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Les métiers de l'ombre du sport : les chronométreurs face au vide du calendrier sportif

Dans l’ombre des athlètes, divers corps de métier œuvrent au quotidien pour faire rayonner le sport. Parmi eux, les chronométreurs. Alors que l’ensemble des événements sportifs ont été reportés ou annulés à cause de la crise liée au coronavirus, les chronométreurs se retrouvent à l'arrêt. Premiers touchés par les mesures d’interdiction de rassemblements de masse, leur filière pourrait être une des dernières à repartir.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
  (FRANK MOLTER / DPA)

Ils exercent dans l’ombre des grands événements sportifs. Souvent invisibles aux yeux du grand public, ils sont pourtant indispensables à la bonne tenue de ces événements. Sans eux, ces manifestations ne pourraient tout simplement pas avoir lieu. Les chronométreurs sont ceux qui réalisent les classements des participants sur une course à pied, un triathlon, une compétition de natation ou de cyclisme par exemple. Pour les épreuves de masse, les systèmes les plus utilisés sont les puces collées au dossard des sportifs afin de détecter leur passage à la ligne d’arrivée et ainsi indiquer un temps et un classement. Une compétence fondamentale donc.  

"Une activité réduite au zéro absolu"

Alors, avec la vague de reports d’événements sportifs, le métier de chronométreur se trouve lui aussi durablement touché. Pour les entreprises du milieu, c'est une traversée du désert de plusieurs mois qui s’annonce. Gérald Chalamet, gérant de la société Chrono Consult, qui propose des prestations de chronométrage ainsi que la vente de matériel pour les événements de masse, a dû mettre ses trois salariés en chômage partiel. “On se retrouve avec une activité réduite au zéro absolu. En tant normal, sur les mois d’avril, mai et juin, je réalise plus de la moitié de mon chiffre d’affaires annuel”, indique Gérald Chalamet. Mais sa plus grande inquiétude porte sur l’évolution de la situation. “Généralement, l’été est plutôt calme et l’activité repart en septembre et octobre, explique Gérald Chalamet. Si à cette période, l'activité ne reprend pas, ça risque d’être vraiment compliqué.”

Pour Serge Wehrel, chargé de mission à Chrono compétition, le constat est le même. Les trois salariés de sa société sont en chômage partiel, et la marque, qui aurait dû installer les logiciels de chronométrage sur les championnats de France de cross-country à Montauban en mars, s’attend à une perte de 200 ou 300 000 euros sur l’année à cause de la crise sanitaire liée au coronavirus

A l’arrêt également, l’entreprise de Guillaume Fontaine, fondateur et directeur de Prolivesport, a pourtant beaucoup de travail. Avec la double casquette de chronométreur et organisateur, Guillaume Fontaine doit gérer les demandes de remboursements de participants et répondre à leurs nombreuses questions sur les événements annulés ou reportés.

“Depuis début février, je suivais de très près ce qui se passait en Chine. J’ai donc anticipé un peu en bloquant certains investissements et embauches pour voir comment allait évoluer la situation. C’est ce qui nous a sauvés.”

Quand il dresse un premier bilan de cette crise, il constate que plus de 70 événements sur lesquels il était engagé sont annulés ou reportés. “Nous devions être présents en mars sur la Coupe d’Europe Elite de triathlon à Liévin. Pour nous, c’était un gros dossier et ce type d’événement se prépare bien en amont. Quand les organisateurs ont décidé de reporter l’événement, 80% de la préparation était déjà faite, mais nous n'avons reçu aucun paiement”, souligne Guillaume Fontaine. Financièrement, le directeur de Prolivesport affirme s’en sortir pour le moment, mais pour combien de temps ? “Depuis début février, je suivais de très près ce qui se passait en Chine. J’ai donc anticipé un peu en bloquant certains investissements et embauches pour voir comment allait évoluer la situation. C’est ce qui nous a sauvés.”

La crainte de la reprise

Mais l’anticipation seule ne suffit pas. L’entreprise Chrono Consult devait, elle, participer au Grand prix de Serre Chevalier, une compétition très connue dans le monde de la glisse et qui rassemble 2000 concurrents. Pour cet événement, Gérald Chalamet avait prévu 32 systèmes de chronométrage, accompagnés de 2000 transpondeurs qui permettent de suivre chaque sportif tout au long du parcours. “Ce matériel coûte très cher, 50 euros l'unité à l'achat. Si vous faites le calcul, c’est un investissement à hauteur de 100 000 euros. L’achat de ces transpondeurs fait partie d’un plan d'investissement sur plusieurs années. Ainsi, sur une prestation comme celle-ci, on a un manque à gagner sur chaque transpondeur qui n'est pas utilisé”, précise Gérard Chalamet, dont l’entreprise a déjà essuyé une première annulation sur la Transjurassienne pour manque de neige. 

