Le 22 avril 1994, la FFF radiait à vie Jean-Pierre Bernès du monde du football
Il y a un an, en avril 2019, Jean-Pierre Bernès philosophait au micro d’Europe 1 sur le métier d’agent de joueurs : "Il y a des gens qui font ce métier qui ne mériteraient pas de le faire. (…) C’est un métier qui doit être considéré, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, c’est un métier très mal vu. (…) Il faut que ce soit un métier qui soit beaucoup plus régulé. Une régulation s’impose. Il faut mettre des règles." Mais si les règles avaient été suivies à la lettre, et jusqu'au bout, Jean-Pierre Bernès n’aurait probablement pas pu devenir agent de joueurs.
Le 22 avril 1994, la Fédération française de football (FFF) décide en effet de radier Jean-Pierre Bernès du monde du ballon rond. Celui-ci ne peut plus "prétendre à vie à la délivrance d’une licence lui permettant d’exercer une fonction officielle dans le football français." La sanction est prononcée suite à son implication dans l’affaire VA-OM de 1993. Bernès, qui travaille pour le club marseillais depuis 1981, est alors directeur général et le bras droit de Bernard Tapie, arrivé comme président en 1986.
La veille du match, le 19 mai 1993, Bernès passe un coup de téléphone au défenseur Jacques Glassmann pour qu'il "lève le pied" pendant la rencontre. C'est ce que révélera le Valenciennois à son entraîneur et un de ses coéquipiers à la mi-temps du match. Suite à la révélation du scandale - Bernès a tenté de verser 250 000 francs à des joueurs valenciennois sur demande de son président -, il n’échappe pas à la justice et est condamné en novembre 1995 par la cour d’appel de Douai à 18 mois de prison avec sursis et 15 000 francs d’amende pour corruption active.
L'ami Migliaccio
Condamné par la suite dans l’affaire des comptes de l’OM, Bernès subit donc la sanction de la FFF et tombe en dépression, comme il l’explique dans son autobiographie parue en 1995, Je dis tout. "Son rebond en tant qu’agent impressionne d’autant plus", souligne Stanislas Frenkiel, historien du sport à l’université d’Artois et auteur d’Une histoire des agents sportifs en France, les impresario du football (1979-2014), qui s’est penché sur le cas de celui qui est devenu l'un des hommes les plus puissants du métier en France. En 1996, la FIFA décide d’annuler la décision de la FFF après que l'ancien directeur général de l'OM ait livré des informations sur le "système Tapie".
En 1999, Bernès obtient sa licence d’agent de footballeurs après avoir passé l’examen oral… au siège de la FFF. Dès lors, son ascension est fulgurante et ce, grâce à un homme. "Bernès peut compter sur Alain Migliaccio (l’agent de Zinédine Zidane, Youri Djorkaeff ou encore Laurent Blanc, ndlr) qui est son grand ami depuis 1984", affirme Stanislas Frenkiel. Lorsqu'il était directeur général de l’OM, Bernès a en effet facilité la tâche d'Alain Migliaccio pour signer plusieurs internationaux du club comme Éric Cantona, Carlos Mozer ou Enzo Francescoli. Lors de son arrivée sur le marché des agents de joueurs, Jean-Pierre Bernès est considéré comme un "pestiféré, mais Migliaccio lui renvoie l’ascenseur et lui confie son premier contrat avec Florian Maurice, qui joue alors à Marseille", explique l’historien du sport. Dès lors, les deux hommes entretiennent des liens étroits et s’occupent conjointement de joueurs comme Franck Ribéry, Samir Nasri et Jérémy Ménez.
L’ancien bras droit de Tapie se distingue cependant en "devenant l'un des premiers agents d’entraîneurs en France", souligne Stanislas Frenkiel, après que Bernès ait signé des contrats pour gérer les intérêts de Christophe Galtier, Jean Fernandez, Alain Perrin, Laurent Blanc ou encore Didier Deschamps. Lors de l’arrivée de ce dernier à la tête de l’équipe de France en 2012, son contrat le liant à Bernès provoquera d’ailleurs des remous. Noël Le Graët, président de la FFF depuis 2011, voit d’un mauvais œil l’arrivée dans le giron de la sélection de l’ancien directeur général de l’OM, dont il a dénoncé les actions lorsqu’il était président de la Ligue de football professionnel (LFP) en 1993.
Un milieu pragmatique
Mais qu’importe, Jean-Pierre Bernès, qui "s’est racheté une conduite en dénonçant le système Tapie", selon Stanislas Frenkiel, est jalousé dans le monde des agents de joueurs, au sommet duquel il a su grimper grâce notamment à son amitié avec Alain Migliaccio. Méprisé par certains pour ses anciens déboires judiciaires qui resteront pour lui une "plaie à vie" comme il l’a expliqué sur Europe 1 l’année dernière, l’ancien dirigeant de l’OM profite d’un milieu pragmatique où tout le monde a intérêt à parler à celui qui gère le plus de joueurs.
Selon Stanislas Frenkiel, "Bernès aimerait retrouver un poste de dirigeant au sein d’un club professionnel". Ce qu’il avait failli réaliser en avril 1998, lorsque Bastia lui proposa le poste de directeur sportif du club, avant de se rétracter "compte tenu de la tempête médiatique déclenchée par l’annonce de [sa] venue." Mais pour l’historien du sport, il ne serait pas impossible de voir Bernès retrouver ce type de fonctions : "Le football a la mémoire courte." Une faculté à occulter le passé qui a donc permis à Jean-Pierre Bernès de devenir l’un des agents les plus puissants de France.
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