Migrant ghanéen, patineurs nord-coréens, lugeur indien... Ces athlètes improbables présents aux JO de Pyeongchang
Rien ne les prédisposait à participer aux Jeux d'hiver de Pyeongchang (Corée du Sud), qui débutent vendredi 9 février. Soit parce que leur spécialité se pratique lors des JO d'été. Soit parce qu'ils venaient d'un pays sans neige, ou en guerre ou de l'autre côté du 38e parallèle. Ou simplement parce qu'ils n'avaient pas de papiers. Et pourtant, ils seront de la grand-messe des sports de neige et de glace. Autant d'histoires individuelles qui en disent long sur la magie qu'exercent toujours les Jeux olympiques.
Les patineurs nord-coréens, objets de tous les fantasmes
Quand ils apparaîtront sur la patinoire de Pyeongchang le 11 février, un murmure risque de monter des gradins. Ryom Tae-ok et Kim Ju-sik, le couple de patineurs artistiques nord-coréens suscite une curiosité à mesure du secret qui entoure leur pays. On les imagine entourés d’armoires à glace à l’air patibulaire vêtus d’une gabardine anthracite dès qu’ils mettent un pied en dehors de la patinoire, des types qui ont confisqué leur passeport de peur qu’ils fuient à l’Ouest...
"Là, vous me racontez un film d’espionnage sur les Russes dans les années 1970 !", s’amuse Bruno Marcotte. L’ex-patineur canadien, devenu le coach du couple Duhamel-Radford double champion du monde 2015 et 2016, a pris en main l’entraînement du mystérieux duo pendant plusieurs mois, cet été à Montréal. "Il y avait deux personnes avec eux en permanence : leur entraîneur au quotidien et un type de la fédération, lui aussi ancien patineur, qui était surtout là pour leur traduire mes conseils." Et quand ils sortaient de la patinoire ? "Je ne sais pas comment ça se passait le soir, mais ils n’étaient pas surveillés 24 heures sur 24."
Côté sportif, les clichés sont aussi vite balayés. Non, Ryom Tae-ok et Kim Ju-sik n'enchaînent pas des mouvements hyper classiques fruit d’une rigueur acquise à force d’entraînement à la stalinienne. "Certes, ce sont des athlètes incroyablement précis sur la glace, commente Bruno Marcotte. En revanche, ils proposent des choses très originales, notamment au niveau des portés." Pour la musique accompagnant leur programme, ils ont en revanche eu besoin d’un petit coup de main. "Pour le programme long, c’est ma femme qui leur a proposé une chanson de Ginette Reno, Je ne suis qu’une chanson." Dans le refrain, on entend : "Je ris, je pleure à la moindre émotion", et ça va bien à ce couple-là, poursuit le coach canadien.
Ils dégagent une vraie sympathie sur la glace et, à chaque fois, le public met de côté la politique pour les soutenir.
Une émotion transmise grâce à un habile subterfuge. "Bon, ils ne comprenaient pas un mot de la chanson sur laquelle ils patinaient, donc il a fallu leur expliquer."
Comment vont réagir les deux patineurs, qui ont le niveau pour accrocher le top 10, si d’aventure ils décrochent une médaille ? Vont-ils pleurer toutes les larmes de leur corps, comme leurs compatriotes footballeurs au Mondial 2010 après leur défaite héroïque 2-1 face au Brésil (avant de s’effondrer 7-0 face au Portugal) ? "Je ne sais pas. Forcément, ils patinent avec la pression de faire un bon résultat, mais aussi celle de bien représenter leur pays, souligne Bruno Marcotte. C’est ça qu’ils sont venus chercher chez moi, qu’ils prennent conscience de leurs capacités. Et qui sait, un jour peut-être ne verra-t-on chez eux que des sportifs, sans l’étiquette Corée du Nord collée sur leur front ?"
Shiva Keshavan, le lugeur de routes
Vous ne vous souvenez sûrement pas de ce que vous faisiez le 7 février 1998. Lui, oui. Shiva Keshavan devenait le premier athlète indien à défiler lors d’une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, en l’occurrence ceux de Nagano, au Japon. L’Inde, qui traite encore les sports d’hiver comme quantité négligeable, ne s’était pas embarrassée à élaborer un uniforme. "On m’avait refilé une veste et un pantalon, bleus et rouges. Pas vraiment les couleurs nationales", sourit ce lugeur qui entrera en piste le 10 février. A 18 ans à peine, impressionné par le contexte, pas question de faire la fine bouche. "On m’avait aussi envoyé des chaussures en plastique, trop serrées pour mes pieds. La compétition avait lieu le lendemain, je n’ai pas eu le temps de finasser." Il se classe 28e, sur 34.
