RECIT. JO 2016 : l’équipe de France de concours complet, quand l’athlète et le cheval ne font qu’un
Cinq cavaliers et leurs chevaux de concours complet ont placé la France sur la plus haute marche du podium olympique, 12 ans après avoir remporté l'or à Athènes, en 2004.
Les champions olympiques s'appellent Karim Laghouag, Thibaut Vallette, Mathieu Lemoine, Astier Nicolas et le champion olympique 2004 Nicolas Touzaint (remplaçant). Avec leur monture, ils ont brillé dans trois épreuves aux exigences bien distinctes : sujétion au dressage, courage sur le cross et agilité au saut d’obstacles. C'est le triathlon équestre, sans doute la discipline la plus exigeante et spectaculaire de l'équitation olympique.
Au cours des huit derniers mois, nous avons suivi le quotidien des Bleus. Compétitions internationales, entraînements au jour le jour, verdict de la sélection… Voici le récit de leur préparation pour arriver au plus haut niveau à Rio.
Fontainebleau, première marche avant Rio
Il y a d’abord l'éternel petit sourire, façon jeune premier. Puis le pas déterminé, habitué aux grandes foulées. Nicolas Touzaint pénètre sur la piste. Du sable recouvre ses bottes cirées. Sa groom lui amène son cheval de tête pour la compétition : Crocket 30. Ne pas s’y fier : derrière ce nom un peu léger se cache un mental de guerrier.
Dans quelques minutes, le couple va s’élancer sur le parcours de cross de Fontainebleau. Fin mars, cet international de concours complet ouvre la saison des compétitions. Au programme de ce cross, une dizaine de kilomètres à parcourir, 25 obstacles à franchir, une bonne dose d’adrénaline et de sang-froid. L’objectif : franchir toutes les difficultés dans le temps imparti. Inutile d'épuiser son cheval pour rentrer le plus vite possible.
Parmi les trois épreuves du concours, le cross, c’est le point fort de l’équipe de France. Il ne s’agit pas d’être le plus rapide, mais de bien gérer son chronomètre. Pour cela, se rappeler le tracé de la piste découverte la veille, le nombre de foulées entre chaque combinaison, le parcours le plus adéquat pour ne pas commettre de refus devant un obstacle. Lors des reconnaissances à pied, les cavaliers doivent trancher entre des tracés plus courts, mais risqués, et des trajectoires plus évasées, mais synonymes de perte de temps. Il faut connaître son cheval et ses limites.
Pour guider les Bleus dans cette épreuve de réflexion et d’arbitrage, le sélectionneur et entraîneur Thierry Touzaint distille ses conseils. Le patriarche a l’expérience des terrains. Il est à la tête de la sélection depuis 1993. "Je suis là pour les aider à trouver les bons contrats de foulées, il y a souvent beaucoup de possibilités", résume-t-il. En équipe nationale, jusqu’à quatre couples prennent le départ, mais seuls les trois meilleurs résultats de chaque nation sont comptabilisés et additionnés. A Rio, l’entraîneur décidera de l’ordre de passage des Vestes bleues. Un choix stratégique, en fonction de la forme des cavaliers et de leurs montures. Le premier à s'élancer s'appelle l'ouvreur. A Rio c'est Astier Nicolas qui a été choisi pour remplir ce rôle.
"Ça permet de tester, précisent les cavaliers de l’équipe. Si l’ouvreur passe, on peut faire passer le second au même endroit. Ça permet aux autres de prendre plus de risques." La tactique mise au point par l’entraîneur est essentielle pour espérer la victoire de l’équipe.
Si un cavalier chute sur le cross, pour que l’équipe ne soit pas disqualifiée, les suivants doivent assurer le parcours et être plus prudents, quitte à mettre entre parenthèses leurs performances individuelles. Pour Rio, le sélectionneur Thierry Touzaint mise tout sur la compétition en équipe.