Ces patrons d’entreprise ont aussi une crainte quant à la reprise des activités. En effet, beaucoup d’événements sportifs ont été reprogrammés à l’automne, mais ces professionnels du secteur s’inquiètent d’un embouteillage sur un court laps de temps. Car en plus des nombreux reports, il y a aussi des événements déjà prévus à ces dates-ci. “Les calendriers sont déjà chargés en septembre et octobre. Même si nous comprenons les choix des reports, il y aura un véritable embouteillage d’événements à ce moment-là. On s'organise pour être en mesure de répondre à tous nos clients qu'on avait historiquement au printemps et qui ont fait le choix de décaler leur manifestation à l'automne”, confie Serge Wehrel de Chrono compétition.

  (ZHANG TAO / XINHUA)

“On estime que notre taux d'activité à l’automne bondira de 150 ou 200 % en plus par rapport à l'an passé.”

Ces reports nombreux inquiètent aussi Guillaume Fontaine. “On estime que notre taux d'activité à l’automne bondira de 150 ou 200 % en plus par rapport à l'an passé. Tous ces reports vont créer des contraintes, car nous allons devoir embaucher du personnel supplémentaire et le former pour répondre à la demande.” Une question supplémentaire pour ce gérant qui va devoir engager des frais, alors que ses rentrées d’argent sont au plus bas. 

Autre inquiétude, technique cette fois, pour Guillaume Fontaine, la superposition d’événements. “La Coupe d'Europe Elite de triathlon à Liévin, prévue en mars, a été reportée en octobre. A cette période-ci, nous avions aussi un événement en Corse et un troisième événement à Marrakech qui est également prévu, énumère Guillaume Fontaine. Cela va donc être très compliqué d’être présent partout, surtout quand il s’agit de grands événements qui nécessitent beaucoup de préparation avec un nombre important de personnels et de temps sur place.” 

Premiers arrêtés, derniers à reprendre 

Si le confinement de la population a commencé le 17 mars, les premières mesures ont été prises bien avant. Dès fin février, les autorités françaises ont annoncé l’interdiction sur le territoire de tous les rassemblements de plus de 5 000 personnes. Les milieux de l’événementiel ont donc été parmi les premiers à être touchés. Et seront probablement dans les derniers à repartir. “Dans tous les cas, peu importe si nous sommes déconfinés en mai ou en juin, ça va être compliqué de retravailler correctement avant septembre. Ainsi, un arrêt d’activité entre mi-février et fin août, c’est très différent des deux mois de confinement imposés à la plupart des entreprises. La difficulté est donc d’avoir assez de trésorerie pour tenir et anticiper la reprise”, s’inquiète Guillaume Fontaine. D’autant plus qu'à partir du moment où l’activité repartira, il faudra encore attendre un mois supplémentaire pour que les entreprises reçoivent les premiers paiements. 

Une crainte que confirme Gérald Chalamet. “Toutes les entreprises de chronométrage n’ont pas une grande trésorerie. Il est probable que certaines ferment. Ce qui aura pour conséquence notamment que des organisateurs se retrouveront sans chronométreurs pour leur événement, et ça, ça va être un vrai problème”.  

Des aides, mais jusqu'à quand ? 

Le grand défi de ces patrons est donc de tenir dans la durée et pouvoir être capable de se relever dans quelques mois. “Quand on sera déconfinés, les aides de l’Etat continueront-elles ? Si elles s’arrêtent et que nous devons tenir encore plusieurs mois sans activité, comment ferons-nous ?, s'interroge Guillaume Fontaine. Je fais donc le point avec mon comptable à chaque annonce des autorités pour savoir comment nous pouvons nous en sortir.”

Même si il est encore trop tôt pour mesurer les dommages causés par cette crise sanitaire inédite, il y a fort à parier que des répercussions économiques se poursuivront en 2021. “On sait que les organisateurs qui font appel à nous, pour organiser eux-mêmes leur événement, ont besoin de sponsors, d'aides et de partenaires, explique Serge Wehrel de Chrono compétition. Le risque est que ceux-ci, ayant eux-mêmes des difficultés à se relever, réduisent la voilure. Dans ce cas, les organisateurs avec qui nous travaillions auront peut-être eux aussi du mal à boucler leur budget. Même si il est encore un peu tôt pour le dire, c'est une possibilité que nous avons en tête.” 

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