Le rugby sud-africain toujours empêtré dans la question raciale
Il y a six mois, Siya Kolisi est devenu à 27 ans le premier Noir à diriger le XV national en test-matches. Un événement dans le petit monde du rugby local, qui peine encore à se débarrasser de son image de sport de Blanc. Le troisième ligne s'est invité dans le débat lors d'une récente visite au Japon, théâtre de la prochaine Coupe du monde. Interrogé sur les quotas par l'agence de presse Kyodo, Siya Kolisi a répondu: "Je ne crois pas que (Nelson Mandela) aurait soutenu ça, mais je ne l'ai pas connu."
Icône de la lutte anti-apartheid et apôtre de la réconciliation, le premier président noir d'Afrique du Sud avait fait sensation en 1995 en endossant le maillot des Springboks à l'occasion de la finale mondiale remportée face aux All Blacks néozélandais. "Je ne voudrais pas être sélectionné juste à cause de ma couleur de peau", a précisé le capitaine, "ça ne serait sûrement pas bon pour l'équipe et mes partenaires le sauraient." Dans un pays où la "transformation radicale" des structures héritées de l'apartheid reste une priorité du gouvernement, sa sortie lui a valu une avalanche de critiques.
"Patrons blancs"
"Il est dommage que certains fassent de grands discours sur ce que Mandela aurait fait", a déploré Stan Henkeman, le directeur de l'Institut pour la justice et la réconciliation (IJR). "Son geste de réconciliation ne doit pas être considéré comme une bénédiction de la façon dont le rugby est géré." Sur les réseaux sociaux, la critique a rapidement viré à l'insulte contre le joueur, mariée à une Blanche. "Encore un esclave qui défend les propos de ses maîtres", l'a ainsi incendié un internaute, Wesley Fester, "sans quota, ses patrons blancs n'auraient même pas remarqué son talent".
Elue du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, la cheffe de la commission des sports au Parlement a jugé les propos de Siya Kolisi "malheureux". "Il faut des quotas pour les sports qui résistent au changement", a insisté Beauty Dlulane. Sous le régime raciste blanc, les Noirs étaient interdits d'équipe nationale de rugby, une politique qui a longtemps mis l'Afrique du Sud au ban des compétitions internationales.
Les Springboks y ont été réadmis deux ans après la libération de Nelson Mandela (1990), mais leur transformation de l'intérieur a avancé très lentement. Un seul Noir portait leur maillot lors du titre mondial de 1995, deux pour celui de 2007... Le soupçon de la promotion par la race n'a épargné aucun des sélectionnés de couleur qui les ont rejoints.
"Ca ne marche pas"
Dernier en date, le sélectionneur Allister Coetzee (2015-2018). Après un règne calamiteux de 11 victoires en 25 matches, il a été remplacé par le Blanc Rassie Erasmus. Aux termes d'un accord passé entre la Fédération sud-africaine de rugby et le gouvernement, le nouveau coach est censé emmener une moitié des joueurs de couleur au Japon. Mais l'objectif paraît encore lointain. La saison dernière, le XV national n'en a aligné que cinq en moyenne au coup d'envoi.
La preuve que la politique des quotas ne suffira pas à changer la couleur du rugby sud-africain, ont souligné ceux qui ont pris la défense de Siya Kolisi. "Si vous voulez parler de transformation, il faut commencer ici, dans les townships", a lui-même souligné le troisième ligne dans son entretien au média japonais. "Si je n'avais pas fréquenté l'école anglaise, je n'aurais pas mangé correctement, je n'aurais pas eu la même croissance et pas la même préparation que les autres", a-t-il insisté, "prendre juste quelqu'un (pour sa couleur de peau) ne marche pas".
"#SiyaKolisi a totalement raison. Les quotas tuent l'Afrique du Sud", a applaudi un internaute, Rikesh Ishwarlall, "les quotas ne marcheront pas s'ils restent appliqués de façon injuste". "Le gouvernement ne devrait pas se préoccuper de la composition raciale de nos équipes nationales", a lui aussi estimé le chercheur Marius Roodt, de l'Institut sur les relations raciales (IRR), "mais plutôt faire en sorte que le plus d'enfants possible aient la chance de pouvoir faire du sport". Vaste programme, dans un pays où l'éducation publique est notoirement défaillante.
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