Ce jour-là, à Fontainebleau, environ 300 spectateurs ont fait le déplacement pour applaudir les meilleurs mondiaux du concours complet. Avant le départ, c’est l’heure des ultimes préparatifs pour Nicolas et Crocket 30. L’airbag est bien accroché à la selle, prêt à se déclencher en cas d’accident. Assez rares à haut niveau, les chutes n’en sont pas moins impressionnantes. Dernier galop rapide pour échauffer le cheval gris, énièmes vérifications techniques côté cavalier. Un rituel qui a son importance en concours complet.
"Nicolas Touzaint, une minute". La voix du speaker résonne dans la carrière. Le couple s’approche de la boîte de départ. Quelques badauds se pressent pour photographier une dernière fois le visage bonhomme de l’Angevin, avant qu’il ne disparaisse dans la forêt de Fontainebleau.
"Trente secondes". Tout à coup impatient, Crocket 30 se met à piétiner sur place. Nicolas tente de canaliser ses émotions mais le flegme est rapidement chassé par la crispation. Mâchoire serrée, le champion jette un dernier coup d’œil sur son chronomètre puis rentre dans la boîte. A ce moment précis, ils ne font plus qu’un.
"3, 2,1… Bonne route !"
Près du parking réservé aux cavaliers, on entend les haut-parleurs annoncer les résultats. "Parcours sans faute pour Nicolas Touzaint". Une performance qui s’ajoute au palmarès garni de l’Angevin. Depuis une quinzaine d’années, il est le visage du concours complet en France. A seulement vingt ans, celui qu’on surnomme "Nic Touz" participait à ses premiers JO à Sydney. Quatre ans après, il raflait la médaille d’or par équipe à ceux d’Athènes. En 2008, il devient l’unique Français à s’imposer sur le mythique parcours britannique de Badminton. Cette année, l'expérimenté sera réserviste pour les Jeux olympiques de Rio.
"Le fait d’avoir déjà connu ça plusieurs fois, c’est vrai que pour moi, c’est plus rassurant", reconnaît l’intéressé. Son expérience octroie à Nicolas un rôle de mentor. Il est le seul de l’équipe à s’être déjà frotté à la compétition olympique, à quatre reprises. Les autres sélectionnés courront pour la première fois sur ce type d’épreuve. "A la fois ça peut être un atout, car on y va sans trop d’appréhension, et en même temps, tout le monde en parle comme d’une compétition spéciale, concédait Thibaut Vallette lors de sa préparation. Il va falloir s’adapter rapidement."
Mais pour espérer ramener une médaille de Rio, la nouvelle génération ne doit pas se contenter de briller sur le cross. Les Vestes bleues doivent s’illustrer dans les trois épreuves de ce triathlon du cheval. Ces dernières années, l’équipe de France s’est nettement améliorée en dressage.
Sur une carrière longue de 60 mètres et large de 20, les cavaliers doivent exécuter une vingtaine de figures imposées. Déplacements latéraux, changements de pied, transitions aux trois allures, etc. Les juges notent la soumission du cheval et valorisent l’entente du couple. Comme en patinage artistique, une moyenne est ensuite calculée, elle détermine un premier classement.
"Malheureusement, ce n’est pas la discipline que préfèrent habituellement les cavaliers de complet, reconnaît le sélectionneur de l’équipe de France, Thierry Touzaint. Ils pratiquent souvent cette discipline pour le cross et aussi le saut d'obstacles… Mais on est vraiment en train de combler notre retard."
Pas le choix face à une concurrence toujours plus féroce, notamment allemande et anglaise. Serge Cornut, l’entraîneur spécialisé de la discipline auprès de l’équipe de France, souligne : "La nouvelle génération s’est vite rendu compte que si elle voulait être sur le podium, il fallait être devant dès le dressage."
Enfin, l’ultime épreuve du concours complet de Fontainebleau, le saut d'obstacles, est peut-être la plus compliquée. Ereinté par le cross de la veille, le cheval doit puiser dans ses réserves pour franchir dans le temps imparti une dizaine d’obstacles. Entre les deux épreuves, les grooms ont 24 heures pour dispenser des soins à l’équidé et lui permettre de récupérer. L’équation est simple : monter un cheval fatigué et courbaturé, c’est prendre le risque de "faire des barres", qu’il refuse de sauter, voire d’être éliminé. La sanction tombe après un troisième refus.
