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Mercato, joueurs en fin de contrat, droits TV... Décryptage des défis du foot pro après la crise sanitaire

Cela fait plus de deux semaines que le monde du sport professionnel est à l'arrêt, et les championnats européens de football, eux non plus, n'y échappent pas. L'opportunité de mener à son terme la saison 2019-2020 est conditionnée à une amélioration de la crise sanitaire liée au Covid-19. Mais en coulisses, instances exécutives, clubs et médias s'activent pour faire face à toutes les problématiques qui vont se poser. Quand aura lieu le mercato ? Les diffuseurs devront-ils régler leurs dernières échéances de droits TV ? Quid des joueurs en fin de contrat au 30 juin ? Comment la crise peut-elle contribuer à mieux réguler le foot mondial ? Décryptage avec Christophe Lepetit, responsable des études économiques au CDES de Limoges, et Anthony Alyce, fondateur d'Ecofoot.
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
  (FR?D?RIC SCHEIBER / HANS LUCAS)

• Quelles sont les problématiques majeures des clubs professionnels aujourd'hui ?

Pour l'essentiel, il s'agit de problèmes de trésorerie. Comme l'explique Anthony Alyce, fondateur d'Ecofoot, "en raison de la suspension des compétitions, ils doivent faire face à l’absence de recettes "matchday" (billetterie, hospitalités, snacking, merchandising en jour de match…). En plus de cela, certains sponsors peuvent remettre en cause certains engagements car ils ne bénéficient pas de l’exposition promise et ils souffrent eux-mêmes des conséquences de la crise".

Sans oublier des droits TV compromis - notamment pour les 10 dernières journées de Ligue 1 - si le championnat ne reprend pas.... "En contrepartie, les clubs doivent continuer à supporter les salaires de leurs joueurs, qui engloutissent généralement plus de 60% de leurs produits d’exploitation."

• Y aura-t-il tout de même un mercato cet été ?

Oui. Que les championnats européens s'arrêtent dès aujourd'hui ou mi-juillet / fin juillet, le marché des transferts s'adaptera et révisera ses dates en conséquence. "On ne peut pas envisager qu'un mercato estival ouvre alors que les championnats ont encore lieu", précise Christophe Lepetit, responsable des études économiques au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges

Aujourd'hui la tendance semble toutefois à une fin prolongée des différentes compétitions, une fois la crise sanitaire maîtrisée, notamment en raison d'enjeux financiers importants. Mais des questions restent en suspens sur le fonctionnement de ce mercato et sur l'incidence comptable qui peut en découler pour l'ensemble des clubs. "En particulier pour les clubs français car ils sont exportateurs de joueurs et espéraient bien faire quelques plus-values de cessions avant le 30 juin pour équilibrer leurs comptes", ajoute le responsable des études économiques du CDES de Limoges.

"Le marché des transferts pourrait être, pour la première fois depuis longtemps, en déflation"

Une autre conséquence est également prévisible, à savoir un ralentissement des activités de transferts suite à la baisse de revenus des clubs pendant cette période de confinement. Pour Anthony Alyce, "le mercato pourrait même être, pour la première fois depuis très longtemps, en déflation. Selon les calculs dernièrement réalisés par le CIES, la fin anticipée des championnats européens provoquerait une baisse de la valeur des joueurs de 28%." Ce qui ne devrait pas empêcher quelques bonnes affaires de la part de clubs aux réserves financières importantes qui pourraient récupérer des joueurs à un prix réduit.

• Des contrats de joueurs peuvent-ils être révisés et repoussés ?

De nombreux joueurs disposent d’un contrat qui prend fin le 30 juin prochain. C’est normal : l’échéance des contrats est calée sur la durée des saisons sportives. Mais qu'adviendra-t-il si les dates de fin des championnats sont prolongées ? Pour le fondateur d'Ecofoot, "une solution commence à faire consensus au sein du football européen : prolonger les joueurs en fin de contrat jusqu’à la fin effective de la saison 2019-20. Aux mêmes conditions de rémunération. Cette solution a notamment été évoquée par l’UNFP. La FIFA et l’UEFA pourraient faire des recommandations prochainement à ce sujet même si leurs préconisations ne peuvent se substituer au droit du travail en vigueur dans les différents pays européens."

Pour s'alléger financièrement les clubs peuvent également négocier directement un accord individuel avec les joueurs. C'est ce qu'ont fait la Juventus Turin ou le Barça ces dernières heures. 

