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Le sponsoring sportif des compagnies aériennes, un trésor proche de se brûler les ailes avec la crise ?

Depuis le début de la crise économique liée à l’épidémie de Covid-19, de nombreuses questions entourent les contrats de sponsoring sportif. Certains partenaires d’événements ou de clubs se sont désengagés, tandis que d’autres ont d’ores et déjà annoncé que des renégociations de contrats à la baisse auraient lieu. Certaines entreprises laissent planer le doute, à l’image des compagnies aériennes provenant du Moyen-Orient, partenaires omniprésents dans le milieu du sport. Les clubs et ces compagnies aériennes étatiques, co-dépendants pour des raisons économiques et stratégiques, pourraient grandement pâtir de la crise actuelle.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

Désigné comme le grand perdant de la période que vient de traverser le football français, Jean-Michel Aulas a au moins une raison d'être satisfait. À défaut de voir l’Olympique Lyonnais participer à la prochaine édition de la Ligue des champions, le président rhodanien n’a pas perdu le plus gros contrat de sponsoring de l’histoire du club. Pourtant, à quelques mois près, l’OL aurait peut-être dû se résigner à lui dire adieu, tant la crise économique actuelle frappe durement son futur partenaire.

Début février dernier, alors que l’épidémie de Covid-19 n’avait pas encore atteint l’Europe, Aulas et l’OL officialisaient un contrat de partenariat avec Fly Emirates, la compagnie aérienne étatique de Dubaï. Contre 20 millions d’euros par saison pendant cinq ans, le club rhodanien s’est ainsi engagé à inscrire "Fly Better" sur son maillot et à afficher la marque Emirates dans le Groupama Stadium. Un contrat en or, digne des plus grands clubs européens, comme le soulignait Jean-Michel Aulas lors de l’officialisation : "L’arrivée d’Emirates parmi nous représente une opportunité incroyable pour notre club et pour notre métropole. Nous sommes ravis d’être accompagnés par un véritable leader de classe mondiale. C’est une marque premium qui dispose d’une expérience éprouvée dans le football et le sponsoring sportif".

Des contrats faramineux pour des clubs au 7e ciel

Avec du recul, et si la crise économique mondiale était survenue quelques semaines plus tôt, le groupe Emirates aurait peut-être refusé de s’engager sur un si gros contrat. Grand habitué du sponsoring sportif, la compagnie aérienne de Dubaï est partenaire de nombreux événements à travers le monde (Roland-Garros, US Open, Open d'Australie, Formule 1...) et de clubs de football (AC Milan, Benfica, Hambourg, Olympiakos). Emirates verse ainsi 70 millions d'euros par saison au Real Madrid ou encore 45 millions à Arsenal pour être sponsor maillot de ces clubs. Etihad Airways, compagnie aérienne issue d'Abu Dhabi, est le sponsor de Ferrari, de la MLS ou encore de Manchester City, club auquel il débourse 48 millions d'euros par an. Qatar Airways, enfin, est sponsor du Paris Saint-Germain, du FC Barcelone, du Bayern Munich, ainsi que de la FIFA ou de la Conmebol. La compagnie aérienne de l'émirat verse surtout 13,3 millions d'euros par an à l'AS Roma, l'un des plus gros contrats de sponsoring en Italie.

Pour ces trois compagnies aériennes étatiques, "s’engager avec des clubs de football et dans le sport leur permet de se rattacher à des marques que l’on reconnaît. L’objectif est d’attirer des gens dans leur pays pour développer le business du tourisme dans la région", explique Simon Chadwick, professeur à l’EM Lyon, spécialisé dans la politique et le sport et qui vient de publier un article scientifique sur l'impact du Covid-19 pour ces compagnies aériennes. Pour Dubaï, Abu Dhabi et le Qatar, ce soft-power à coups de partenariats en or est efficace : la marque est facilement reconnaissable et ces États font parler d’eux à l’international. De l’autre côté, les clubs et institutions sportives voient l’argent couler à flot. "Cette association à long terme est une excellente opportunité pour nos deux marques", résumait ainsi Jean-Michel Aulas lors de l’officialisation du nouveau partenariat.

