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Pékin exporte aussi ses joueurs de ping-pong

Les pongistes d'origine chinoise, naturalisés afin d'étoffer les équipes européennes, sont surreprésentés dans ces Jeux olympiques de Londres.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La Française d'origine chinoise Li Xue, le 29 juillet 2012, à Londres (Royaume-Uni). (SAEED KHAN / AFP)

Shen Yanfei contre Li Xue. Contrairement aux apparences, ce match de tennis de table féminin ne compte pas pour le championnat de Chine, le pays natal des jeunes femmes. Non, dimanche 29 juillet, les deux pongistes s'affrontaient au troisième tour du tournoi olympique sous les couleurs de leurs patries d'adoption. Au final, l'Espagnole Shen Yanfei a éliminé la Française Li Xue.

La France et l'Espagne ne sont pas les seuls pays à faire appel aux joueuses d'origine chinoise. Un rapide coup d'œil sur le tableau du tournoi féminin permet de se rendre compte de l'ampleur du phénomène. Alors que la Chine n'aligne que deux joueuses, elles sont 24 sur les 64 participantes (hors tour préliminaire) à être née en Chine continentale.

Ces joueuses d'origine chinoise évoluent principalement dans les équipes européennes, comme l'Allemagne, le Portugal ou l'Autriche, mais également dans certaines équipes asiatiques comme Singapour ou Hong Kong. Si le phénomène est moins marqué chez les hommes, on retrouve tout de même des pongistes d'origine chinoise sous les couleurs de la République dominicaine, de l'Espagne ou de l'Autriche

Le sport préféré de Mao

Comment expliquer un tel exode ? Le succès à l'exportation du tennis de table chinois est d'abord la conséquence de la domination écrasante de la République populaire sur la discipline. Depuis 1988 et l'arrivée du ping-pong aux Jeux olympiques, les Chinois ont remporté 20 des 24 médailles d'or mises en jeux. A Pékin en 2008, les équipes chinoises ont raflé la totalité des breloques en individuel et les deux médailles d'or en équipe. 

Mineur en France, le tennis de table est le sport numéro un en Chine depuis l'époque où Mao Zedong dirigeait le pays (1949-1976). Il faut dire que le fondateur du régime communiste chinois n'avait pas son pareil pour motiver ses pongistes. "Regardez la balle de ping-pong comme si c'était la tête de votre ennemi capitaliste et frappez-la avec la raquette du socialisme", leur conseillait-il, comme le rapporte The Telegraph (lien en anglais).

Conséquence, la Chine dispose d'un important vivier de joueurs. Les meilleurs éléments sont repérés dès l'enfance et couvés dans des centres d'excellence. Toujours selon le Telegraph, ils y suivent un entraînement strict mais efficace : sept heures de ping-pong par jour et deux semaines de vacances par an. Et si cela ne suffit pas, les meilleurs joueurs vont même jusqu'à disputer des matchs à un contre deux pour améliorer leur jeu.

Un nouveau règlement anti-naturalisation

Ce régime leur permet de dominer le circuit mondial et de séduire les fédérations étrangères. Ces dernières sont d'autant plus tentées de faire appel à eux que les joueurs chinois sont également demandeurs. Confrontés à une concurrence très rude pour intégrer l'équipe nationale, les professionnels recalés voient dans la naturalisation un moyen de disputer de grandes compétitions. "Il y a vraiment beaucoup plus d'opportunités comme joueuse de Hong Kong, explique la pongiste d'origine chinoise Tie Yana au Wall Street journal (lien en anglais). Le ping-pong est le sport national en Chine, donc la compétition est plus féroce." Sans son passeport hongkongais, elle n'aurait pas pu participer aux Jeux olympiques de Londres.

Le phénomène a pris tellement d'ampleur que certaines fédérations nationales de tennis de table s'en sont émues. "Les résultats d'une équipe nationale devraient refléter les efforts accomplis dans le développement de nouveaux talents, et non ceux réalisés en matière de naturalisation nationale", se plaignait la fédération suisse en 2008. A tel point que la fédération internationale de tennis de table a décidé de sévir en adoptant, en 2008, un nouveau règlement.

Désormais, avant de porter leurs nouvelles couleurs, les athlètes de moins de 21 ans doivent observer une période de transition (de trois à sept ans, selon l'âge), comme le résumait, en 2008, Libération. Les athlètes naturalisés après l'âge de 21 ans sont interdites de compétitions. S'il s'applique aux championnats d'Europe et du Monde, le règlement ne concerne pas les Jeux olympiques. Ce qui permet à Li Xue, naturalisée en 2008 à l'âge de 23 ans, de défendre les couleurs de la France à Londres.

Une concurrence entraînée en Chine

Afin d'encourager la concurrence, ce raidissement des conditions de naturalisation s'est accompagné d'une réduction du nombre de joueurs par nationalité lors des Jeux olympiques : ils sont désormais deux, contre trois à Pékin en 2008. Le président de la Fédération internationale, qui juge la domination des pongistes chinois "dévastatrice" pour l'intérêt du sport, a également enjoint l'an dernier les joueurs non chinois à faire d'avantage d'efforts pour se mettre au niveau...

Si la naturalisation de pongistes chinois permet d'améliorer le niveau des pays européens à court terme, elle risque à long terme de bloquer l'ascension de joueurs locaux et d'empêcher l'émergence d'une véritable concurrence. Longtemps favorable à l'exportation de ses athlètes, la Chine commence à s'émouvoir de sa domination. "Personnellement, je suis inquiet que cela ne soit dangereux pour le développement du sport à l'international", déclarait en 2009 le vice-ministre du Sport et ancien pongiste, Cai Zhenhua.

En 2011, la fédération chinoise a donc décidé d'ouvrir les portes d'un de ses centres d'entraînement aux joueurs étrangers, rapportait The Telegraph. L'objectif est, selon l'un des dirigeants de cette structure, de faire des "agneaux" étrangers des "loups" de la discipline. Il est encore trop tôt pour dire si cette concurrence "made in China" parviendra à inquiéter le dragon chinois.

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