La folle ascension du prize money dans le tennis depuis 20 ans
646 000 euros. Voilà ce qu'a touché Gustavo Kuerten en remportant Roland Garros en 2001 à titre de "prize-money", la récompense pécuniaire offerte au vainqueur. Dix-huit ans plus tard, en 2019, Rafael Nadal empochait 2,3 millions d’euros en soulevant la coupe des Mousquetaires. La baisse ponctuelle de 30% en 2020, en raison du contexte particulier de Covid-19, ne remet pas en cause la dynamique globale d'inflation des récompenses. En deux décennies, les sommes remises aux vainqueurs de tournois du Grand-Chelem ont littéralement explosé, ce qui place les légendes actuelles de tennis parmi les sportifs les mieux payés de l’histoire du sport.
"On est dans une évolution permanente", indique Arnaud Clément. L'ancien joueur est clair : "J’ai arrêté en 2012. Depuis, l’évolution en Grand-Chelem est dingue". Cette évolution ne s'est pas faite sentir uniquement pour les vainqueurs. "Aujourd’hui même si on perd au premier tour des quatre Grand-Chelems, on a largement de quoi financer sa saison avec un entraîneur. Avant, un joueur qui était au 90e rang mondial n’avait pas les moyens d’avoir un entraîneur, un préparateur physique et de se déplacer avec sa famille", assure le finaliste de l’Open d’Australie 2001.
Une époque de légende
Roger Federer, Rafael Nadal ou encore Novak Djokovic, sont les locomotives de cette ascension fulgurante. En s'octroyant tous les records possibles ils ont accru l’intérêt des spectateurs, des caméras et des marques pour ce sport. De quoi faire "basculer le tennis dans une autre ère économique", selon Lionel Maltese, responsable du développement économique à la Fédération française de tennis.
Pour celui qui est également consultant sport, business et marketing, "les prize-money ont augmenté parce que les ressources financières du tennis ont augmenté." Et celles-ci sont venues de toutes parts. "Si les Grand-Chelems peuvent mettre autant d’argent, c’est parce que les droits télé sont de plus en plus importants", explique Jean François Caujolle, directeur de l’Open 13. Dès le début des années 2000, Roger Federer a éclaboussé le monde du tennis de son talent, rapidement suivi par Rafael Nadal et Novak Djokovic. Ces trois là sont encore présents sur le circuit et ont offert à la planète, une rivalité inégalée dans l’histoire : "Il est très rare d’avoir des légendes en même temps et c’est ce qui est arrivé dans le tennis", indique Lionel Maltese.
"Voir les affrontements et les légendes, c’est extraordinaire, ça se diffuse", insiste-t-il. "Ils ont fait augmenter les droits télé." Ces joueurs sont capables, uniquement par leur présence, d’attirer des chaînes de télévision sur des tournois parfois secondaires. "Federer va faire son retour à Doha, il y a des télés qui n’avaient pas prévu d’y être et finalement beaucoup vont venir uniquement pour lui (...). Quand on fait des tournois et qu’on annonce des grands noms, ça a un impact", assure celui qui participe également à l'organisation du tournoi de Lyon et de l’Open 13 à Marseille.
Des joueurs devenus des marques
Ces légendes ont réussi, uniquement par leurs performances sur les courts, à devenir extrêmement attractifs. Pour Lionel Maltese, "Federer et Nadal sont des méga stars. Ce sont des personnalités sportives et marketing assez uniques alors qu’ils n’ont pas des personnalités à finir dans les journaux people." Certaines marques, sponsors de grands tournois, ont créé des partenariats avec ce trio de légendes, à l’image de Kia, partenaire de l’Open d’Australie depuis 2003 et qui a choisi l’année suivante Rafael Nadal comme ambassadeur. Cette collaboration dure encore aujourd’hui.
"Les prize-money ont augmenté parce que les contrats extra-sportifs ont augmenté pour une quinzaine de joueurs qui sont des 'happy few' [de rares privilégiés]", explique Jean-François Caujolle. Mais pour Lionel Maltese, ces stars ont poussé le concept très loin : "La force de Federer c’est qu’il est l’un des meilleurs chefs d’entreprise de l’histoire du sport. Il a marqué l’économie et le marketing du sport d’une manière aussi importante que Michael Jordan". Le Suisse a su maintenir des partenariats de longue date mais a également créé ses propres marques qui ont contribué à augmenter l’attractivité autour de lui.