Selon le groupe Brand Finance, qui évalue la puissance des marques à travers le monde, les entreprises issues du Moyen-Orient sont ainsi à l’origine de plus de 30% des montants issus de contrats de sponsoring auprès des 50 plus gros clubs européens de football. "Ces contrats de sponsoring fonctionnent car le football est un sport globalisé, ce qui permet aux compagnies aériennes qui ont des aspirations mondiales d’atteindre des clients et de potentiels clients à travers le monde", explique sur le site du groupe Bryn Anderson, directeur chez Brand Finance.

Crise économique et turbulences

Mais avec la crise économique et l’arrêt de l’activité qui ont eu lieu dans le monde ces derniers mois, tout ce bel équilibre semble vaciller. Les 69 organisations issues du monde du sport qui sont actuellement partenaires d’Emirates, d’Etihad Airways et de Qatar Airways ont observé avec inquiétude l’arrêt total du trafic aérien. "Surtout, il y a eu d’importantes réductions des dépenses budgétaires dans toute la région du Golfe, les licenciements se multiplient et les compagnies aériennes vont voir leurs revenus diminuer", souligne Simon Chadwick. Financées par les pouvoirs publics, ces trois compagnies très influentes dans le monde du sport vivent forcément très mal la baisse des revenus dans le secteur aérien, estimée mi-avril à 314 milliards de dollars (278 milliards d’euros) pour 2020 par l’Association internationale du transport aérien. Mi-mai, Qatar Airways envisageait déjà de licencier plus de 9 000 employés, tandis qu’Emirates visait un plan de départ de 30 000 de ses salariés.

Malgré tout, début avril, Thierry Sauvage, le directeur général de l’OL, se montrait plutôt confiant : "Je ne vois pas pourquoi le contrat (avec Emirates, ndlr) serait remis en cause." Une assurance que comprend Simon Chadwick : "Je ne vois pas les contrats actuels prendre fin prématurément. Il y a une question de fierté et de logique partenariale auxquelles tiennent ces compagnies : on ne rompt pas avec son partenaire en cours de route". Dans les années à venir, il ne serait cependant pas impossible de voir ces compagnies aériennes se désengager du milieu du sport.

Vers une baisse ou un désengagement ?

"Mais le sponsoring sportif est tellement important pour ces pays et leur soft-power, qu’ils ne peuvent pas vraiment se désengager totalement", nuance le chercheur britannique, qui pense en revanche que les contrats vont être "largement revus à la baisse". Le Real, dont le contrat avec Emirates se termine en 2022, ou l’AS Roma, qui voit son deal avec Qatar Airways prendre fin en 2021, devront négocier durement pour atteindre les mêmes montants que ceux prévus dans les précédents accords.

Le temps des partenariats en or, chapeautés par ces compagnies aériennes étatiques provenant du Golfe pourrait donc s’atténuer en raison de la crise économique. De manière générale, le sponsoring devrait considérablement baisser en 2020. Selon l’International Events Group, le monde devrait connaître une baisse de 10 milliards de dollars (8,86 milliards d’euros) de contrats de sponsoring sur l’année, alors que ce marché représente 62,8 milliards de dollars (55,57 milliards d’euros) en tout.

Lors de son dernier match contre l’OGC Nice, l’Olympique Lyonnais avait inscrit un message parlant sur son maillot : "Dubaï is Open". Probablement une demande de son sponsor Emirates, pour rappeler aux touristes potentiels que la vie a repris son cours à Dubaï. Alors que son partenaire devra patienter avant de voir si cet outil de soft-power reste efficace malgré une reprise timide de l’activité, l’OL se frotte les mains et peut se féliciter d’avoir signé ce contrat en or qui ne prendra fin qu’en 2025.

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