Comme au cross, il faut aller vite et sans faute. La performance dure à peine plus d’une minute. Avec une différence de taille : l’effort demandé à l’équidé n’est pas le même. Dans le premier cas, le cavalier sollicite l’audace du cheval pour franchir des obstacles fixes souvent très larges, quitte à ce que ses pattes touchent les combinaisons. Dans le deuxième, il lui demande de la retenue et doit rééquilibrer ses sauts à la verticale pour éviter de toucher les barres.
C’est là tout le génie du concours complet. Demander au cheval des efforts contradictoires, passer d’une position à l’autre d’une simple pression de la main, tout en gardant l’obsession de l’harmonie. Sans jamais rien laisser transparaître. Comme si le couple ne faisait qu’un, à la manière d’un centaure.
Au bout de soixante-quinze secondes, le jingle du sans faute retentit déjà. Près de la ligne d’arrivée, Nicolas Touzaint souffle, soulagé. Sa 4e place est assurée même si les Allemands réalisent un parcours parfait.
Dernier à passer, Michael Jung donne l’impression de léviter au dessus des obstacles. Le champion du monde allemand termine 1er ET 2e, avec deux chevaux différents. Près du terrain, un spectateur regarde la scène sans trop être étonné. Puis lâche, en plaisantant à moitié : "Le complet, c’est comme le football. A la fin, c’est toujours l’Allemagne qui gagne."
Une confiance à toute épreuve
Septembre 2015. Les championnats d’Europe de concours complet battent leur plein sur le terrain de Blair Castle, en Ecosse. Les Bleus sont sereins grâce à leur troisième place au provisoire, après le premier jour du dressage.
Si le cross s’annonce difficile, avec des obstacles massifs disséminés sur un parcours très dénivelé, l’équipe de France a toujours su se démarquer sur cette épreuve. "Il n’y a rien d’insurmontable, lance Karim Laghouag, avant de se mettre à cheval. Ce sont des combinaisons et des obstacles qui demandent de la concentration et une bonne gestion de l’état des chevaux. Il va falloir être attentif jusqu’au bout."
Le premier couple français s’élance sur le parcours. Il s’agit de Thibault Vallette et Qing du Briot. La veille, ils ont signé la meilleure performance des Bleus au dressage. Aujourd’hui, ils récidivent, avec un cross sans faute. Le staff est fébrile, les chances de médaille se renforcent. Mais peu avant le passage de Karim, la pluie se déchaîne. Un déluge. "Le chronomètre va être difficile", reconnaît-il. Malgré des crampons bien serrés aux fers d’Entebbe, le terrain devient boueux.
Les chevaux commencent à glisser sur le parcours.
Le couple français s’élance…
"J’aurais eu du mal à repartir si j’avais blessé Entebbe", confie Karim, six mois plus tard, dans son domaine de Nogent-le-Rotrou. "Heureusement, il ne m’en a pas voulu." D'autant plus que ces championnats d'Europe étaient la dernière chance pour les Bleus de se qualifier pour Rio, si un autre cavalier se ratait, ils pouvaient dire adieu au Brésil.
L’expérience aura finalement renforcé les liens au sein du couple, qui s’illustre peu de temps après sur le quatre étoiles de Pau, un des plus gros concours internationaux au monde. Ils finissent cinquième. "Tout a été balayé. Maintenant pour moi c’est plus une force qu’un inconvénient, ça a créé entre nous quelque chose de plus fort", sourit le cavalier en passant sa main dans ses cheveux poivre et sel. Une force exploitée tout au long de la saison, concrétisée par la sélection du couple pour les Jeux olympiques de Rio.
Mais si Entebbe s’était fait peur, cela aurait pu signer l’arrêt définitif de sa carrière en complet. Car dans cette discipline, et notamment lors du cross, la confiance est un ingrédient essentiel au succès. Les efforts et les risques demandés aux chevaux exigent un tel courage que la monture doit s’abandonner à son guide. Les configurations d’obstacles sont conçues pour tester la bravoure de l’animal. Comme des sauts dans l’eau ou au-dessus de trous de plusieurs mètres de long.