Petit rappel utile concernant les rémunérations : tous les clubs de Ligue 1 utilisent actuellement le dispositif de l’activité partielle. Ils versent 70% de la rémunération brute à leurs joueurs et reçoivent en retour une indemnité de l’Etat allant jusqu’à 4,5 SMIC.

• Quelle est la situation au niveau des droits TV ?

Canal+, l'un des diffuseurs de la Ligue 1, a annoncé qu'il ne paierait pas la prochaine échéance le 5 avril prochain, d'un montant de 110 millions d'euros, en raison de la non-tenue des rencontres dont il a acheté les droits de diffusion. Des négociations sont en cours entre la chaîne et la Ligue de football professionnel (LFP) pour trouver un accord.

Pour Christophe Lepetit, "c'est moins l'incidence comptable que l'incidence de trésorerie pour les clubs qui serait négative. Dans une période compliquée sur la gestion de trésorerie, ne pas avoir cette bouffée d'oxygène (car les droits audiovisuels sont redistribués aux clubs, NDLR), cette rentrée de liquidités dans les comptes tel que c'était prévu au début du mois de juin, ça pourrait rendre encore plus compliqué le fait de pouvoir continuer l'activité." "Il sera également intéressant d’étudier l’attitude de BeIN Sports mais aussi de Mediapro, futur diffuseur de la L1 et L2, dont la première échéance de paiement est attendue pour le mois de juillet", ajoute Anthony Alyce.

• La pré-saison des clubs professionnels est-elle remise en cause ?

Oui, en partie. Il est fort possible d'aller vers une intersaison plus courte si les championnats finissent mi-juillet ou fin juillet. Cela aurait forcément une incidence sur le démarrage de la saison prochaine. "Mais on ne pourra pas non plus trop le décaler sauf à revoir en profondeur les calendriers de tous les championnats européens et celui de la Ligue des champions", explique Christophe Lepetit. "Et de se dire : 'si on finit tous le 31 juillet, on reprend tous les 1er septembre ou le 15 septembre, et progressivement on décale nos saisons'". C'est l'idée qui a été soumise par Jean-Pierre Rivère, le président de l'OGC Nice.

Les tournées de pré-saison, elles, deviennent presque caduques en l'état de la crise sanitaire. Importantes car elles permettent de diversifier les communautés de fans, elles sont beaucoup moins au coeur des business des clubs.

Enfin, le processus de ré-athlétisation des joueurs sera lui aussi compliqué à ré-organiser cet été. Si ceux-ci devaient reprendre leur activité pour finir le championnat, ils devront s'entraîner de nouveau en conséquence. Avant d'enchaîner par une grosse pré-saison et basculer vers un nouvel exercice... Pas de vacances pour les footballeurs ? Cela semble très compliqué sur le plan physiologique.

• La bulle financière du foot professionnel peut-elle exploser à cause de l'épidémie ?

"Je ne crois pas qu’on puisse parler de bulle financière concernant l’évolution du football européen", détaille Anthony Alyce. "Pour rappel, les droits TV sont en hausse constante depuis près de 30 ans. Et il en va de même pour les contrats commerciaux/de sponsoring. Le football, et surtout sa médiatisation, attire de plus en plus de capitaux, ce qui favorise sa croissance."

Néanmoins, l'opportunité paraît belle pour réguler le milieu et remettre en place des mécanismes pour assurer la pérennité du secteur à long-terme. Pour Christophe Lepetit, "ce qui fragilise les clubs, c'est le fait que ce sont de très petites structures qui n'ont pas la capacité de pouvoir absorber plusieurs mois sans activité. Ce sont des TPE qui n'ont pas de grosses marges de manœuvre sur le plan de la trésorerie et qui donc sont soumises au moindre aléa qui peut altérer le bon déroulement des compétitions. Tout ce que met en place le gouvernement c'est pour répondre aux même exigences. Le report de charges sociales qui s'applique à l'ensemble de l'économie, c'est pour éviter d'avoir des décaissements pour certaines structures. Cela s'applique évidemment au foot."

Réguler les activités de transferts en en limitant le nombre et/ou le montant, instaurer davantage de dialogue social au sein du foot, trouver des mécanismes pour limiter l'inflation salariale (comme le "salary cap" de la NBA), limiter la taille des effectifs... Les pistes ne manquent pas. Reste à voir quelle voie vont emprunter les décideurs du football européen.

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