Guerre en Ukraine : Daria Bilodid, itinéraire d'une judokate ukrainienne contrainte à l'exil
Star du judo, l’Ukrainienne de 21 ans a participé, vendredi, à Sofia, aux championnats d'Europe, en dépit d'une préparation bousculée par la guerre dans son pays qu'elle a dû quitter.
Tenter d'oublier le bruit des bombes, les routes de l'exil et les amis restés au pays. À 3 167 km de Kiev, Daria Bilodid a fait des tatamis espagnols son refuge et son nouveau départ. Prise dans la guerre qui oppose l'Ukraine à la Russie, la double championne du monde des -48 kg s'est réfugiée à Valence pour y poursuivre son entrainement. De son regard bleu d'acier, l'Ukrainienne de 21 ans rêvait, vendredi 29 avril, d'un deuxième sacre continental, lors du championnat d'Europe à Sofia (Bulgarie), malgré une préparation chaotique et deux changements de catégorie. Sa manière à elle de se battre pour son pays.
Avec un demi million de followers, Daria Bilodid est une véritable star dans son pays et documente, sur les réseaux sociaux, sa vie de sportive de haut niveau aux quatre coins du globe. Mais désormais, ce sont des appels à la mobilisation que relaie la championne sur sa page instagram. "La famille de Daria a tout perdu du jour au lendemain avec la guerre, ca a été très dur", témoigne la judokate française Automne Pavia, médaillée de bronze à Londres en 2012 et proche de la jeune Ukrainienne. "Malgré tout ce qui se passe, elle trouve la force de s'entrainer et d'aller faire un championnat d'Europe. En plus en changeant de catégorie ! Beaucoup auraient fait l'impasse, c'est une guerrière avec un mental d'acier."
Figure de proue du judo ukrainien
Née à Kiev, Daria Bilodid est un pur produit du judo ukrainien. Son père, Gennadiy Bilodid, a été médaillé de bronze au championnat du monde, et deux fois champion d'Europe. Sa mère, Svetlana Kuznetsova, est, elle aussi, judokate et entraîneure de l'équipe féminine des cadettes ukrainiennes. Si la gymnastique rythmique tente un temps la jeune Bilodid, le judo emporte rapidement son adhésion. Direction le Spartak Kiev dès ses 6 ans où ses parents l'entrainent. "Daria est très famille, elle est vraiment très gentille. Mais, sur le tapis, c'est une vraie bagarreuse. Elle a vraiment deux personnalités", souligne Automne Pavia.
"Elle est venue me voir en me disant que, quand elle était petite, elle était fan de moi ! Or elle est devenue une immense championne ! Depuis on est restés en lien, elle s'entend très bien avec les Français, elle reste beaucoup avec nous, c'est une fille hyper sympa."
Automne Pavia, triple championne d'Europe en -57kgà franceinfo: sport
Championne précoce, la jeune femme se distingue par sa silhouette élancée (1m72), très atypique au judo. Elle remporte le tournoi de Paris en 2018 puis réalise l'exploit en décrochant son premier titre mondial à 16 ans, devenant la plus jeune championne du monde de ce sport.
"Sa force, c'est sa taille mais elle utilise très bien ses atouts en termes techniques. Elle a des o-ochi incroyables, des sankaku de dingue. Elle est très agressive et monte son bras violemment. Elle sait tirer partie de sa taille", analyse Automne Pavia. À titre de comparaison, la championne olympique de sa catégorie est plus petite qu'elle de 7 centimètres. Hors des tatamis, la judokate multiplie les couvertures de magazine comme mannequin.
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Malgré une médaille de bronze loin de la contenter à Tokyo, la jeune femme s'est forgé un solide palmarès dans le paysage du judo mondial.
L'exil en Europe, de Kiev à Valence
Mais à l'aube du 24 février, son quotidien vole en éclats. Un bruit sourd la réveille. Le scénario tant redouté d'une invasion russe est devenu réalité et la guerre tape à sa porte. Un nouveau combat s'annonce. La famille plie bagage en vitesse, glisse un kimono dans le coffre de la voiture, entre des conserves et des vêtements, puis s'engage sur la route de l'exil.
Direction Uzhhorod, à la frontière ouest de l'Ukraine. Pendant 5 jours, Daria Bilodid aide, avec des amis, les réfugiés venus de l'Est, leur apporte soutien, nourriture et vêtements secs. Des enfants et des femmes arrivent alors par marées. Mais le conflit s'enlise et Daria Bilodid réalise qu'elle ne pourra pas rester en Ukraine indéfiniment. "Elle est restée au début, on était en contact. Elle ne voulait pas partir même si elle racontait à quel point c'était dur", ajoute Automne Pavia.
"Après cinq jours là-bas, j'ai commencé à comprendre que je ne pourrai pas rester. Physiquement, je ne pouvais rien faire. Je m'enfonçais dans un état de dépression. J'avais besoin de pouvoir agir, c'est ma mentalité judo qui a pris le dessus",
Daria Bilodid, championne d'Europe 2017 et championne du monde 2018 et 2019 en -48kgEuropean Union Judo
La jeune femme prend alors la décision de rejoindre Valence, en Espagne, avec sa mère et sa grand mère. Un long voyage de 3 400 km, à travers la Slovénie, l'Italie, la France et l'Espagne. "Elle a été accueillie avec sa famille par un centre d'entraînement à Valence avec d'autres Ukrainiens. Elle s'entraine fort là-bas. Sugoi Uriarte et Laura Gomez, deux anciens internationaux, l'aident beaucoup dans son quotidien. C'est un peu sa nouvelle famille, sa nouvelle vie" , raconte Automne Pavia. La jeune Ukrainienne veut reprendre le cours de sa vie, s'acclimate peu à peu à l'air doux d'Espagne, apprend désormais l'espagnol, mais n'en oublie pas pour autant ses origines. Trois mois après le début du conflit, elle se présente à Sofia avec le kimono bleu et jaune.
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Une nouvelle catégorie
Sur les tatamis, Daria Bilodid a le visage fermé, vendredi 30 avril. Les athlètes russes et biélorusses, interdits de compétition internationale en réponse à l'invasion de l'Ukraine, sont toujours autorisés à concourir sous le drapeau de la Fédération internationale de judo à Sofia. Les yeux sur son objectif, Daria Bilodid reste concentrée. Le défi est de taille. Si sa préparation a été bousculée par la guerre, l'Ukrainienne s'est alignée deux catégories au dessus de son poids habituel, en -57kg. Un saut rarement vu à aussi haut niveau.
"Ça va lui faire du bien physiquement et mentalement d'arrêter les régimes. Quand on monte de deux catégories, c'est qu'on se faisait bien mal pour y être", explique Automne Pavia, triple championne d'Europe chez les -57kg. "Daria reste très grande dans cette catégorie et retrouvera ses repères. Après les judos sont différents. En -48kg ca bouge beaucoup plus qu'en -57kg, où les filles sont plus physiques. (...) Certains ont besoin d'un temps d'adapatation mais connaissant Daria : elle s'entraine fort, elle a un gros mental".
Battue par la Française Priscilla Gneto, Daria Bilodid a vu son parcours s'arrêter précocément. Mais sa victoire est déjà d'avoir fini ce long périple, qui l'aura mené de Kiev à Sofia.
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