"Le cheval doit avoir une confiance tellement aveugle en son cavalier qu’il pourrait foncer dans un mur s’il le lui demandait", certifie Karim Laghouag, en flattant son cheval couleur bai-brun.
Le cavalier, avide de nouvelles expériences, est allé jusqu’à prendre ce concept de "confiance aveugle" au pied de la lettre. Avec son coach, il a entraîné Entebbe après lui avoir bandé les yeux. "Ça permet de canaliser l’énergie et la concentration. Il est complètement à l’écoute, il donne le meilleur de lui-même car il nous fait confiance", s’enthousiasme Karim. Tout ne passe plus que par le contact et la communion entre l’homme et l’animal.
Mais cet abandon à l’autre doit être réciproque. Le moindre doute, la moindre hésitation de la part du cavalier, et le cheval le sentira. L’entraîneur de l’équipe de France, Thierry Touzaint, est catégorique : "C’est hyper important que le cheval ait confiance. Le gars qui stresse, il ne va pas faire confiance à son cheval, le cheval va le sentir et s’inquiéter, et ils vont se mettre tous les deux en difficulté."
Dans les écuries de Karim Laghouag, le box d’Entebbe n’est qu’à quelques pas de la maison du cavalier. Cette proximité est essentielle, car le cavalier doit monter son cheval tous les jours, sans exception. Un travail d’étirement et de répétition des mouvements à maîtriser. Cet entraînement au quotidien permet d’établir la relation si particulière entre le cheval et son cavalier. Une grosse dose de patience et d’écoute, pour savoir jusqu'où l’équidé est capable d’aller et ne pas lui faire prendre de risques insensés lors de compétitions.
L’air goguenard, le cavalier perché sur sa monture lance régulièrement des blagues entre deux figures de dressage. Mais derrière ses facéties, le cavalier maintient son attention au maximum. Le travail qu’il impose à son cheval est essentiel : "On cherche la décontraction et le relâchement dans l’effort. C’est aussi ce que recherchent les sportifs professionnels, mais ils travaillent sur eux-mêmes. Avec un cheval c’est autre chose, il a sa propre volonté."
Le cavalier doit donc gérer les émotions et la personnalité de son partenaire. Inutile d’employer la force sur une bête de 500 kg, l’homme perdra toujours. "Si le cavalier agit avec une force brute, ça va se faire au détriment de la communication", affirme Eric Favory, médecin de l’équipe de France de complet. "Le cheval va l’accepter une fois, mais pas deux." D’où la recherche continue de cet équilibre fragile : demander sans jamais contraindre. "Il faut être très habile pour que le cheval ait envie de nous donner. Si on grille des étapes, on perdra cette étincelle qui peut faire la différence pour rivaliser avec les meilleurs", analyse Karim.
Entebbe, Crocket, Romantic Love… Les chevaux ont parfois des noms étranges, même au plus haut niveau :
Au fil des années, le cavalier a appris à connaître les particularités de son partenaire, jusqu’aux plus surprenantes. Car chaque cheval a ses lubies : "Entebbe, il n’aime pas le bleu, il a un petit bug avec cette couleur", s’amuse Karim, les yeux rieurs. Ces détails ont leur importance en compétition : si un obstacle de la couleur redoutée se présente, le cavalier sait qu’il faudra être vigilant.
Cette communication n’est pas que verbale. En équitation, tout repose sur un équilibre très subtil, presque imperceptible, entre jambes, mains et poids du corps du cavalier. Chaque déplacement infime a une signification bien particulière pour l’équidé. Un ordre discret, mais millimétré, que le cheval intègre dès son plus jeune âge. Une jambe au niveau de la sangle, une autre légèrement reculée par exemple, le cheval sait qu’il doit partir au galop.
En hiver, la saison calme des concours permet aux cavaliers d’affûter cette communion avec leur monture, aux côtés des entraîneurs officiels des Bleus. Karim retrouve alors les meilleurs cavaliers français du complet à l'Ecole nationale d’équitation, à Saumur. Ce matin de janvier, l’aube commence à peine à teinter le ciel de ses couleurs orangées. Mais bottes et sabots claquent déjà sur le sol bitumé des écuries. L’entraînement commence tôt. Le froid se condense en fine brume autour des naseaux des équidés et du visage de leur cavalier.
