Mission Alpha : comme Thomas Pesquet, les spationautes sont des sportifs de l'espace
Avant la mission Alpha et son départ pour la Station Spatiale Internationale vendredi 23 avril, Thomas Pesquet s'est astreint à une préparation sportive de choc.
"L'éternité, c'est long, surtout vers la fin." Woody Allen a beau n'avoir jamais mis les pieds sur la Station Spatiale Internationale (ISS), sa maxime aurait bien pu être celle des nombreux astronautes à y avoir séjourné. Comme Thomas Pesquet. Le spationaute de l'Agence Spatiale Européenne (ESA) s'embarque dans une mission de six mois, la deuxième de sa carrière au sein de l'ISS. À noter que le spationaute, terme générique, devient "astronaute" quand il vole sur une fusée américaine, "cosmonaute" sur une fusée russe ou encore "taïkonaute" sur une fusée chinoise.
Pour l'organisme, ces 180 jours s'apparentent à des années. En tenant aussi longtemps en impesanteur, le corps est soumis à des conditions bien différentes de celles éprouvées sur Terre. Pesquet, comme les autres astronautes, a dû en passer par une préparation physique spécifique, proche de celle de sportifs professionnels avant d'embarquer dans la navette Crew Dragon.
"Tout le long de la carrière d'un spationaute, une équipe de l'ESA est chargée de son entraînement, nous explique André Rosenberger, préparateur physique qui s'était notamment occupé de Thomas Pesquet lors de la mission Proxima en 2016. Un an et demi avant le début d'une mission, nous débutons le travail physique de façon plus structurée. Cela prend de quelques semaines à un mois pour reprendre les bases, les exercices aérobies comme la course ou le cyclisme prennent un peu plus de temps. Les gens doivent comprendre à quel point les spationautes travaillent dur. À quelques mois du décollage, ils s'entraînent par exemple dans une énorme piscine au Johnson Space Center de la NASA sur une réplique de l'ISS. Ils passent entre quatre et six heures en combinaison dans l'eau pour être prêts à faire des sorties extravéhiculaires. En terme de puissance et d'endurance, c'est très sérieux comme charge."
"Avant de partir, on essaie de faire beaucoup de renforcement musculaire, surtout pour le dos et les cuisses", nous détaille Thomas Pesquet. Là tient un des principaux paradoxes du corps humain dans l'espace. Les astronautes doivent en effet arriver avec une musculature suffisamment solide du bas du corps pour éviter de revenir trop affaiblis. "On ne s'en rend pas forcément compte mais on perd beaucoup dans la station parce qu'on flotte, raconte l'astronaute français. On ne se déplace qu'avec les bras, les jambes ne nous servent à rien."
Comme rester allongé immobile pendant deux mois
Jörg Rittweger, professeur en physiologie de l'espace à l'Université de Cologne et chef du département Métabolisme musculaire et osseux du Centre allemand pour l'aéronautique et l'astronautique, détaille : "Quand vous arrivez sur Terre, vous êtes attirés par la planète. Dans l'espace, ces forces n'existent pas. La pression exercée sur les muscles et les os est diminuée de plus de moitié. A bord de l'ISS, les astronautes perdent 15% de leur masse durant une mission comme Alpha." Lors de Proxima, premier séjour de Thomas Pesquet sur la Station Spatiale Internationale pendant 196 jours, le Français était passé d'un gabarit d'1,84m et 84 kilos au décollage, à 1,87m et 77 kilos à son retour sur Terre.
"En six mois avec un exercice régulier, les astronautes perdent 3% de masse osseuse et 15% de masse musculaire dans la partie inférieure de leurs jambes, détaille le Professeur Rittweger, qui développe notamment les machines d'entraînement sportif pour l'ESA. Lors d'une expérience, nous avons constaté que l'on arrive aux mêmes résultats sur notre planète avec des personnes qui restent allongées deux mois complets sans la moindre activité."
Pour endiguer ces contraintes, un travail de fond et un suivi quotidien sont indispensables. Thomas Pesquet est entouré pour cette mission de Nora Petersen, en charge de la condition physique du Français. Une fois dans l'ISS, Pesquet et ses congénères ne vont pas chômer. Outre leurs programmes de tests, "les astronautes font de l'exercice chaque jour sur l'ISS, deux heures et demie quotidiennes en incluant l'installation de l'équipement, son rangement ou encore la douche" évoque André Rosenberger.
