Cet article date de plus de quatre ans.

Le casse-tête des assurances annulation pour les organisateurs d'événements sportifs

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, les annonces de report et d’annulation de compétitions sportives tombent en cascade. Pour l’industrie du sport, les pertes économiques sont considérables. Afin d’amortir la chute, certains organisateurs d'événements ont pu être indemnisés grâce à une assurance annulation qui couvre les risques épidémiques. Mais dans les faits, très peu souscrivent à ce type d'assurance, et encore moins à la clause épidémie, dont le prix est élevé. Et qui selon les assureurs, pourrait disparaître du marché pour un certain temps en raison de la crise actuelle.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
  (SVEN SIMON / SVEN SIMON)

Au début du mois d'avril, les organisateurs de Wimbledon annonçaient l'annulation de l'édition 2020 du tournoi de tennis en raison de l'épidémie de coronavirus. Face à la difficulté de jouer en fin de saison sur un gazon détérioré par le début de l'automne, le All England Club, qui organise l'épreuve, a préféré l'annuler plutôt que de la reporter. Pour la première fois depuis 1946, un tournoi du Grand Chelem n'aura donc pas lieu. Mais alors que l'industrie du sport commençait tout juste à payer un lourd tribut en raison de l’épidémie et que le tournoi de Wimbledon devait rapporter plus de 250 millions de livres de recette (284 millions d’euros), les Britanniques ont sorti une carte que personne n’avait vu venir : une assurance annulation qui couvre le risque d'épidémie.

Depuis 2003 et l’épidémie de SRAS, les organisateurs du All England Club payaient en effet chaque année 1,6 million de livres (1,8 millions d’euros) pour s’assurer contre ce risque, aux côtés d’autres clauses prises en charge comme la mort de la reine ou des attaques terroristes. Un "investissement" conséquent que certains organisateurs doivent aujourd’hui envier : le All England Club a ainsi été indemnisé à hauteur de 114 millions de livres (131 millions d’euros) pour l’annulation de l’édition 2020 du tournoi de Wimbledon.

Un coût élevé

Car depuis l'annonce concernant Wimbledon, aucun autre organisateur n’a encore officiellement fait marcher une assurance couvrant les épidémies afin d'annuler son événement. Et ce car les assurances annulation sont loin d’être répandues dans le monde du sport, et encore moins les clauses liées à un risque épidémique. La raison ? "Une assurance annulation, ça coûte cher", souligne Laurent Cellot, directeur Sports et Loisirs chez Gras Savoye Willis Towers Watson, société qui assure les grands événements sportifs français. "Ça peut paraître cher au regard de ce que ça couvre", poursuit le courtier en assurances qui affirme que le coût peut représenter 1 à 2% du budget total de l’événement concerné.

Si Laurent Cellot assure que tous les événements dont Gras Savoye est l'assureur peuvent faire jouer la garantie "épidémie ou pandémie", nombreux sont les événements sportifs en France à ne pas bénéficier d’assurance annulation. Théoriquement, seuls deux pouvaient, selon les spécialistes, être couverts en cas d'épidémie : le Tour de France et Roland-Garros. Contactés pour cet article, les organisateurs de ces deux événements que sont ASO et la FFT n’ont pas souhaité préciser s’ils avaient souscrit à une telle clause, alors que les deux événements ont été reportés respectivement à fin août et fin septembre.

S'assurer contre une annulation, impensable pour certains sports

Pour les organisateurs d’événements sportifs de taille intermédiaire, le coût que représente la garantie épidémie était trop élevé pour se couvrir. "Mon prédécesseur avait regardé, c’était entre 35 000 et 40 000 euros par an", affirme Antoine Sueur, directeur du comité d’organisation du tournoi de tennis de Lille dont la 3e édition, qui devait se dérouler en mars, devrait être annulée. Près de 40 000 euros sur un budget annuel de 430 000 euros pour le Play In Challenger de Lille, on se rapproche davantage des 10% qui sont rapidement dissuasifs.

Une clause épidémie que certains sports n’osaient même pas imaginer se payer, comme les courses cyclistes autres que le Tour de France. "Le risque lié à l’état sanitaire actuel n’est assurable qu’à des tarifs que le cyclisme ne peut se permettre de payer", soutient Marc Madiot, président de la Ligue nationale de cyclisme. Ce que confirme Bernard Martel, président du Comité d’organisation des 4 Jours de Dunkerque, annulés alors que le départ devait avoir lieu ce mardi : "Les courses de notre niveau, en ProSeries, ne peuvent même pas se permettre de prendre une assurance annulation. Alors une clause épidémie, c’est loin d’être envisageable."

