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Le football grec au bord du gouffre, la menace d'un Grexit refait surface

Ce dimanche, le PAOK reçoit l’Olympiakos pour le compte de la 25e journée de Superleague, le championnat grec, dans une rencontre décisive pour la course au titre. La rivalité entre les deux clubs bat son plein mais en ce moment, c’est sur le terrain judiciaire que se joue réellement le match entre les deux équipes. Un différend oppose en effet les deux clubs et ravive la menace d’un Grexit, comprenez une suspension des compétitions européennes. La faute aux propriétaires du PAOK et de l’Olympiakos, deux oligarques dont l’influence dépasse le simple cadre du football.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

Alors que Mathieu Valbuena vient de prolonger d’une saison son contrat avec l’Olympiakos, pourra-t-il participer à une compétition européenne l’année prochaine avec le club du Pirée ? Les événements des dernières semaines laissent à penser qu'un Grexit, à savoir une suspension des clubs grecs de toutes les compétitions européennes, pourrait se concrétiser. Déjà évoquée pour des faits de violence, de corruption ou à cause des problèmes financiers des clubs de la Superleague, la menace Grexit pointe le bout de son nez en raison cette fois d’un duel auquel s’adonnent les présidents du PAOK et de l’Olympiakos, les deux meilleures équipes du pays.

Depuis fin janvier, Evangelos Marinakis, le président de l’Olympiakos, et Ivan Savvidis, le président du PAOK, se rendent coup pour coup. Tout comme les services de communication des deux clubs, qui multiplient les communiqués. La raison à l’origine de cette affaire qui secoue le football grec ? Une révélation de One Channel TV, un média grec détenu par Marinakis, qui reproche à Savvidis de détenir, via son neveu, le club de Xanthi, également pensionnaire de la Superleague. Un acte de multipropriété interdit par la Fédération hellénique de football (HFF).

Conformément aux règles de la HFF, une commission indépendante a requis la relégation immédiate du PAOK et de Xanthi en deuxième division. Ce qui a poussé le gouvernement, conscient de l’impact d’une telle décision, et son porte-parole Stelios Petsas à intervenir : "Le pays ne peut pas se permettre d’être divisé à cause du football". "Le fait que le gouvernement s’implique montre à quel point cette situation est importante et dangereuse, explique Sotiris Milios, journaliste sportif pour le site d’informations grec SDNA. La classe politique a peur que cela puisse dépasser le cadre du football."

Combat de coqs

Au-delà du football donc, le duel qui oppose Savvidis à Marinakis est surtout le symbole d’un malaise qui traverse la Grèce. À l'instar de l’Italie, les désaccords sont profonds entre le nord du pays, où évolue le PAOK à Thessalonique, et le sud, terre de l’Olympiakos à Athènes. "Les habitants de Thessalonique et des alentours se plaignent régulièrement, auprès des différents gouvernements, d’un manque d’investissement et d’argent dans le nord du pays", précise Sotiris Milios.

En multipliant les placements financiers à Thessalonique et en effaçant toute la dette du PAOK qu’il détient depuis 2012, Ivan Savvidis, d’origine russe et qui a fait fortune en devenant actionnaire majoritaire d’une compagnie de tabac russe, s’est rendu très populaire dans le nord du pays. Mais il s’est également taillé la réputation d’un homme sulfureux, après être entré sur la pelouse, un pistolet à la ceinture, dans un match qui opposait son club à l'AEK Athènes en mars 2018. Des images qui avaient fait le tour du monde et qui lui avaient valu une suspension de stade.

Malgré ses écarts, Savvidis est considéré "comme un dieu par les supporters du PAOK", affirme Sotiris Milios. "Savvidis, c’est l’empereur qui part en croisade contre la capitale", décrit Martial Debeaux, journaliste français spécialiste du football grec. Avec l’arrivée de Savvidis, le PAOK est revenu au premier plan du football grec, en remportant le dernier championnat et les trois dernières Coupes de Grèce. Un nouveau rival vu d’un mauvais œil par Marinakis, le président de l’Olympiakos.

"Marinakis a trouvé en la personne de Savvidis quelqu’un capable d’incarner un président très fort et qui est en mesure de faire du Marinakis." Ce dernier, également président de Nottingham Forest, est l’un des hommes les plus riches du pays et son influence va bien au-delà du sport puisqu’il entretient de nombreuses relations au sein du gouvernement et est l'un des hommes phares du port du Pirée, au nord d'Athènes. Son business d'armateur lui a d'ailleurs causé quelques soucis judiciaires, la justice l'ayant accusé en 2018 de se servir de ses activités portuaires pour faire fleurir le trafic de drogues. Et parmi ses autres activités, Marinakis détient donc la chaîne de télévision à l’origine de la révélation de multipropriété.

L'UEFA et la FIFA à la rescousse

Alors que la justice devait rendre un jugement concernant une possible relégation du PAOK et de Xanthi mardi, elle a décidé de repousser la décision d’une semaine. Le jour de l’arrivée dans le pays de représentants de l’UEFA et de la FIFA, déjà au chevet du football grec depuis plusieurs années. En effet, l'UEFA mandate par exemple des arbitres pour officier lors des grandes rencontres de Superleague, pour éviter tout problème de corruption. Une aide demandée par le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis : "Le sport va être redessiné avec l’aide internationale et de l’assistance technique". Et si l’aide des deux organismes venait à échouer, l’ombre du Grexit pourrait se faire de plus en plus menaçante.

Pour le journaliste Sotiris Milios, la situation n’incite pas à l’optimisme : "Le football grec est dans une situation inextricable. C’est l’enfant terrible de l’UEFA depuis plusieurs années. Dès qu’elle règle un problème, le football grec en crée dix de plus." "Les propriétaires de clubs en Grèce sont incapables de penser dans l’intérêt collectif, juge Martial Debeaux. À force de se bouffer les uns les autres, ils bouffent le football grec." Face à tous ces problèmes, beaucoup sont fatalistes et verraient d’un bon œil une remise à zéro du ballon rond hellénique : "Le football grec est malade, constate Sotiris Milios. Le Grexit serait un désastre financier mais ce serait la bonne décision pour un nouveau départ."

Si aucune décision de taille n’est prise, le journaliste grec craint de voir la situation pourrir et toujours plus s’aggraver. À quelques heures de la rencontre entre le PAOK et l’Olympiakos, aucun problème n’est envisagé lors du match : les supporters et les dirigeants sont conscients qu’ils pourraient perdre gros en cas d’incident. Mais alors que le Grexit n’est plus un simple mirage, les tensions perdurent : "C’est tout sauf du football maintenant, se désole Martial Debeaux. C’est un duel entre deux hommes omnipotents qui sont presque plus puissants que le gouvernement. Mais quel sera le prix à payer ?"

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