Droit comme un i, bonnet vissé jusqu’aux oreilles, Serge Cornut se tient au milieu du manège dédié au pôle France. Les joues de l’entraîneur spécialisé en dressage rougissent, mordues par le froid, mais il ne le réalise pas, trop absorbé à prodiguer des conseils millimétrés à son équipe. Il contemple Karim et les autres cavaliers de l’équipe de France échauffer leur monture autour de lui.
"En dressage, le commun des mortels ne voit rien, ça se transmet par le tact, c’est imperceptible. Plus le cheval est dressé, moins le cavalier intervient", détaille Serge Cornut. Jusqu’à arriver à la symbiose parfaite.
Le cavalier pense, le cheval exécute
Après la session, Karim discute avec l’entraîneur. Détendu, Entebbe renifle le sable du manège. "A force de répéter, les chevaux savent tout ce qu’on va leur demander à l’avance, faut pas rêver, lance le cavalier. On doit trouver des astuces pour toujours les surprendre, ne pas les laisser s’ennuyer."
Thierry Touzaint observe avec attention l'entraînement d’hiver. Pour les Jeux olympiques de Rio, le sélectionneur de l’équipe de France choisit des couples. "C’est compliqué, parce qu'il n'y a pas que toi, le sportif, il y a aussi ton cheval", reconnaît Karim.
Car un cavalier, aussi brillant soit-il, n’est rien avec un cheval peu performant ou blessé. Et inversement, un excellent cheval ne verra pas le soleil brésilien si son cavalier n'est pas fiable. L’homme et le cheval voient donc leur destin sportif intimement lié.
Solides destriers
Les oreilles pointées en avant, à l’affût des intonations dans la voix de son cavalier, Sirocco du Gers enchaîne les sauts dans la carrière. Dans ses installations basées au Lion d’Angers, Thomas Carlile entraîne et affûte ses chevaux de tête. Un travail et une exigence du quotidien, avec un objectif : avoir une monture au sommet de sa forme tout au long de la saison des concours.
"Les grosses épreuves, je les prépare environ six mois à l’avance. Et plus l’épreuve se rapproche, plus j’augmente mon exigence dans le travail", explique le jeune prodige du concours complet français.
Dans son regard transparaît cette obstination propre à ceux qui aspirent aux plus hautes marches du podium. Ces dernières années, Thomas Carlile est devenu une étoile montante de la discipline. "J’ai toujours aimé la compétition, reconnaît le cavalier. Je me souviens, quand j’étais jeune, une fois j’ai perdu au Monopoly et j’ai pleuré."
Surnommé "la machine à gagner", il cumule les titres sur le dos de Sirocco, avec, en tête de leur palmarès, une médaille d’or aux championnats du monde des chevaux de sept ans. Habituellement, les chevaux de complet atteignent leur meilleur niveau aux alentours de douze ou treize ans.
Pourtant, à seulement neuf ans, Sirocco du Gers rejoignait déjà l’équipe de France, sous la selle de Thomas, pour ses premiers championnats d’Europe en septembre 2015. Les Vestes bleues ont fini médaille de bronze, une performance à laquelle a largement contribué le jeune couple. "A la base, il n’a pas plus de qualités physiques qu’un autre, mais il s’est vraiment fait autour de sa volonté de bien faire et de vaincre", analyse Thomas, qui entraîne Sirocco depuis ses trois ans.
Un athlète aguerri de la croupe jusqu’au bout des sabots.
Aujourd’hui, c’est entraînement à l’obstacle au programme de l'équidé. Encore et encore, Sirocco répète les sauts, "une gymnastique hebdomadaire". Toute l’énergie du cheval est mise dans la propulsion au-dessus des barres. Il retombe, souffle et recommence quelques mètres plus loin.
Inlassablement, jusqu’à atteindre la foulée parfaite. Le corps affûté, Sirocco plie avec attention ses pattes. Soucieux de bien faire, il consacre toute son énergie à ne pas toucher l’obstacle. Thomas le congratule longuement dès qu’il passe avec succès les difficultés de l’exercice.
