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Légalisation du MMA : comment l'octogone a fini par se faire une place dans l'Hexagone

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11 min
L'une des stars du MMA, Conor McGregor (de face), affronte l'Américain Eddie Alvarez lors du championnat du monde poids légers au Madison Square Garden de New York (Etats-Unis), le 12 novembre 2016. (JEFF BOTTARI / ZUFFA LLC / GETTY IMAGES)

Le petit village gaulois qui résistait à l'invasion du MMA va céder, en 2020. Dans les faits, ce sport est pourtant pratiqué en France depuis près de trente ans.

L'an 1 du MMA en France, ce sera pour 2020. Dès le 1er janvier, la discipline sera reconnue, a promis la ministre des Sports, Roxana Maracineanu. L'appel d'offres lancé pour trouver la fédération sportive qui accueillera le MMA (pour "mixed martial arts", arts martiaux mixtes) dans son giron s'achève, mercredi 27 novembre. Elles sont plusieurs en lice, de la fédération de judo à celle de lutte, en passant par le kick-boxing. Derrière cette procédure, c'est la fin de vingt-cinq ans de semi-clandestinité, pour un sport regardé de travers et objet de beaucoup de fantasmes. En attendant la venue de la star de la discipline Conor McGregor, qui sortirait de sa vraie-fausse retraite pour combattre à Bercy ? 

Merci Jean-Claude Van Damme

On vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Le MMA, alors appelé "combat libre" ou "free fight", est né en 1993, avant la généralisation d'internet dans les foyers, dix ans avant Facebook et en l'an -12 avant YouTube. La préhistoire, quoi. "J'en ai entendu parler dans un magazine spécialisé et je crois que j'ai trouvé la VHS en kiosque, un an après le tout premier gala de l'UFC [la structure américaine qui domine aujourd'hui le MMA]." Mathieu Nicourt, pionnier de ce sport en France, n'a pas une longue barbe blanche à la Panoramix, mais il fait figure de vieux sage du MMA, de cette génération qui l'a découvert sur magnétoscope.

On ne dira jamais assez à quel point la VHS a joué un rôle déterminant dans la diffusion de ce sport. "Ce qui a fait infuser le principe du MMA dans la pratique des arts martiaux, c'est le film Bloodsport, avec Jean-Claude Van Damme", raconte le promoteur Mohamed Temmar. Lui-même a vibré devant les exploits du Belge, qui incarne Frank Dux, champion de karaté inscrit dans un tournoi opposant les meilleurs spécialistes d'arts martiaux. Initialement sorti en vidéo, le film fera un tel carton qu'il sortira aussi en salle (près d'un million d'entrées en France, n°1 du box-office à ce moment-là).

Piocher des techniques en lutte, en karaté ou en ju-jitsu, voilà une démarche qui titille les amoureux d'arts martiaux, toujours à l'affût du coup de Jarnac qui surprendra l'adversaire. Mathieu Nicourt s'essaie alors à la lutte et au grappling, pour perfectionner sa gestuelle au sol. Reste à tester en compétition ces nouvelles armes. C'est là que le bât blesse. En France, les événements se comptent sur les doigts d'une main.

"J'ai organisé des événements pendant dix ans, entre 1994 et 2004, avec les règles du MMA, se rappelle Mohamed Temmar. Je louais des salles, on organisait nos compétitions de combat libre sur tatami, quelques fois sur un ring. Au fil des années, on n'est jamais monté au-delà de 100, 150 spectateurs. Vu les budgets, tout ce qu'on pouvait faire pour se faire connaître, c'était de l'affichage sauvage, ou du tractage dans des zones fréquentées." La réputation sulfureuse du free fight attire un public qui surprend l'organisateur. "On avait des partenaires comme Skyrock, je m'attendais à voir débarquer des gars de cité", souffle-t-il.

L'odeur du sang attirait surtout des familles. Je me souviens d'avoir vu des poussettes se faufiler dans l'assistance.

Mohamed Temmar

à franceinfo

Les connaisseurs existent, mais se déplacent pour d'autres occasions, quand les stars de l'UFC font un crochet par l'Hexagone. Le Brésilien Rickson Gracie, dont la fratrie régnait sur l'UFC à l'époque, vient donner un cours à Paris ? Le gymnase Tristan-Tzara, dans le 18e arrondissement de Paris, est plein comme une rame de la ligne 13 du métro aux heures de pointe. "Cinq cents personnes avaient payé leur place 500 francs, on n'avait pas un mètre carré par personne pour travailler", sourit Mohamed Temmar.

C'est le temps héroïque du MMA, où certains événements sont montés avec moins de 1 000 euros et beaucoup de système D. "J'ai emmené des élèves au Havre, dans une rue mal éclairée, avec un car de CRS garé au fond, au cas où ça tournerait mal", se souvient Mohamed Temmar. La compétition se déroulait dans un garage ou un parking, avec trois pauvres chaises pour les gens de la protection civile, on était obligés de rester debout, sans vestiaire pour se changer, et pas de toilettes."