"Ils font 90 minutes d'entraînement musculaires, 60 de travail d'aérobie. Au sol, nous vérifions environ deux fois par semaine cette activité physique, nous analysons les résultats de l'entraînement et nous chargeons les nouvelles recommandations d'entraînement des astronautes vers l'ISS. Leur retour est important car certaines variables sont différentes dans l'espace que sur Terre." Les pensionnaires de la Station spatiale internationale retrouveront notamment l'ARED (Appareil d'exercice contre résistance), machine conçue spécifiquement pour le travail musculaire dans les conditions d'apesanteur de l'espace. Il s'agit d'un appareil similaire à ceux que l'on peut trouver en salles de musculation quelques 408 kilomètres plus bas dans l'espace.
"C'est comme à l'armée, il faut être dans les clous"
Spationaute, pilote, scientifique… Thomas Pesquet refuse pourtant d'ajouter l'étiquette du sportif professionnel à son riche CV. "Il faut être en bonne forme physique, c'est certain. Mais c'est comme à l'armée, si on veut être pilote, membre des forces spéciales… Il faut être dans les clous. Il y a des parallèles possibles avec les sportifs, mais aussi des différences. Les astronautes sont costauds, mais ce ne sont pas des athlètes professionnels. On ne peut pas mettre la barre physique à 100%, nous avons de nombreuses autres choses à travailler." "Un niveau physique très élevé n'est pas recommandé, et même pas nécessaire puisque vous ne pouvez pas le maintenir sur l'ISS à cause des capacités d'exercice limitées et de l'absence de gravité", clame André Rosenberger.
"L'autre différence, c'est que les spationautes sont un peu plus âgés" ajoute Thomas Pesquet. "On est souvent embauchés autour de 35 ans, quand une carrière de sportif se termine vers cet âge. On essaie d'étaler nos carrières dans le temps." "Pour les athlètes, le premier but est la performance, ce n'est pas le cas pour les spationautes, abonde le Professeur Jörg Rittweger. Le but, c'est d'éviter les conséquences à long terme." Tout voyage dans l'espace n'est pas sans trace pour le corps, au-delà de la préparation physique. À 43 ans, Pesquet fait figure de benjamin de l'expédition Alpha. Il est dix ans plus jeune que ses compères Shane Kimbrough et Akihiko Hoshide. Un peu plus loin encore des 77 ans de John Glenn, astronaute le plus âgé à s'être rendu dans les étoiles. "Aller dans l'espace n'est pas dangereux, mais le plus vieux vous êtes, le plus difficile c'est pour votre métabolisme" concède Jörg Rittweger.
André Rosenberger se souvient toutefois, presque encore halluciné, des capacités physiques de Thomas Pesquet à son retour sur Terre de la mission Proxima en 2016. "Les spationautes doivent passer par une phase de 'rééducation' pour retrouver la forme et une bonne posture à nouveau avec la gravité terrestre. Thomas s'était réadapté si vite, après quelques jours, il avait retrouvé un très bon contrôle de son corps et il se déplaçait comme s'il n'était jamais allé dans l'espace. La seule chose qui l'a surpris, c'est quand j'ai essayé d'introduire du basket – qu'il adore – à ses exercices. La première fois que je lui ai lancé la balle, il a crié 'wow' à cause du mouvement de courbe que vous devez donner à la balle pour la lancer sur Terre, alors qu'il n'avait eu qu'à pousser les choses en ligne droite dans l'impesanteur de l'ISS pour les déplacer."
Souvent perçus comme des héros pour leurs aventures extra-terrestres, les spationautes pourraient inspirer le tout un chacun pour leur pratique du sport comme ingrédient de bien-être. "Nous savons désormais après 60 ans de missions que si les spationautes ne font pas de sport, ils deviennent malades, plus faibles… Cela peut mener des missions à l'échec, assure Jörg Rittweger. A travers les spationautes les gens devraient réaliser à quel point l'exercice est important, dans l'espace comme sur Terre, surtout dans cette période de pandémie." "Physiquement, je suis dans la meilleure forme de ma vie, a confirmé Thomas Pesquet lundi lors de sa dernière conférence de presse avant le départ d'Alpha. Avant, je comptais un peu sur ma jeunesse, maintenant je sais qu'il vaut mieux compter sur trois quarts d'heure de footing." Si même Thomas Pesquet le dit…
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