La réduction de la sanction contre les Russes est un "nouveau coup dur" pour l'AMA, d'après un spécialiste
La réduction de la sanction contre la Russie, de quatre à deux ans, par le TAS, vous a-t-elle surpris ?
Lukas Aubin : "Non. Je m'y attendais. Historiquement, on a toujours vu que le TAS a eu tendance à minimiser les décisions de l'AMA. C'est dû au fait que le TAS fait des enquêtes plus longues dans le temps, par rapport à l'AMA qui est plutôt dans la réaction et qui prend des décisions 'court-termistes'."
Certains parlent d'une clémence du TAS à l'égard du dopage. Vous semblez dire qu'il s'agit plus d'un "travail plus approfondi". Est-ce bien cela dont il s'agit ?
L.A : "Ce n'est pas de la clémence. La Russie est moins méfiante à l'égard du TAS que de l'AMA, elle est donc plus coopérative avec cette institution. J'imagine que les enquêtes sont plus faciles à réaliser pour le TAS. C'est d'ailleurs une des seules institutions reconnues par le pouvoir russe comme étant une institution de régulation légitime. D'ailleurs, on le voit, les décisions de l'AMA sont toujours retoquées par le TAS."
Cette décision est-elle une mauvaise ou une bonne nouvelle pour les Russes ?
L.A : "C'est clairement une bonne nouvelle pour le camp russe. Certes, leur position a toujours été de dire que le dopage n'était pas généralisé ou institutionnalisé, et le TAS infirme cette position. Mais la durée de la sanction a été réduite, comme ils le demandaient. C'est donc une demi-victoire pour le camp russe. Et clairement, je pense que ça va pousser les Américains à aller à l’encontre du multilatéralisme en matière de lutte antidopage. Donald Trump vient justement de promulguer le Rodchenkov Act, une loi imaginée pour contourner la justice sportive internationale, qu'ils estiment inefficace (ndlr : le Rodchenkov Act permet aux Etats-Unis de poursuivre hors de leurs frontières toute personne impliquée dans une affaire de dopage à l’échelle internationale). Cette décision va clairement les conforter dans l’idée que l’AMA et le TAS ne suffisent pas, et qu'ils doivent agir unilatéralement."
Est-ce un coup fatal pour l'AMA ?
L.A : "Fatal, je ne sais pas, mais c’est un nouveau coup dur, ça c'est certain. Ce qui est intéressant, c'est que l'AMA se fait attaquer de toutes parts. Elle se retrouve entre deux feux, au milieu de cette nouvelle guerre froide du sport entre les Etats-Unis et la Russie. Il y a à la fois les Russes qui disent qu’elle est financée par les Américains et donc, qu'elle est à leur solde. Et il y a les Etats-Unis qui estiment justement qu'ils lui donnent trop d'argent pour des résultats pas assez efficaces."
Le TAS évoque le "besoin de changer la culture". Ils ne nient donc pas les conclusions de l'AMA sur le système de dopage. N'est-ce pas là plutôt une vision différente de la question du dopage ?
L.A : "C'est une vision différente effectivement. Pour une fois, les athlètes sont considérés. Il ne faut pas oublier que les sportifs sont souvent des marionnettes. En Russie, ils sont souvent dopés à l'insu de leur plein gré par exemple. Je le sais car mes recherches portent justement sur ce système. Vladimir Poutine utilise le sport comme un outil politique, et les régions, les provinces, cherchent toujours à plaire au prince. Pour cela, un bon moyen est de ramener des médailles d'or."
Pensez-vous que cette sanction puisse faire changer les choses ?
L.A : "Je l'espère en tout cas. Le problème, c'est qu'une fois encore, et même si la considération pour les athlètes apparaît dans la justification du TAS, les principaux responsables de ce système étatisé s'en sortent très bien. Ils ne sont pas du tout inquiétés, et occupent toujours des postes à responsabilité. Tout ça pose la question de la nature même des sanctions de la lutte antidopage. Ne faudrait-il pas viser en priorité les responsables ?"
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