Une demande plus importante ?

Rebutés par le coût de l’assurance annulation et de la garantie épidémie, certains organisateurs se montrent également méfiants face au principe même d’assurance pour des événements sportifs. "Vous allez payer une cotisation et après on va vous dire que vous n’êtes pas indemnisable", rétorque Pierrick Guesné, président des Boucles de la Mayenne, course cycliste annulée qui devait se dérouler fin mai. "On ne pouvait pas imaginer que le tournoi serait annulé", soutient quant à lui Ronan Bélile, directeur du tournoi de tennis de Saint-Brieuc. Coûts élevés, méfiance et probabilité très faible qu'un tel événement se produise, expliquent donc que très peu de manifestations sportives aient pu faire jouer une assurance annulation en cette période.

Pour les compétitions qui se déroulent sur le long terme, comme les championnats de football ou de rugby, souscrire à une assurance annulation est encore plus impensable. "L’appréhension du risque par les clubs est de se dire que sur les 20 ou 30 matches organisés chaque saison, un ou deux peuvent être reportés, et encore c’est très improbable", confirme Laurent Cellot. Par conséquent, les estimations évaluent à moins de 10% le nombre de clubs professionnels assurés aujourd’hui pour des annulations de rencontres.

Générer un "matelas de primes"

Malgré tout, certains organisateurs ont cherché à se tourner vers leurs assureurs lorsqu’ils ont dû annuler leur événement. "On a constaté une réaction d’achat, mais c’est trop tard. Certains veulent souscrire à la clause épidémie alors que c’est le moment où il n’est pas possible de l’obtenir", explique Franck Cornil, responsable Sports & Events au sein de la compagnie d'assurances Marsh. Alors que la crise actuelle devrait sérieusement entamer les trésoreries des clubs ou des organisateurs, ce dernier voit cette période comme un déclic qui doit faire prendre conscience que s’assurer devient indispensable :"Il faut que les acteurs du sport transforment leur perception d’achat d’assurance en investissement". Un peu à la manière des organisateurs du tournoi de Wimbledon.

Mais avec la crise, les prix de ces assurances risquent d'augmenter, et la garantie épidémie pourrait disparaître du marché. "Je pense que cette garantie va disparaître au moins jusqu’au milieu de l’année prochaine et la pandémie ne sera plus assurable comme les guerres", soutient Laurent Cellot. "D’autres assureurs ne vont même plus travailler sur la partie annulation pendant un temps", précise quant à lui Franck Cornil. Car si les acteurs du monde du sport vont être impactés par la crise, leurs assureurs aussi. Le monde de l’événementiel, qui comprend donc l’industrie du sport, déplorerait 5,5 milliards d'euros de sinistres dans le monde, pour un total de primes d’assurance estimé à environ 550 millions d’euros.

Les assureurs au tapis ?

Selon les deux courtiers interrogés, si le secteur ne sortira pas indemne de la crise, il pourrait s’en remettre à condition que les assurances se généralisent dans le monde du sport : "Si on veut retrouver une mutualisation et une assurabilité d’un risque épidémie demain", explique Laurent Cellot, "il faut un matelas de primes le plus large possible, pour que les risques soient mieux couverts et que les organisateurs puissent gagner en sérénité". Mais au sortir de la crise, difficile d’évaluer si les organisateurs d’événements sportifs tiendront en priorité à s’assurer, notamment en raison de l’augmentation des prix avec une clause épidémie dont le coût pourrait exploser.

"De toute façon, je n’envisage même pas d’en prendre à l’avenir", rétorque Antoine Sueur, le directeur du tournoi de tennis lillois. Pour convaincre leurs clients de s’assurer à nouveau après la crise, les compagnies d’assurance vont devoir se montrer créatives et convaincantes. "Mais pour le moment, on est encore sur le champ de bataille", précise Franck Cornil. C’est donc dans le monde de l’après coronavirus que les assureurs chercheront à démontrer à leurs clients l'impérieuse nécessité de se couvrir, afin de pouvoir imiter les organisateurs de Wimbledon en cas de nouvelle crise mondiale.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.