Ces séances d’obstacles pour développer l’agilité ne représentent qu’une partie du programme athlétique suivi par le cheval. Pour atteindre le niveau d’un champion, l’entraînement est long et rude. Avec des mises en souffle pour augmenter la capacité cardiaque de l'animal, ou encore un gros travail sur le dressage pour améliorer l’équilibre et la communication avec le cavalier.
Car, contrairement aux équidés qui ne pratiquent qu’une seule discipline, en dressage ou en saut d'obstacles pur, le cheval de complet doit être performant sur trois épreuves totalement distinctes. Comme un gymnaste, auquel on demanderait d’enchaîner une course de fond et un saut à la perche.
Il faut faire de ces marathoniens des danseurs étoiles
La discipline tire donc aux confins des capacités physiques et mentales de l’animal, qui doit se révéler un pluri-athlète accompli. Une telle exigence nécessite un suivi de tous les instants pour s’assurer que l’équidé tienne la distance mentalement. Et surtout physiquement. C’est le rôle de Xavier Goupil, vétérinaire officiel de l’équipe de France de complet.
Lors des entraînements de l’hiver, il en profite pour faire des check-up poussés de chaque cheval tricolore. Son avis est primordial pour la sélection des couples lors des grandes échéances : un cheval qui présente une faiblesse physique pourrait compromettre l’équipe toute entière.
Entre deux échographies, le vétérinaire confie son admiration pour ces athlètes équins : "Il faut des chevaux de plus en plus complets, des athlètes polyvalents. Avant, un très bon cheval de cross et moyen en dressage et à l’obstacle pouvait se classer. Maintenant, c’est terminé."
Inspectez le cheval pour trouver les blessures les plus fréquentes
Sur les terrains de concours, Xavier Goupil n’est jamais loin, son regard aiguisé posé sur les chevaux des Bleus. Avant le début des épreuves, tous les compétiteurs passent un contrôle vétérinaire, pour éviter de laisser partir sur les épreuves un cheval affaibli ou présentant une fragilité.
Mais là où l’endurance physique du cheval est la plus éprouvée, c’est à la suite du cross. La récupération est primordiale, pour que l’animal puisse repartir le plus frais possible, dès le lendemain, sur l’épreuve d’obstacles. Des minutes cruciales, où tout un staff se tient au garde-à-vous au niveau de la ligne d’arrivée.
A peine celle-ci franchie que s’ensuit une chorégraphie bien huilée autour de l’animal : sauts d’eau, éponges, électrolytes pour favoriser la réhydratation… Et toujours quelques carottes dans les poches. Le cheval est rapidement dessellé, son filet desserré, puis on l’emmène longuement marcher pour éviter les courbatures du lendemain.
Une fois la fréquence cardiaque redescendue, le sportif regagne son box. A l’issue du cross, les écuries s’animent au rythme des va-et-vient de ces hommes du cheval, qui s’affairent à la récupération de leur champion.
Une quantité abondante d’argile est étalée sur les membres des équidés. Tout au long de la nuit, la terre blanche va sécher et permettra de réduire l’inflammation créée pendant l’effort. Des bandes de repos sont enroulées autour des pattes pour maintenir les tissus tendineux et éviter les engorgements. Les petites coupures et irritations sont enduites d’onguent cicatrisant.
Chacun y va de sa méthode. Certains cavaliers ne refusent rien à leur partenaire et utilisent des couvertures massantes ou bien des gels au menthol pour refroidir les muscles. D’autres vont encore plus loin, comme l'observe Xavier Goupil : "Il y a des cavaliers qui choisissent la thalassothérapie pour permettre à leurs montures de se reposer après les grosses épreuves. Et maintenant, les chevaux de haut niveau ont tous un ostéopathe qui les suit, c’est un vrai plus."
Jusqu’à la visite vétérinaire du lendemain matin, chacun serre les dents. Les cavaliers passent tard dans la soirée dans les boxes de leur monture pour vérifier que tout va bien. Le moment est délicat. Des soins du jour dépendront peut-être la performance du lendemain.