Merci La Poste

Forcément, les cracks filent à l'étranger pour étaler leur technique. Mathieu Nicourt passe ainsi beaucoup de temps à La Poste, à envoyer des VHS de ses quelques combats en France aux promoteurs étrangers. Le premier colis est pour un promoteur anglais, qui, séduit, organise un embryon de championnat d'Europe. La VHS du combat, remporté par Mathieu Nicourt, traverse ensuite l'Atlantique pour atterrir sur le bureau de promoteurs américains.

A l'époque, le MMA n'a pas bonne presse au pays de l'Oncle Sam, et il n'y a plus guère que les réserves indiennes, Etats dans l'Etat, avec un casino en prime, qui organisent ce type de joute. "Je suis reparti avec une plume d'aigle en plus de ma prime", sourit Mathieu Nicourt, qui n'a jamais touché plus de 3 000 euros pour un combat. Le format du DVD s'impose, et le colis suivant, vers le Japon, coûtera un peu moins cher en frais de port. "Je pesais 72 kg à l'époque, ma catégorie de poids n'existait pas. Je me suis retrouvé face à un moins de 80 kg, les plus légers", raconte celui qui fera une apparition dans un téléfilm consacré à Michel Houellebecq, en 2014.

Le Japon, c'est l'autre eldorado des pionniers du MMA, avec le prestigieux "Pride". Bien souvent, "les Français y sont envoyés pour servir de faire-valoir à des favoris désireux de se relancer", souligne Yann Ramirez, sociologue spécialiste du MMA. Quand il vient faire son marché en France, un des hauts gradés de l'organisation courtise Bertrand Amoussou, alors 38 printemps, ex-membre de l'équipe de France de judo. "Je me suis fait désirer", sourit l'intéressé. "J'ai eu beau arguer que j'avais arrêté la compétition depuis six ans, il n'a rien voulu savoir. J'ai reçu une invitation officielle une semaine après." 

Au Japon, Bertrand Amoussou débarque dans un autre monde : "Il y avait des fans jusque devant mon hôtel. L'un d'eux m'a présenté une feuille pour me demander un autographe, tout tremblant. Puis m'a montré son fond d'écran de téléphone : c'était une photo de moi ! Alors que j'étais un parfait inconnu. J'avais déjà fait des Mondiaux de judo, ça n'avait rien à voir." Sur le programme, Amoussou est présenté comme un champion de judo. Son adversaire Yasuaki Miyazono, 12 ans de moins, trois kilos de plus, l'attaque sur la boxe. "Quand il a vu que j'avais du répondant, il a été déstabilisé dès les premières secondes. Son expression a changé, je savais que j'allais gagner."

Bertrand Amoussou, ancien combattant de MMA, lors d'un entraînement, le 3 octobre 2013 à Paris.  (FRED DUFOUR / AFP)

Bertrand Amoussou demeure le seul Français à avoir gagné un match dans cette compétition. D'une façon générale, lever les bras à l'étranger relève de la gageure. Fernand Lopez, le Guy Roux du MMA français – pas pour le bonnet, mais pour le côté éleveur de champions – résume la problématique. "Longtemps, les Français ont rasé les murs. Quand on était bon, on n'était pas pris, car il ne fallait pas freiner la progression d'une star locale dans un gala à l'étranger. Et quand on était pris, c'était pour perdre." Beaucoup évoquent leurs souvenirs de rencontres serrées sur le ring. Sauf pour les juges.

C'était connu qu'en Russie, il fallait gagner par K.-O. ou par soumission, sinon le match était perdu.

Bertrand Amoussou

à franceinfo

Encore aujourd'hui, demandez à Zarah Fairn, unique combattante tricolore retenue à l'UFC. "Quand on arrive à la décision des juges, ce n'est pas toujours très clair", selon elle. "Je me souviens qu'au Bamma [une compétition britannique], je n'avais pas une égratignure, mon adversaire était très marquée, mais pour eux, c'est elle qui avait gagné. Clairement, ils m'ont volé ce combat." C'est le serpent qui se mord la queue : pour accéder à l'UFC, il faut avoir un bon ratio victoires/défaites, mais il faut aussi se risquer dans des traquenards à l'étranger. Alors émerger au plus haut niveau mondial tourne au parcours du combattant pour les Français.

Merci les aires de jeux McDo

Il faut attendre le milieu des années 2000 pour que les Français puissent s'entraîner sur un pied d'égalité avec les autres compétiteurs, quand James Schiavo importe le premier octogone, le ring grillagé icônique du MMA. N'allez pas croire qu'on en trouve chez Ikea ou à la boutique de l'UFC. Là encore, le système D est de rigueur. Lui et son frère Samy cherchent depuis un bail une manière de fabriquer une cage sur le modèle américain (5 mètres de diamètre minimum) quand tout se débloque, un beau jour de 2004. "On était au McDo et on a 'bloqué' sur les aires de jeux pour enfants. Les poteaux recouverts de mousse et reliés par du grillage nous ont fait penser à une vraie cage de MMA."