Vingt ans plus tard, Shiva défilera de nouveau sous les couleurs de son pays à Pyeongchang. Pas tout seul, cette fois. L’Inde parvient désormais à envoyer quelques athlètes dans la poudreuse. "Je ne me suis jamais vraiment senti seul aux Jeux, nuance-t-il à franceinfo. Dans le village olympique, ou lors des compétitions, les concurrents des petites nations se serrent les coudes."
Deux décennies de présence constante aux Jeux qui ne lui ont valu qu’un soutien ténu des autorités de son pays. "C’est plutôt la fédération internationale qui m’aide", euphémise Shiva, encore obligé de recourir au crowdfunding et à la chasse aux sponsors pour pouvoir assouvir son rêve olympique. Une année, et une seule, il a pu bénéficier des conseils d’un entraîneur, dont il a dû se séparer, faute de moyens. Depuis, c’est le système D, surtout pour s’entraîner. Pendant la belle saison, il dévale à tombeau ouvert les routes goudronnées proches de son village himalayen où ses parents tiennent le resto italien du village. "Le pire, ce n’est pas de devoir passer entre les voitures, mais les nids-de-poule", sourit ce casse-cou qui n’a jamais fini dans le plâtre malgré ces conditions d'entraînement dantesques.
Que les spectateurs présents en Corée du Sud en profitent, c’est la dernière fois qu’on verra Shiva sur sa planche.
La famille s’est agrandie, je ne peux plus me permettre de m’investir corps et âme dans une activité à temps plein qui ne rapporte rien…
Mais le gaillard, qui va sur ses 37 ans, ne compte pas rester loin des pistes pour autant. Il rêve d’accompagner un jeune lugeur indien aux Jeux. Un programme de détection a été mis en place dans les régions himalayennes. "J’ai déjà mis de côté des casques et du matériel pour les aider, sourit-il. Je ne veux pas qu’ils commencent dans les mêmes conditions que moi."
Les bobeuses nigérianes, "Rasta Rockett" au féminin
Tout a commencé avec une grosse caisse à savon. "Ah, le Maeflower !, sourit Seun Adigun, la pilote de l’équipe nigériane de bobsleigh. Je l’ai fabriqué moi-même, avec du bois et d’autres bricoles. Ça m’a pris trois jours, quand même ! C’était solide, ça pesait grosso modo 50 kilos et on ne pouvait pas monter dedans. Mais ça nous a permis d’acquérir les bases pour pousser et diriger." Quand elle raccroche les pointes après une riche carrière en athlétisme (marquée par un titre de championne d’Afrique en 2010) et une ultime participation aux Jeux de Londres, en 2012 sur le 100 m haies, Seun Adigun ne cogite pas longtemps sur son après-carrière. Des amis athlètes conseillent à la jeune retraitée de suivre le chemin de la hurdleuse Lolo Jones, et de troquer les dossards pour enfiler la combinaison intégrale. Elle entraîne dans l’aventure ses amies Akuoma Omeoga et Ngozi Onwumere.
Forcément, l’équipage ne roule pas sur l’or au moment de participer aux différentes épreuves, sur plusieurs continents, indispensables pour se qualifier. Faute de subventions de la toute jeune fédération nigériane de bobsleigh, elle aussi fauchée, les bobeuses se tournent vers le financement participatif. Avec succès : les dons affluent du monde entier, dont un chèque de 50 000 dollars, les trois quarts de la somme demandée, d'un mystérieux donateur anonyme. On n’en saura pas plus : "Il a demandé à rester dans l’ombre, je respecte ça", élude la championne.
Au bobsleigh, il suffit de participer à un certain nombre de courses pour valider son ticket, mais n’allez pas dire que c’est facile. "Imaginez un jeune qui vient de décrocher le permis qu’on lâche sur le circuit de Daytona [circuit emblématique de stock-cars des Etats-Unis]. A l’arrivée de chaque course, je pleurais : 'On est arrivées entières !'" Qualification en poche, les trois bobeuses se retrouvent sous les projecteurs. On les voit dans les shows grand public américains, comme celui d’Ellen DeGeneres ou "This Morning", sur CBS. Arrive l’inévitable comparaison avec le film Rasta Rockett sur la participation de l'équipe jamaïcaine de bobsleigh aux JO de 1988 : "On nous l’a faite un million de fois", soupire Seun Adigun.
