD / DPA / AFP)

Pour vous, le dopage, ça se passe avec des seringues, des poches de sang congelées, des docteurs Mabuse qui comparent l'EPO au jus d'orange et des laboratoires secrets où on apprend aux souris à courir le marathon ? Il va falloir vous remettre à jour : l'hebdomadaire britannique The Economist, puis la télévision allemande WRD accusent la Russie de booster ses athlètes au xénon, un gaz présent à 0,000009% dans l'atmosphère. Et ça marche, même avec de l'oxygène.

Le xénon pour booster votre EPO 100% naturelle

Prenez un masque à oxygène. Inhalez un mélange gazeux fortement dosé en xénon pendant quelques minutes, avant d'aller au lit. Répétez l'opération deux à trois fois par semaine, pendant quelques semaines. Le traitement permet d'augmenter la sécrétion d'EPO, et donc la production de globules rouges. Ces globules rouges, plus nombreux, transportent plus d'oxygène vers vos muscles pour les faire fonctionner. L'avantage de la technique : vous produisez une EPO 100% naturelle et donc indétectable !

Que dit le code mondial antidopage ? D'après les Russes, c'est autorisé. "Le xénon n'est pas un gaz illégal", se défend Vladimir Uiba, patron de l'Agence fédérale russe de biomédecine. Le laboratoire qui produit le xénon affiche fièrement sur son site que 70% des athlètes russes médaillés à Athènes (2004) et à Turin (2006) utilisaient cette méthode, et se vante que son produit ait encore été utilisé à Sotchi. Le professeur Jean-Pierre de Mondenard, auteur de nombreux ouvrages sur le dopage, est beaucoup moins catégorique : "Il est écrit dans le code mondial antidopage que la manipulation sanguine est interdite, fait-il remarquer à francetv info. Qu'est-ce que l'utilisation de xénon si ce n'est de la manipulation sanguine ?"

Les études sur les animaux sont édifiantes. L'une d'elles, menée en 2009 à l'Imperial College de Londres, montre qu'exposer des souris à un mélange 70% xénon/30% oxygène permet de doubler le taux d'EPO en quelques heures, relève The Economist (en anglais). Des tests concluants ont aussi été effectués sur des nageurs, note le quotidien danois Jyllands-Posten.

Développer et maîtriser cette technologie n'est pas à la portée de tout le monde. "L'utilisation du xénon est héritée des technologies aérospatiales, dans lesquelles les Russes, mais aussi les Américains et les Chinois excellent, remarque le professeur Gérard Dine, spécialiste du dopage, interrogé par francetv info. Mais on peut aussi remarquer que le leader mondial des gaz médicaux - car le dopage n'est rien d'autre que le détournement de médicaments dans un but non-thérapeutique - est français, c'est la société Air Liquide." 

L'oxygène, tout bon pour vos globules rouges

Qu'ont en commun Novak Djokovic et Michael Phelps ? Le tennisman serbe, vainqueur de six tournois du Grand Chelem, et le nageur américain, qui a raflé 22 médailles en trois olympiades, utilisent tous deux une chambre hypoxique. Novak Djokovic dispose de plusieurs caissons hypoxiques high-tech à 75 000 dollars, a-t-il avoué au Wall Street Journal (en anglais) en 2011. "C'est comme dans un vaisseau spatial", a-t-il expliqué. Même principe que pour l'inhalation de xénon : cela permet de reproduire les conditions qu'on trouve en altitude, avec un air appauvri en oxygène qui force l'organisme à produire plus de globules rouges. 

Michael Phelps a fait sien le mot d'ordre de deux chercheurs américains auteurs, en 1992, d'une étude marquante dans le domaine de la recherche de performance : "train low, live high" ("entraînez-vous en bas, vivez en haut" en VF). "Imaginez que vous vous rendez au sommet de l'Everest, explique l'un d'eux, James Stray-Gundersen, sur le site Fasterskier (en anglais). Votre taux de globules rouges va augmenter fortement. Mais vous êtes à une telle altitude que vous ne pouvez pas vous entraîner correctement." Moralité : faites comme Michael Phelps, qui nageait au niveau de la mer, à Baltimore, et qui toutes les nuits entre 2010 et les Jeux de Londres, en 2012, dormait "comme à 2 500 mètres d'altitude" grâce à sa chambre hypoxique. 

Le nageur américain Michael Phelps lors de la finale du 200 mètres papillon aux Mondiaux de natation à Rome, le 29 juillet 2009.  (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

En 1998, au CIO, on expliquait "discuter du problème". En 2006, l'Agence mondiale antidopage a autorisé ces pratiques, faute d'étude prouvant leur caractère dopant, tout en reconnaissant qu'elles "violent l'esprit du sport". "C'est sur le fil du rasoir", analysait en 2006 dans Le Temps le patron du laboratoire antidopage de Genève, Martial Saugy.

Une étude publiée par la Comex, une société qui fabrique des chambres hyperbares, évalue à 15% le gain de performance pour un athlète utilisant un dispositif modifiant le taux d'oxygène d'une pièce. En 2004, le coureur cycliste belge Dave Bruylandts nie un contrôle positif à l'EPO en affirmant : "Je n'ai pas besoin d'EPO, j'ai une chambre hyperbare chez moi", rapporte le site cyclisme-dopage.com. Le sulfureux docteur Ferrari conseillait à ses patients - dont Lance Armstrong - d'avoir recours à un caisson hypoxique pour masquer des prises d'EPO exogène - non produite par le corps -, remarque l'agence antidopage américaine dans son volumineux rapport contre l'ex-septuple vainqueur du Tour de France.

Alors, du dopage pur et simple ? Pas pour Laurent Schmitt, qui dirige le département "haut niveau" du centre national du ski nordique : "On peut monter le taux d’hématocrite [concentration de globules rouges] de deux ou trois points et non pas passer de 47 à 63 comme avec des méthodes dopantes", se défendait-il dans L'Equipe, en 2009.

D'autres gaz, pour mieux flotter ou moins souffrir

"L'utilisation des mélanges gazeux pour se doper ne date pas d'il y a deux semaines, mais de quinze ou vingt ans, remarque Gérard Dine. Et pas qu'avec le xénon ! Il existe par exemple une tripotée de gaz antidouleur, comme le gaz hilarant par exemple, qu'on peut détourner pour améliorer la performance sportive." 

Les docteurs Mabuse se sont aussi intéressés aux propriétés volatiles du gaz. "Avant les Jeux olympiques de 1976, on avait injecté un gaz aux nageurs ouest-allemands, raconte Jean-Pierre de Mondenard. On leur mettait de l'air dans le rectum pour améliorer leur flottabilité. Ils ont vraiment expérimenté ça, mais l'un des nageurs a entraîné l'arrêt de l'expérience. Il avait tellement d'air dans les fesses qu'elles sortaient de l'eau et qu'il n'arrivait plus à nager correctement !"

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