Pour cette année, ce n’est pas la performance sportive mais bien la santé physique de Sirocco qui empêche le couple de s’envoler pour le Brésil. A quelques heures de l’annonce de la sélection française pour les Jeux olympique, la fédération nationale a annoncé le retrait du cheval bai de la longue liste. L’athlète "présente une inflammation d’un suros qui a été détectée au cours des examens pratiqués par le vétérinaire fédéral". Pour se qualifier aux grandes échéances, la forme des deux athlètes pèse plus que jamais dans le balance.
Sous la boue, les bottes cirées
Armée d’une aiguille et d’un fil noir, Oriane Sotin s’affaire sur la crinière de Romantic Love. Le cheval couleur baie réalise dans trois heures sa reprise de dressage, alors tout doit être impeccable, jusqu’à la coiffure de l’équidé. "C’est la première fois que je lui fais une crinière cousue. On a dû la faire pousser car avant elle n’était pas assez longue", raconte la passionnée, son regard bleu concentré sur l’ouvrage.
"Quand on la coiffe avec des élastiques, c’est très rapide, alors que là, pour coudre, il faut se poser, prendre son temps." Après vingt bonnes minutes de travail, elle admire le résultat : "Ça lui va super bien !" Ces tresses repliées portent un nom : les "pions". Oriane a même sa petite méthode pour les garder impeccables tout le long de l’échauffement du cheval : les fixer avec de la laque.
Dans ce sport, tout est question de codes et d’étiquettes. Les sabots sont lustrés à la graisse noire, les queues brossées au démêlant. L’importance se cache dans les détails et Oriane est la cheffe d’orchestre de cette partition de l’élégance équestre. Dans le milieu, on l’appelle la "groom" : l’écuyère des temps modernes. Cette partenaire, indissociable du cavalier professionnel, s’occupe de l’entretien quotidien du cheval et le prépare lors des grosses échéances. Elle permet au cavalier de se consacrer entièrement à ses épreuves.
"On s’occupe de tout ce qui concerne l’état physique et mental du cheval", résume-t-elle, avant d’énumérer : "Le matin, on se lève tôt pour les nourrir, nettoyer leur box, on fait leurs soins au quotidien et pendant les concours. On doit les chouchouter et les préparer pour le cavalier."
Toute cette organisation millimétrée embrasse un objectif clair : avoir le cheval le plus beau possible. "Là, je lui passe une lingette pour bébé sur les naseaux et le contour des yeux pour lui nettoyer, puis je mets de l’huile d’amande douce pour le faire briller", détaille la groom. Romantic Love patiente, habitué à toute cette agitation. "Il fait sa sieste, il aime bien se laisser faire et qu’on s’occupe de lui", sourit Oriane en lui tapotant l’encolure.
A quelques pas de là, à la douche, Lourie Bonnaud shampouine les pattes de Crocket. La groom du cavalier multimédaillé Nicolas Touzaint s’essuie le visage, puis souffle : "S’occuper d’un cheval gris, c’est le pire. Ils sont tout le temps sales. Je dois le laver plusieurs fois avant le dressage et il se roule tout le temps dans le crottin."
Si chaque détail de la préparation compte, c’est que l’épreuve de dressage revêt une part non-négligeable de subjectivité. Trois juges mettent une note sur 10 au couple pour chaque figure exécutée. Une évaluation humaine, où, même s’il n’existe pas de note d’élégance à proprement parler, l’apparence a toute son importance.
Et dans cette démonstration de beauté, le cavalier n’est pas en reste. Quand Gwendolen Fer arrive pour enfourcher Romantic Love, sa tenue a été longuement pensée : bottes cirées, chapeau haut-de-forme, queue-de-pie, pantalon blanc immaculé.
Un dernier coup de brosse sur les bottes pour retirer la poussière, et la voilà partie. Une trentaine de minutes pour échauffer le cheval puis cinq minutes de performance devant les juges. Un court laps de temps où se déploie un subtil mélange d’élégance, de légèreté et de fluidité.