L’Asie, un accélérateur
L'aspect géographique a également participé à cette forte ascension des prize-money dans le tennis. L’Asie connaît un engouement très fort pour ce sport grâce à la percée de certaines stars du continent. "Kei Nishikori a déjà eu un impact important, c’est l’un des plus 'bankable' pour les médias, il générait près d’un demi-million de droits télé à chaque match en Grand Chelem quand il était dans le Top 10", raconte Lionel Maltese. Mais selon lui, cet intérêt s’est accru ces dernières années.
"Naomi Osaka est la marque la plus puissante du tennis féminin aujourd’hui", assure-t-il. La jeune Japonaise est l’une des stars du circuit après avoir déjà remporté quatre Grand-Chelems à 23 ans, dont le dernier Open d’Australie. Pour Lionel Maltese, elle a pris également la relève sur le plan marketing : "Osaka a développé sa marque, elle a remplacé Maria Sharapova en termes d’égérie économique et sportive". Ces nouvelles têtes d’affiche asiatiques ont largement contribué à augmenter l'attrait du continent pour le tennis.
"L’impact est très fort sur la WTA", analyse ce spécialiste. En effet, de prestigieux tournois du circuit féminin ont fait leur apparition sur ce continent, comme Pékin, Wuhan mais surtout Shenzhen. Depuis 2019, les huit meilleures joueuses du circuit s’y retrouvent pour disputer le Masters en fin de saison. Et la Chine n’a pas lésiné sur les moyens pour accueillir cet événement phare, en offrant le plus gros prize-money de l’histoire du tennis : 4,42 millions de dollars, à Ashleigh Barty, titrée en 2019.
Un gap entre les majeurs et les tournois secondaires
Pourtant, Jean-François Caujolle l’assure, "le tennis n’est pas un sport où il y a beaucoup d’argent pour les joueurs par rapport à son économie globale." L’organisateur de l’Open 13, un tournoi ATP 250, estime qu’il y a encore du travail à accomplir : "Les Grand-Chelems sont à la hauteur, les Masters 1000 se font tirer les oreilles mais commencent à être corrects. En revanche, la catégorie 250 n’y est pas du tout". Dans cette catégorie, des écarts existent même entre les tournois comme à Doha où le prize money est de près d’un million d’euros alors qu’il est autour de 650 000 à Montpellier. Tout cela avant la crise du Covid.
"Il ne faut pas que le gap se creuse trop entre les plus gros tournois et les plus petits de l’ATP", ajoute l’ancien joueur professionnel. "Si les prize-money sont trop faibles, les tournois sont dévalorisés." Pour ces tournois secondaires, la médiatisation a également un rôle très important : "Les droits télé, c’est le nerf de la guerre pour rehausser l’économie générale". Mais depuis une dizaine d'années et l’avènement des réseaux sociaux, la consommation de ce sport se fait également à travers des bribes de matches, des points exceptionnels ou des coups de sang de joueurs. Le digital a désormais une place prépondérante dans ce monde.
Une baisse à prévoir à l’avenir ?
À respectivement 39, 34 et 33 ans, il semble très probable que la page Federer-Nadal-Djokovic se tourne durant cette décennie avec de possibles conséquences sur les prize-money. "J’imagine qu’il y aura moins d’audience sur certains matchs pendant plusieurs années parce que ces trois en génèrent beaucoup", indique Lionel Maltese. Un avant-goût a d’ailleurs eu lieu lors de la dernière édition de l’US Open. Alors que Nadal et Federer avaient déclaré forfait et Djokovic était, lui, éliminé prématurément en huitièmes de finale après une disqualification.
Malgré une finale pleine de rebondissement qui a vu Dominic Thiem remonter un handicap de deux sets à rien face à Alexander Zverev avant de triompher et remporter son premier majeur, les téléspectateurs américains n’étaient que 1,32 million devant ESPN, contre 2,75 millions l’année précédente pour voir Nadal empocher son quatrième titre à New-York. Si cette tendance s'affirme après la retraite du prestigieux trio, le prize-money pourrait être revus à la baisse pour un avenir un peu moins radieux.
-
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.