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La Chine, l'expansionnisme sportif à l'international

Devenir une puissance sportive globale, le rêve chinois – Episode 2. La Chine a entamé, depuis quelques années, une véritable politique du football sur son territoire avec pour objectif d’accueillir une Coupe du monde dans la décennie 2030 et de la remporter avant 2050. Mais la Chine n’a pas seulement mis les moyens à domicile pour exister, elle veut aussi être présente à l’étranger. Construction de stades, rachat de parts ou de clubs, et partenariats noués avec des grands noms du football européen, le gouvernement chinois met les moyens et s’ancre petit à petit dans le monde du football mondial.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8 min
Les supporters chinois arborent un drapeau géant de la Chine lors du match de football du groupe B de la Coupe du monde féminine entre l'Afrique du Sud et la Chine, au stade du Parc des Princes à Paris, en 2019. 
 (J.E.E/SIPA)

L’objectif de la Chine est clair, elle veut devenir une puissance sportive globale. On le sait, la Chine est une puissance politique sur la scène internationale et est aussi la deuxième puissance économique mondiale. Mais sur le dossier sportif, la Chine peine encore à s'imposer comme une véritable nation du football. Pourtant, la Chine rêve de devenir une puissance sportive globale et montrer au monde entier sa puissance sur tous les tableaux. Pour cela, Xi Jinping a mis en place à partir de 2016, un plan de développement du ballon rond.

Un plan dont les objectifs sont très simples : accueillir la Coupe du monde masculine de football dans la décennie 2030 et la gagner avant 2050. “Pour justifier son plan, Xi Jinping avait déclaré qu’il en avait assez d’être un 'nain footballistique' alors même que la Chine était un géant politique et économique. Et que, finalement, il n'était plus tolérable que la Chine s'incline sur le terrain contre des voisins de taille moindre par rapport à lui. Pour Xi Jinping, investir dans le foot est vraiment une façon d'affirmer sa puissance mais sur un autre terrain que celui de la politique, de l'économie, et donc sur un des principaux sports mondialisés”, analyse Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS, spécialiste en géopolitique du sport.   

A l’assaut du football européen  

En parallèle de ce plan national de développement, le gouvernement chinois a multiplié les politiques à l’étranger pour se faire connaître en tant que nation du football, comme celle du rachat de clubs. “Il y a eu une vague d'investissements assez importante au sein de clubs européens en Italie, en Espagne, en Angleterre, en République-Tchèque et en France, où on a vu des hommes d'affaires et des entreprises chinoises prendre de plus en plus d'importance dans les directoires de clubs”, explique Carole Gomez. La Chine est en effet devenue propriétaire partiellement ou intégralement de plusieurs clubs évoluant dans les plus grands championnats européens.  

En Premier League, les Chinois sont devenus propriétaire de Wolverhampton Wanderers Football Club (Fosun International) et ont acquis des parts de Manchester City (China Media Capital) à hauteur de 12%. En Liga, ils sont entrés au capital de l’Atlético de Madrid (Wanda Group) à hauteur de 20%, et sont devenus les propriétaires majoritaires de Grenade (Link International Sports Limited) mais aussi de l’Espanyol de Barcelone, qui évolue en deuxième division du championnat. Ils ont également à leur portefeuille l’Inter Milan (Suning Holdings Group) en Série A. En France, un fonds d’investissement chinois, IDG Capital, a obtenu 20% du capital de l’Olympique Lyonnais. Les Chinois sont aussi devenus propriétaires de deux clubs en Ligue 2, Sochaux (Nenking) et l’AJ Auxerre (James Zhou). “Xi Jinping a incité les chefs d'entreprise à investir dans le football en leur expliquant que le sport pourrait être une porte d'entrée pour s'insérer dans un marché européen ou international”, précise Carole Gomez.  

Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique Lyonnais (2e D) et Xiong Xiaoge, associé fondateur d'IDG Capital Partners (2e G), lors d'une cérémonie à Pékin le 13 décembre 2016. La cérémonie a officialisé la prise de participation de 20 % du fonds d'investissement chinois IDG Capital Partners dans l'Olympique Lyonnais.

 (GREG BAKER / AFP)

Des choix ciblés 

Ces choix n’ont pas été faits au hasard. “Dans le premier cas, ces clubs ont été choisis pour leur notoriété à l'étranger en raison de leur histoire comme l’Inter Milan, l’Atlético de Madrid, ou l’Olympique Lyonnais. Dans le deuxième cas, qui concerne l’AJ Auxerre, OGC Nice, ou l’OL, ces clubs ont comme point commun d’être des clubs formateurs. Ces choix montrent donc une vraie volonté de voir ce qui se fait en Europe, de voir comment on forme et comment on développe le football pour pouvoir le réimplanter dans les académies chinoises qu’ils ont créées”, détaille Carole Gomez. Ces investissements en Europe se sont faits de manière progressive sur plusieurs années. “Si aujourd’hui on observe d’une vision globale la politique menée par les Chinois, ces investissements se sont toutefois faits par petites touches”, constate encore la spécialiste en géopolitique du sport.  

Création de partenariats 

En plus des investissements, les Chinois ont noué des partenariats avec des clubs européens. En Espagne par exemple, en 2017, sur les 20 clubs évoluant en Liga, la moitié a noué des partenariats et des sponsorings maillots avec des entreprises chinoises. “Le Real Madrid a par exemple signé trois partenariats : avec Soxna, chargée de gérer en Chine les écoles de formation du Real ; un contrat de sponsoring avec Luyuan (véhicules électriques) ; et un contrat permettant à Alibaba de commercialiser les produits dérivés du Real en Chine”, développe le chercheur indépendant affilié au Centre de recherches et d’analyses géopolitiques (CRAG), Xavier Aurégan dans son étude “Vers une nation du football : modalités, enjeux et perspectives des investissements footballistiques chinois”. 

