Les transferts des clubs africains en panne sèche en raison de la crise sanitaire ?
Depuis déjà plus de trois mois, les clubs de football africains ne touchent plus le moindre revenu suite à la suspension des compétitions en raison de l’épidémie de Covid-19. Mais pour l’essentiel d’entre eux, qui ne savent pas quand leur championnat va reprendre, la prise en charge du salaire de leurs joueurs devient problématique. Surtout, leur budget ne repose pas particulièrement sur la billetterie ou les droits télévisés. En effet, sur le continent africain, les clubs comptent davantage sur le transfert de leurs joueurs, véritable capital économique qui se vend aux quatre coins du monde.
"Les transferts, c’est 50% de notre revenu", explique Benoît You, directeur général de l’ASEC Mimosas, grand club formateur de Côte d’Ivoire, dont le budget avoisine les trois millions d’euros. Comme l’ASEC, nombreux sont les clubs africains à envoyer chaque année leurs joueurs à l’étranger, avec certaines destinations préférentielles : l’Europe, l’Amérique du Nord ou l’Asie avec certains pays du Golfe (Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis) prêts à investir sur le continent. La manne financière des transferts, qui pourrait être remise en cause cette année par le contexte actuel, est pourtant un levier indispensable pour les clubs africains, qui incluent très souvent des pourcentages à la revente lorsqu'ils cèdent leurs joueurs.
Des incertitudes sur les visas et les frontières
"De nombreux clubs ne vont pas se relever de cette crise", juge Lassana Camara, journaliste mauritanien très influent sur le continent. Parmi les raisons évoquées, ces transferts de joueurs africains à l’étranger qui risquent de devenir beaucoup plus complexes à réaliser. Le coronavirus touche de plus en plus l’Afrique et les mesures de restrictions qui concernent les États du continent pourraient se prolonger de manière inquiétante. "Il y a beaucoup d’incertitudes sur les visas ou sur la réouverture des frontières", explique Benoît You, de l’ASEC Mimosas.
Thierry Granturco, avocat spécialisé dans le sport, rencontre actuellement des difficultés dans son travail auprès d’un club français : "J’ai des cas en cours où on n’arrive pas à obtenir le visa, non pas parce que l’ambassade de France s’y oppose, mais parce que les pays africains font un premier tri avec des tests." L’avocat cherche actuellement à faire venir deux internationaux tchadiens pour leur faire passer des tests dans un club du championnat de France.
Des stages d'observation rédhibitoires dans le contexte actuel
Car là est la difficulté : si les joueurs en provenance du continent africain tentent d’obtenir un visa, c’est qu’ils doivent quasi-obligatoirement, "dans 90% des cas" selon Thierry Granturco, participer à un stage d’observation de deux semaines dans un club et ce, "quel que soit le championnat". Si le joueur convainc le club, son visa peut se transformer en permis de travail. Mais dans le contexte actuel, en plus du nombre de vols très limité depuis l’Afrique, les visas sont donc très difficiles à obtenir. Faire venir des joueurs du continent africain est de plus en plus complexe. Et ce d’autant plus que les "ARS (Agences régionales de santé, ndlr) veulent faire en sorte que les garçons soient confinés avant" de pouvoir participer au stage d’observation, explique Thierry Granturco.
Les coûts engagés pour signer un joueur en provenance du continent africain deviennent donc forcément rédhibitoires, surtout avec la conjoncture économique actuelle. Un club français par exemple devrait dorénavant prendre en charge les deux semaines de stage d’observation, plus une à deux semaines de quarantaine, sans compter toutes les problématiques liées à la logistique dans un contexte où les frontières redeviennent une priorité pour les États. "Et si les joueurs doivent faire des tests après quatre ou cinq mois sans entraînement, ça va être très difficile de taper dans l’œil des recruteurs", ajoute de son côté Augustin Senghor, président de la Fédération sénégalaise de football (FSF).
Des difficultés déjà existantes
"Tous les voyants sont au rouge : financièrement, sanitairement, logistiquement", expose Thierry Granturco pour qui cette situation va pousser les clubs, français en tout cas, à "se tourner vers leur centre de formation pour sécuriser les finances et les effectifs." Pour Simon Arnaudet, ancien directeur d’une académie de football au Sénégal, la situation actuelle ne vient que confirmer des difficultés déjà existantes : "Les Ivoiriens avaient par exemple déjà fermé certaines solutions de sortie du territoire parce qu’il y avait des problèmes avec beaucoup de joueurs qui ne revenaient pas" dans le cas où le stage d’observation n’était pas concluant.
Les clubs africains devraient en partie se passer cette année de cette manne indispensable que représentent les transferts à l’étranger. Les formations du continent espéreront sûrement que certains de leurs anciens joueurs soient transférés, afin de toucher le fameux pourcentage à la revente, qui pourrait soulager plus d’un club africain. Des motifs d’espoir existent cependant, comme le précise Mustapha El Haddaoui, président du syndicat des joueurs marocains : "Les clubs aux Émirats, au Qatar, en Arabie saoudite, ont besoin de joueurs qui évoluent au Maroc." Certains clubs détenteurs de pépites parviendront forcément à les envoyer sur d'autres continents. Pour cela, il faudrait que la crise sanitaire s’atténue en Afrique, afin que les restrictions de vol disparaissent et que les administrations locales soient moins réticentes à délivrer des visas. Mais la situation actuelle n’incite pas à l’optimisme, l’Afrique ayant dépassé le 11 juin dernier les 200 000 cas de Covid-19, avec une propagation de plus en plus forte du virus sur le continent.
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