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Lucas Pouille face à Gilles Simon pour un nouveau cap

Invité pour la troisième fois de sa carrière à Roland-Garros, Lucas Pouille sera opposé, aujourd'hui, à Gilles Simon (N.12) au 1er tour. A 21 ans, il fait désormais partie des 100 meilleurs mondiaux, avec un talent précoce et un jeu agressif. Il a passé des caps, selon son entraîneur Emmanuel Planque, ancien coach de Mikaël Llodra ou Fabrice Santoro, qui a décidé d'associer Yannick Noah au projet d'un jeune toujours "en formation". "Yannick, c'est une évidence, mais ce n'est pas un magicien", assure son coach. Retour en détails sur le développement d'un espoir du tennis français, vu par celui qui le côtoie quotidiennement.
Article rédigé par Thierry Tazé-Bernard
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Lucas Pouille

La saison 2014, la base de l'entrée dans le Top 100

"Il y a eu un certain nombre de choses essentielles qui l’ont aidé à progresser. Son début d’année a été compliqué. Il avait très envie que les choses aillent très vite. Il se mettait beaucoup de pression et cela a débouché sur une blessure, aux abdos probablement parce qu’il était très tendu. Il n’arrivait pas à être cool, relaxe. Il a été arrêté deux mois. A son retour, cela a été compliqué sur terre, où il a gagné peu de matches. Ca revenait mais c’était moyen.

Début juillet, il se blesse au poignet et en prend encore pour deux mois. Là il a fait une vraie introspection. Il a réfléchi sur sa carrière, sur sa façon de fonctionner, son projet, son attitude, son impatience... Je ne veux pas dire que cela lui a fait du bien, mais il a mis à profit ce moment pour faire un point. Et début septembre, il était dans un tout autre état d’esprit. Etonnamment, les résultats sont arrivés très vite, avec une demie dans un gros challengeur en battant un joueur comme Montanes, puis en enchaînant avec une finale au Maroc en battant Carreno-Busta. Ses progrès, il a pu les capitaliser, et ce qu’il a fait à Bercy était un prolongement de tout ça. Il bat un Top 20, un Top 30, deux dans le Top 50 et fait une bonne partie contre Roger (Federer en 8e). Cela a été quelque chose d’important, car il attendait ce genre de performances. Et il a pu enchaîner avec un challengeur en battant notamment Baghdatis. Mais il s’y est blessé et la saison s’est finie ainsi."

2015, la confirmation des progrès

"Le début de la saison 2015, il y a cette demie à Auckland très importante. C’est sa première dans un 250. Le match contre Gaël à l’Open d’Australie, même s’il est perdu, est une expérience très intéressante. Il lui manquait un certain nombre de petites choses pour passer le cap. Il a ensuite joué moins de challengeurs, car on avait choisi une programmation ambitieuse. Il a joué Montpellier, s’est qualifié à Dubaï, a bien commencé sur terre en battant Thiem à Monte-Carlo. Jusqu’à présent, il a fait une saison sur terre très convenable, avec un niveau de jeu parfois très intéressant. Il manque encore de constance, mais les progrès son réguliers. Il en a fait notamment sur le plan mental. Son impatience n’est plus un frein à sa progression. Auparavant, il avait de l’ambition mais voulait la satisfaire immédiatement. Là, il a compris que ça passait par les entraînements, la capacité à répéter les efforts, réussir à avoir davantage de constance... Il a mûri. La semaine d’entraînement à Dubaï avec Roger cela lui a donné des repères, tout comme celle avec Stan (Wawrinka) cet hiver à Bâle. Ca le construit. Il est en formation, et il ne faut pas l’oublier. Il est dans les 100, mais il n’est pas 20e non plus."

Lucas Pouille sert la main de Gaël Monfils à Melbourne en début d'année

Affronter Gilles Simon avec ses armes

"Gilles est archi favori. Lucas joue le 13e mondial, le N.1 français. On est suffisamment lucide pour savoir que s’il avait encore mal, il ne s’alignerait pas. Tout le monde sait que, avant les tournois du Grand Chelem, les joueurs ne prennent pas de risque. On n’est pas dupe. Gilles, normalement, est meilleur que Lucas. Mais il faudra le montrer sur le terrain. S’il est moins bon, cela sera plus compliqué. La gestion tactique est simple et compliquée à la fois. On connaît Gilles, un stratège au très bon sens tactique. Est-ce que Lucas doit gagner ce match avec ses armes ou essayer d’éviter celles de Gilles ? Il faut qu’il s’appuie sur ses armes, sur sa frappe, son agressivité, son engagement, tout en tenant compte des spécificités de Gilles."