Mais si on se souvient de nous comme on se souvient de l’exploit des bobeurs jamaïcains trente ans plus tard, je signe.
Avec le trio, le Nigeria entre dans le cercle fermé des pays africains ayant envoyé au moins un représentant aux Jeux d’hiver, rejoignant l'Afrique du Sud, l'Ethiopie, le Cameroun, Madagascar, le Sénégal, le Togo, le Ghana, le Kenya et le Zimbabwe.
Forcément, Solomon Ogba, le président de la fédération nigériane de bobsleigh et de skeleton est un homme heureux. Il remercie Dieu à chaque phrase. Et il peut : envoyer la moitié de ses licenciés aux Jeux (3 sur 6), aucune fédération au monde ne fait mieux. "On ne pensait pas que ça irait si vite", sourit-il. Peu importe qu’elles soient toutes les trois nées aux Etats-Unis et qu’elles n’entretiennent qu’un rapport lointain avec leur pays d’origine. "Elles ont fait un crochet d’une semaine par le Nigeria sur la route de Pyeongchang, et ont été reçues par le président", insiste Solomon Ogba. Les uniformes pour la cérémonie d’ouverture ont été confectionnés en catastrophe, contacts pris avec les autres fédérations africaines plus aguerries pour des conseils et une chanson officielle sur l’équipe nationale bricolée à la hâte.
"A Pyeongchang, on espère finir dans le top 20", avance-t-il prudemment. "Nous, on y va pour une médaille", lui rétorque crânement Seun Adigun. Celle qui se décrit comme "craignant Dieu", dans sa bio officielle sur le site de la fédération, aura probablement besoin d’un petit coup de pouce de sa part.
Nico Porteous, les Jeux à 16 ans
Le record du patineur français Alain Giletti, à peine plus de 12 ans lors de sa participation aux Jeux d’Oslo en 1952, ne craint rien. N’empêche, Nico Porteous aura tout juste soufflé sa seizième bougie quand il se présentera pour l’épreuve de half-pipe free ski à Pyeongchang le 17 février. "J’aurais 16 ans et 90 jours", coupe le jeune Néo-Zélandais, qui a entouré la date sur son calendrier. Un jeunot qui commence à être fatigué d’être catalogué parmi les benjamins des Jeux. "Je participe à des manches de Coupe du monde depuis que j’ai 13 ans, donc je suis habitué à voir des types qui font deux têtes de plus que moi sur la ligne de départ, souffle-t-il, un brin blasé. En plus, maintenant, je suis en train de les rattraper."
Tout rodé qu’il soit au circuit mondial, les Jeux olympiques, c’est un changement de dimension. Ce prodige du half-pipe tanne les vétérans de la délégation néo-zélandaise déjà présents à Sotchi en 2014 pour obtenir un maximum de conseils. Côté école, c’est aussi compliqué. Comme en France, le secondaire en Nouvelle-Zélande dure jusqu’à 18 ans. S’il prend des cours par correspondance depuis ses premiers boutons d’acné, Nico espère pouvoir négocier avec son école une trêve de quelques semaines à l’occasion des Jeux.
Franchement, je me vois mal bûcher mon algèbre le soir au village olympique.
Où il partagera sa chambre avec son frère, de deux ans son aîné, qualifié dans la même discipline. Ce n’est pas comme si la fédération néo-zélandaise de ski avait le choix, de toute façon. "Qui d’autre pouvait supporter mes ronflements, ou le bordel que Miguel ne manquera pas de mettre dans la chambre ?", sourit Nico.
Le reste de la famille Porteous fera le déplacement en Corée du Sud. Sa maman est de toutes les compétitions – "elle fait super bien le taxi et la cuisine, c’est l’intendante en chef", confie celui qui habite toujours chez ses parents (quand il n’est pas sur des skis à l’autre bout de la planète). Son père, qui ne prend l’avion que pour les grandes occasions, sera là aussi. Du coup, le repas familial ne sera pas, pour une fois, partagé par Skype.