Le combattant américain Junior Dos Santos est examiné par le médecin lors de son combat contre le Franco-Camerounais Francis Ngannou, le 29 juin 2019 à Mineapolis (Etats-Unis). (DAVID BERDING-USA TODAY SPORTS/S/SIPA / SIPA USA)

Renseignement pris auprès du gérant du fast-food, le fabricant est belge. Passé l'incrédulité initiale, quand les frères Schiavo lui passent un coup de fil, le commerçant lâche : "Je ne vois pas trop pourquoi vous voulez vous battre dans une cage, mais je peux vous la construire !" Le premier octogone arrive en France moyennant 8 000 euros et la vente de la voiture de Samy. L'investissement valait le coup, pour James Schiavo. "Les pratiquants de toute la France sont venus chez nous pour se prendre en photo dans la cage." 

Cette cage, c'est la cerise sur le gâteau des fantasmes populaires sur le MMA qui fleurissent en France. Y compris au ministère des Sports, qui a longtemps laissé planer le doute. Mohamed Temmar garde un souvenir amer d'une réunion en haut lieu, en 2004. "Je venais de me faire retirer les clés d'une salle où était prévu un gala, je débarque au ministère des Sports, un Code du sport sous le bras. On me soutient que le MMA est interdit", raconte le promoteur. "Je fais mine de chercher dans le bouquin, en sachant pertinemment qu'il n'y avait rien, quand finalement mon interlocuteur lâche : 'Vous avez raison, on laisse planer cette rumeur. On attend juste qu'il y ait un mort pour pouvoir légiférer pour de bon.'"

Merci la politique

Jouant sur ce flou artistique, Fernand Lopez organise un gala de MMA au Cirque d'Hiver, à Paris. "Les places se sont arrachées en quatre jours", se rappelle le promoteur. "Sans promo. Sans promettre qu'il y aurait du MMA", insiste Fernand Lopez. Au départ, il annonce du pancrace, nom antique d'une sorte de MMA sans coups au sol. La demande est déposée en préfecture, qui ne cille pas.

Autorisation tacite en poche, Fernand Lopez change le programme au dernier moment. "Cinq jours avant le gala, j'ai donné le feu vert à l'installation de la cage." Le ministère en a vent et dépêche une batterie d'inspecteurs, pour traquer la moindre irrégularité, en vain. "On avait 1 900 personnes dans la salle, et 1 000 qui attendaient dehors en espérant des places. Résultat net : une perte de 70 000 euros, une fois la location de la salle, la cage, les combattants, les arbitres et le staff médical payés. Je le savais en avance."

Monter ce gala était un acte politique.

Fernand Lopez

à franceinfo

C'est d'ailleurs grâce la politique que le MMA sort de l'ombre. Arrive dans les bagages d'Emmanuel Macron, élu président en 2017, l'escrimeuse Laura Flessel, qui a tâté du MMA à la fin de sa carrière. S'enclenche un discret processus de légalisation – "régularisation", préfèrent dire les pratiquants. Sans que le regard de la société ne change aussi vite que la loi. "Quand le centre social a vu une salle de MMA s'ouvrir à côté de chez eux l'an dernier, ils ont crié au secours", décrit Sylvain Thomas, président du club "Né pour combattre" à Saint-Chamond, dans la Loire. "Ils ont mis du temps à comprendre que nous faisons le même travail, poursuit-il. Je suis là pour apporter des valeurs aux jeunes, celles des arts martiaux. Petit à petit, la gamberge a changé de camp. Cette année, j'ai vu arriver trois adhérents, envoyés par le centre social."

La Française Zarah Fairn aux prises avec l'Australienne Megan Anderson lors de l'UFC 243, au Marvel Stadium de Melbourne (Australie). (JASMIN FRANK-USA TODAY SPORTS/SI/SIPA / SIPA USA)

Même les combattants au sommet de leur art ne se font pas d'illusions : la fortune et la gloire, ce sera pour la génération suivante. "Je suis rentrée à l'UFC avec zéro sponsor, tous les équipements, je les ai payés moi-même, j'ai rogné sur les massages, les séances de kiné, alors que j'en avais besoin", lâche la self-made-woman Zarah Fairn. "J'ai fini par m'expatrier à Stockholm pour rejoindre une grosse structure et ne plus avoir à m'occuper d'un staff." La championne a conservé sa salle à Ambérieu-en-Bugey, dans l'Ain. A 32 ans, elle découvre avec joie l'engouement des plus jeunes pour son sport : "Mon cours d'initiation pour les 5-6 ans est plein cette année. J'ai fait visiter le centre à tous les parents qui le souhaitaient, pour lever les doutes. J'ai fait fabriquer à l'étranger des gants sur-mesure. Mon objectif, c'est qu'un jour l'un d'eux soit la tête d'affiche de l'UFC."

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