Faites glisser le curseur pour découvrir le changement d'apparence de Gwendolen Fer et Romantic Love pour l'épreuve du dressage
Le lendemain : exit les tresses et les paillettes. Le cavalier abandonne sa veste queue-de-pie pour un protège-dos et troque son haut-de-forme pour un casque. C'est là l'ambivalence du complet, entre boue et cirage, entre crasse et strass. Pour chaque épreuve, les tenues changent et le comportement du cheval aussi. "Le jour du dressage, Romantic est toujours calme, presque laxiste. Mais pour le cross, il se transforme en vrai lion", raconte sa cavalière.
"Les chevaux sentent ce genre de choses", confirme Oriane. Quand on luit met les protections de cross, Romantic commence à s'exciter, il sait où il va aller. Et une fois qu'il est à l'échauffement avant le cross, je ne peux même plus l'approcher ou le toucher."
Sélectionnez les épreuves et glissez le curseur sur le cheval et le cavalier pour découvrir les différentes tenues et leurs particularités
Pour affronter la boue et l’herbe glissante, tout un attirail est prévu. La monture est cramponnée. Des trous dans les fers des équidés permettent de visser les obus, dont la taille et la forme varient en fonction du terrain. Des protections coquées préviennent les chocs contre les obstacles.
D’un jour à l’autre, l’animal aérien et élégant se transforme en bête de guerre. C’est un autre monde. D’ailleurs, à l’origine, le cross était une épreuve militaire pour former les chevaux à aller au combat. Les officiers préparaient leurs montures à être maniables, rapides, précises et endurantes. Avec cet entraînement, les chevaux devenaient aptes à affronter toutes les circonstances.
Gwendolen s’autorise tout de même quelques fantaisies pour l’épreuve. Un casque rose, facilement reconnaissable sur les terrains de concours. Et sur le filet du cheval, un discret liseré assorti, parsemé de paillettes. Pour le reste, rien de superflu, seulement du matériel solide. A la guerre comme à la guerre.
Durant l’échauffement du Grand national de Saumur, la boue vole. Il a plu dans la matinée de ce début de mars. Les poils des chevaux s’entremêlent dans un mélange de terre et de sueur. Les naseaux frémissent, les foulées résonnent, l’ambiance est électrique, bien éloignée du calme olympien du dressage. Gwendolen, concentrée, sourcils froncés, vérifie une dernière fois la sangle et son chronomètre avant de se lancer dans la boîte de départ.
Oriane trépigne à l’arrivée, une mèche rebelle dans les yeux : "C’est le moment le plus stressant. On attend, on ne peut rien faire et le speaker met toujours trop de temps à donner des informations !" Ce jour-là, Gwendolen fait une dérobade sur un obstacle à la fin du parcours. Un écart qui lui coûtera vingt points de pénalité.
Dans la soirée, Oriane nettoie avec minutie tout l’équipement de cross dans un silence déçu et prépare le matériel du lendemain. Le ballet de mise en beauté reprendra alors son cours pour l’ultime étape, l’épreuve de saut d’obstacles. A nouveau coiffés et chouchoutés, les chevaux se chargeront de faire le show.
Toujours dans l'ombre, les grooms sont pourtant un élément essentiel de l'équipe de France, et encore plus aux Jeux olympiques. Dans l'avion qui emmène les chevaux à Rio, point de cavalier, mais un vétérinaire, et un groom, pour veiller à ce que ces animaux athlètes supportent bien les 11 heures de vol.
Samedi 30 juillet, le groom de Karim Laghouag, Thomas Louis, accompagne les cinq chevaux de l'équipe de France pour leur baptème de l'air. Installés dans des stalles de trois places dans un Boeing 777 aménagé pour l'occasion, ils reçoivent régulièrement du foin détrempé et des paroles rassurantes pour éviter le stress. Le groom garde un œil tout particulier sur Entebbe, le cheval de Karim, le seul étalon de l'équipe. "Les entiers, c'est plus difficile à gérer. Moi, j'ai l'habitude, glisse Thomas Louis. Si le cheval s'agite trop, le vétérinaire devra le tranquiliser.
Sur les terres brésiliennes, le même ballet des soigneurs recommencera dans les boxes, avec sans doute une pression supplémentaire, celle de la médaille olympique.