Reste à savoir si la famille aura une médaille à fêter. "Vous m’auriez demandé ça il y a quelques semaines, j’aurais répondu que je venais pour la médaille, mais je me suis un peu abîmé le genou sur une épreuve de Coupe du monde, souffle Nico. Cette année, je serai content d’accéder en finale. Promis, ça bardera plus à Pékin." Le rendez-vous est pris pour 2022. Nico n’aura que 20 ans.
Akwasi Frimpong, du Ghana à la glace
L’histoire d’Akwasi Frimpong commence en 1986 au Ghana, dans une famille pauvre du village de Kumasi. Il n’a que 3 ans quand sa mère part aux Pays-Bas pour subvenir aux besoins de ses enfants. "On vivait à neuf dans une pièce de 5 m² du village. Quand on avait un œuf ou une canette de Coca pour manger, c’était Noël", se souvient Akwasi. Cinq ans plus tard, sa mère décide de faire venir ses enfants. Les Pays-Bas refusent, ce sera donc le système D. Un vol pour l’Allemagne et le reste du trajet en voiture. Arrivé près d’Amsterdam, où il retrouve sa mère, Akwasi grandit dans la clandestinité.
Faute de papiers, tous les lycées le refusent. Sauf un : la fondation Johan Cruyff, du nom du légendaire footballeur néerlandais. Là-bas, le potentiel athlétique d’Akwasi explose : il figure parmi les meilleurs coureurs sur 200 mètres dans le pays en 2011, héritant du surnom de "Goldensprint" dans le milieu de l’athlétisme. Les Jeux de Londres semblent atteignables... quand une vilaine blessure à la cheville l’éloigne des pistes au moment crucial. Une bonne nouvelle toutefois : grâce à ses résultats, il obtient des papiers après treize ans d’attente. "Mon parcours prouve que les immigrants illégaux, ceux qui viennent pour fuir la misère, sont des gens bien. Et quand quelqu’un croit en eux, ils peuvent faire de grandes choses."
Le sort semble pourtant s’acharner sur Akwasi, débauché en 2013 par l’équipe néerlandaise de bobsleigh, qui rate sa qualification d’un rien pour les Jeux de Sotchi l’année suivante. Têtu, il se lance dans le skeleton en 2017... et décroche son billet pour les Jeux l’année suivante. "Je m’étais fixé comme objectif les Jeux de 2022, ça me paraissait plus réaliste. Mais ma femme – une ancienne sauteuse en longueur – m’a dit de ne pas attendre pour tenter ma chance. Elle a raison. Ça m’a pris quinze ans d’être aux Jeux, mais j’y suis arrivé."
Quand j’ai appris que j'irai à Pyeongchang, j’étais en état de choc. J’attendais de voir le papier officiel. La joie n’est venue qu’après.
Akwasi Frimpong becomes first West #African male skeleton #athlete to compete at Winter Olympics. @GhanaOlympic @FrimpongAkwasi https://t.co/zkBATWd6EJ pic.twitter.com/wm7y1zUVV3
— Cocoa from Ghana (@Cocoa_fromGhana) 21 janvier 2018
Sur son skeleton, il arbore les trois drapeaux qui résument sa vie : en petit, le néerlandais – son pays d’adoption –, l’américain – où il s’entraîne – et, en gros, le ghanéen. "Logique non ? [...] Je suis très fier que l’Afrique soit de plus en plus présente aux Jeux d’hiver même si beaucoup de pays n’ont pas de montagnes et d’infrastructures proprement dites. On me dit toujours 'vous êtes obligé de vous entraîner à l’étranger, car il n’y a pas de piste dans votre pays'. C'est vrai, il y a 27 pistes en tout et pour tout dans le monde. Mais, quand la Britannique Lizzy Yarnold gagne l’or en skeleton à Sotchi, personne n’a tiqué sur le fait qu’elle était obligée de s’entraîner à l’étranger ! Donc en fait, l’argument des infrastructures ne tient pas."
C’est remonté à bloc qu’il nous livre son prochain objectif : "Vu que j’ai commencé le skeleton il y a à peine un an, je pense avoir une bonne marge de progression, analyse celui pour qui une 20e place serait une excellente performance. Mes qualités de sprinteur m'aident beaucoup pour les 50 premiers mètres, quand il faut pousser le skeleton. Mais, niveau trajectoire, je peux faire des progrès. En 2022, j’irai à Pékin pour une médaille. La première médaille africaine aux Jeux d’hiver."