Les Chinois consacrent par ailleurs des sommes importantes de leurs investissements au rachat de joueurs expérimentés évoluant dans les meilleurs clubs européens comme ce fut le cas avec Ezequiel Lavezzi (ex PSG, qui a préféré dire oui à la Chine plutôt qu’à la Série A avec l’Inter), Oscar (ex Chelsea), Axel Witsel (ex Zénit, qui a dit non à la Juventus pour la Chine et qui après une saison est parti à Dortmund) etc. Une méthode qui assure en plus du transfert de ces joueurs, un transfert de savoir-faire et de compétences. Autre possibilité qu’a saisi la Chine : l’importation de ceux qui détiennent les connaissances autrement dit les formateurs, entraîneurs et managers. Parmi les têtes d’affiches parties en Chine, on peut notamment citer Marcello Lippi ou Fabio Capello.  

La diplomatie des stades  

Pour affirmer leur puissance, les Chinois ont aussi misé sur ce que l'on appelle la diplomatie des stades. Depuis la fin des années 1960, la Chine a mis en œuvre cette politique extérieure qui tend à aider à la construction et au financement d’enceintes sportives en Afrique, en Amérique latine ou encore en Asie. D’après Rachel Will, membre du bureau de Reuters à Kuala Lumpur et qui a réalisé des reportages depuis Hong Kong et Jakarta, entre 1950 et 2009, ce seraient 256,29 milliards de yuans (38,54 milliards de dollars) qui auraient été consacrés par Pékin à la construction de stades. Selon une estimation effectuée en 2010 par Africa Report et relayée par le site Play the game, la Chine aurait construit, jusqu’en 2010, 52 stades en Afrique, répartis dans 30 pays.  

"Les Chinois ont financé les constructions de stades en Afrique en échange d'un accès facilité aux matières premières, aux ressources du sol. L’intérêt est ainsi multiple pour eux : ils gagnent des marchés publics et font travailler leur propre main d’œuvre”, analyse Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport, auteur de Géopolitique du sport : une autre explication du monde (Ed. Bréal). Par cette diplomatie, les Chinois affirment leur savoir-faire dans l'ingénierie et la construction aux yeux du monde. D’ailleurs, lors de la 31e coupe d’Afrique des nations (2017), c’est davantage la Chine qui a brillé que les pays africains pour leurs performances sportives. Partout, on salue les prouesses architecturales réalisées par la Chine. Lors de cette 31e édition d’ailleurs, sur les quatre stades utilisés lors de la CAN au Gabon, trois ont été construits et financés exclusivement par ce pays.  

“Cette diplomatie des stades trouve parfaitement une résonance dans la nouvelle route de la soie” - Carole Gomez

“Cette diplomatie des stades trouve parfaitement une résonance dans la nouvelle route de la soie. Il s’agit d’un nouvel axe de développement de la route de la soie”, observe Carole Gomez. Cette nouvelle “route de la soie” est un projet titanesque mené par la Chine, qui construit à tour de bras des infrastructures gigantesques afin de créer de nouvelles routes commerciales avec l'Europe et l'Afrique. Lancée en 2013 par Xi Jinping, l’objectif est de créer une ceinture terrestre reliant la Chine à l’Europe occidentale et une route maritime vers l’Afrique. Pour se donner une idée, ce projet concernerait 65 pays soit 60% de la population mondiale et un tiers du PIB du monde.  

Les supporters des équipes assistent à la cérémonie d'ouverture de la Coupe d'Afrique des Nations 2017, le 14 janvier 2017, au stade de l'Amitié à Libreville, au Gabon, un des stades construits et financés par la Chine.  (OLIVIER EBANGA / ANADOLU AGENCY)

La Biélorussie, autre terrain privilégié pour la Chine 

Les Chinois mènent cette diplomatie des stades également en Biélorussie. Fin juin, les deux pays ont inauguré un stade de football et une piscine à Minsk financés et construits par la Chine. “En Biélorussie, c’est un peu plus compliqué, car c'est un régime qui est aligné directement sur celui de la Russie, donc cela dépend des relations entre la Russie et la Chine. Pour le moment, les relations ne sont pas bonnes mais pas mauvaises non plus”, nuance Jean-Baptiste Guégan

“L'usage de la diplomatie des stades en Chine dépend vraiment des contextes locaux. Ils ne font jamais cela par charité ou pour rendre service” -  Jean-Baptiste Guégan

Là encore, ces constructions d’infrastructures font travailler des entreprises chinoises et sécurise l'approvisionnement en énergie. “La Biélorussie est un endroit stratégique pour eux, à la fois en approvisionnement énergétique mais aussi du point de vue de la proximité qu'il y a entre le marché européen et le marché russe. Dans le cadre des nouvelles routes de la soie, l'idée c'est aussi de faire travailler les entreprises chinoises à l'étranger, de décrocher des marchés. C’est une des grandes caractéristiques des Chinois, ils viennent avec leur main d'œuvre et réalisent leur chantier en autonomie", explique Jean-Baptiste Guégan, qui poursuit : “L'usage de la diplomatie des stades en Chine dépend vraiment des contextes locaux. Ils ne font jamais cela par charité ou pour rendre service. C'est uniquement lié à leurs intérêts stratégiques nationaux.” 

Ainsi, que ce soit au niveau national ou international, la Chine a mis en œuvre une politique globale afin de développer sa nation dans le domaine du sport et notamment du football, sport mondialisé par excellence. D'une parfaite cohérence avec l’action menée par le gouvernement, cette politique se renforce d’année en année pour arriver à un seul objectif : devenir une puissance globale.  

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