Le recours à Yannick Noah, une évidence

"Pour moi, Yannick est une ressource extraordinaire, c’est un personnage incontournable dans la performance en France, et dans le tennis en particulier. Il a fait des choses extraordinaires en tant que joueur, capitaine de Fed Cup, de Coupe Davis. Quand on a fait appel à lui dans d’autres sports, ce n’est pas un hasard. Yannick, c’est le champion de tennis français. C’est logique pour un jeune joueur français qu’il y ait une transmission, une filiation. Pourquoi couperait-on cette espèce de lien, de fil conducteur ? C’est une ressource incroyable. Ce serait idiot de ne pas chercher ses compétences. Il n’y a pas d’ego. C’est une compétence d’un type qui en connaît beaucoup sur la culture de la gagne, sur la dimension mentale, émotionnelle. C’est ça que je veux qu’il partage avec Lucas, avec nous et même avec tous les jeunes joueurs français. Je ne vois pas comment on pourrait s’en passer. Et j’espère que lorsque la génération des Tsonga, Gasquet, Monfils et Simon s’arrêtera, ils auront envie de transmettre des choses aux jeunes. C’est essentiel. Yannick, ce n’est pas un magicien. Il ne va pas arriver et permettre à Lucas de gagner contre Gilles. Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Lucas est en construction, c’est un joueur en formation, c’est un processus qui prend du sens petit à petit.

Yannick, c’est une évidence. De la même manière que lors de la nomination du prochain sélectionneur de l’équipe de France de foot, on pense à Zinedine Zidane. De la même manière que c’est logique qu’Amélie Mauresmo soit capitaine de Fed Cup. C’est aussi simple que ça. Mais il ne faut pas s’enflammer. Yannick est un mec qui a envie de transmettre. Il est extrêmement humble, modeste, il a des convictions sur la performance, il veut les partager avec les jeunes. Ca l’éclate. Il n’a pas besoin de nous. Il n’a pas besoin de reconnaissance. On ne lui apporte rien. Il donne tout dans le sens premier du terme. C’est très généreux de sa part. Il n’y a pas d’enjeu pour lui. C’est ultra touchant."

La dimension émotionnelle

"Lucas a bien compris que c’était un mec extraordinaire, qu’il avait des choses à transmettre, qu’il parlait de choses très importantes. Il y a cette dimension émotionnelle dont on ne parle pas beaucoup dans la formation du jeune joueur. Yannick en a tout de suite parlé, parlé de la peur. Avoir un ancien grand joueur qui lui parle de ce qu’il vit au quotidien, ça donne encore plus de sens à ce que je dis. Les joueurs de tennis sont comme des animaux. Ils fonctionnent différemment. Moi, je ne suis pas un ancien grand joueur, je suis entraîneur national. J’ai appris mon métier d’entraîneur, j’ai été un modeste joueur négatif, je n’ai pas joué de finale de Grand Chelem, même si j’en ai vécu avec Mika (Llodra) en Australie ou ici. Mais je n’étais pas sur le terrain. Je n’ai pas sauvé de balles de break devant 17 000 personnes qui hurlent. "Yan" a cette expérience-là. Il a aussi du recul sur sa carrière.

Lucas, avant d’être un joueur de tennis, est un homme en construction, avec ses singularités, ses particularités. Yannick sait parler aux hommes. Il sait que si l’homme se construit, le joueur se construit. C’est concomitant, c’est un cheminement parallèle. Yannick permet d’être au clair, d’avoir la bonne distance avec l’événement. C’est très important. On ne peut pas faire l’économie d’échanger avec lui. C’est des discussions toujours 'open'. Ce n’est pas figé, aussi bien pour Lucas que pour moi. Mais c’est normal. Ce qui ne l’était pas, c’est qu’on ne puisse pas exploiter une ressource comme celle-là. On a peut-être un problème en France : mettre les gens compétents là où ils devraient être. C’est souvent les egos qui prennent le dessus. Ce n’est pas forcément la compétence qui entre en ligne de compte. Moi, je n'ai pas d'ego."

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