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Mort de George Floyd : quel impact de fond pour le sport américain ?

Plus de deux semaines après le meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis, les ligues et fédérations de sports américains multiplient les annonces pour soutenir le mouvement qui lutte contre les discriminations et les violences raciales. Toutes se sont positionnées plus ou moins rapidement et certaines ont pris des mesures qui vont dans le sens d’athlètes noirs, dont les revendications sont parfois établies depuis plusieurs années. Mais si ces premières annonces sont encourageantes, le sport américain ne semble pas proche de changer profondément et durablement.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
  (KATHRYN RILEY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Après le temps des communiqués de soutien est venu celui de l'action. Suite au meurtre de George Floyd par un officier de police de Minneapolis le 25 mai dernier, les ligues et fédérations américaines de sport se sont toutes positionnées progressivement à travers des communiqués pour dénoncer les violences policières et soutenir le mouvement qui lutte contre les discriminations raciales. Depuis plusieurs jours maintenant, des décisions plus concrètes qui vont dans le même sens ont été prises par ces institutions.

L’une des dernières en date est celle de la Fédération américaine de football (USSF), qui a décidé d’abroger la règle qui interdisait jusque-là aux joueurs et joueuses des équipes nationales de s’agenouiller pendant le "Star-Spangled Banner", l’hymne des États-Unis. Une disposition du règlement qui avait été élaborée en 2017 après que la Ballon d’Or Megan Rapinoe ait décidé d’imiter en 2016 le joueur de NFL Colin Kaepernick. En golf, l’USPGA a annoncé que, pour le tournoi de reprise au Texas qui vient de démarrer, les joueurs observeront une minute de silence chaque jour à 8h46, en référence aux huit minutes et quarante-six secondes durant lesquelles l’officier de police a maintenu George Floyd au sol. Les organisateurs du Nascar ont quant à eux précisé que les drapeaux des États confédérés d’Amérique seraient désormais interdits lors des courses, alors qu’ils sont très souvent de sortie lors des événements dans le sud du pays.

L’évolution vers des décisions plus significatives et porteuses qu’un simple communiqué semble encourageante et est surtout inédite de par son ampleur. "C’est une première, un tournant", souligne Peter Marquis, historien des États-Unis à l’université de Rouen-Normandie, avant d’ajouter : "Mais il ne faudrait pas aller trop vite sur le sens de ce tournant". La question, pour les athlètes engagés de longue date, pour ceux qui se manifestent davantage depuis la mort de George Floyd ou pour les ligues et fédérations qui ont dénoncé les récents événements, est de savoir si ces prises de position vont durer dans le temps et si elles auront un effet sur le long terme. "La situation actuelle m’encourage, mais je me demande si les sportifs qui prennent position en ce moment seront encore là dans trois ou quatre mois", nous confiait il y a quelques jours Jérémy Ebobisse, l’attaquant des Timbers de Portland (MLS).

"Des déclarations consensuelles, une position de suivisme"

Pour Peter Marquis, les premières annonces et décisions prises par les ligues de sport américaines sont logiques car elles "n’ont rien à perdre. Ce sont des déclarations consensuelles, dire l’inverse serait totalement inenvisageable. Elles ne veulent pas être les dernières à dénoncer, mais pas non plus les premières. C’est une position de suivisme, avec très peu de risques". Les institutions sportives américaines n’ont donc pas hésité à publier rapidement des communiqués et celles qui ont tardé à le faire ont été fortement critiquées. La MLB (Major League Baseball) a ainsi été le dernier sport à se positionner en mettant neuf jours à publier un communiqué pour dénoncer de manière lapidaire les violences policières, ce qui a valu à la ligue de nombreux reproches.

L’impact sur le temps long du mouvement de lutte contre les discriminations raciales est donc loin d’être acquis dans le monde du sport américain, structurellement marqué par les inégalités. Le cas le plus flagrant est celui de la NFL, dont le patron Roger Goodell s’est excusé de ne pas avoir pris en considération les demandes des joueurs de la ligue : "Nous la NFL admettons que nous avons eu tort de ne pas avoir écouté les joueurs de la ligue plus tôt." "Goodell a simplement obéi aux injonctions d’un groupe de joueurs qui a fait une vidéo sur les réseaux. Il reprend mot pour mot ce qu’on lui a demandé de dire", précise Peter Marquis avant de poursuivre : "La NFL était obligée de le faire parce que parmi ces joueurs, il y avait Patrick Mahomes (quarterback métis récent vainqueur du Superbowl, ndlr) qui est un moteur en termes d’attractivité économique." Ce vendredi, la NFL a tout de même annoncé qu'elle effectuerait un don de 250 millions de dollars sur dix ans afin de lutter contre l'injustice raciale.

Bras de fer à venir entre dirigeants et sportifs ?

En raison de leur image de marque, les ligues n’ont pas d’autre choix que de se positionner et d'aller dans le sens de certaines demandes des athlètes. Megan Rapinoe, star planétaire depuis la Coupe du monde 2018 et ses prises de position politiques, et les joueuses américaines championnes du monde ont ainsi fait céder l’USSF a propos du kneeling. "Les choses changent si celui qui parle pèse sur les réseaux sociaux", explique l’historien des États-Unis. Ne pas se positionner aurait coûté trop cher pour les ligues. Mais trop s’engager aurait également un coût qu’elles ne seraient pas encore prêtes à assumer selon Peter Marquis : "Si on écoute les différentes prises de parole, les expressions tels que "racisme systémique" ou "privilège blanc", n’ont pas du tout été utilisées, car elles sont encore perçues comme des revendications trop radicales et trop subversives portées par certains athlètes."

Se dirige-t-on donc vers d’importants bras de fer entre certains athlètes prêts à se mobiliser pour lutter politiquement contre les inégalités raciales et des institutions encore peu enclines à s’engager de manière concrète ? C’est en tout cas ce que pense l’historien des États-Unis : "Certains athlètes vont demander à être à la table des négociations mais est-ce que les dirigeants vont entendre ces revendications ? Tant que ce ne sera pas le cas, il n’y aura pas d’effets sociaux importants". L’autre hypothèse très envisageable dans les prochains mois selon Peter Marquis, est de voir d’importants débats émerger sur l’organisation de certaines compétitions : "On risque d’avoir des points de conflits liés aux pratiques des villes ou des sponsors choisis, comme le Superbowl en 1993." Alors qu’elle devait se jouer dans la ville de Tempe (Arizona), la finale de la NFL s’était finalement déroulée en Californie car l’Arizona refusait jusque-là de célébrer le Martin Luther King Day.

À défaut de voir d’importantes décisions prises par les ligues sportives suite au meurtre de George Floyd, il ne serait donc pas étonnant que des débats émergent ou que des voix s’élèvent, à l’image du témoignage de Kyle Kuzma, joueur des Lakers en NBA : "Le privilège d’être blanc, c’est comme un sac à dos invisible que toutes les personnes blanches portent. Si vous êtes blanc et que vous vous retrouvez dans une situation où vous avez besoin d’aide, vous n’avez qu’à enlever ce sac à dos, l’ouvrir et en sortir tout un tas de trucs." Ce type de prises de parole peut permettre de "déconstruire les constructions sociales autour des minorités", explique Peter Marquis. Si les premiers signes sont donc encourageants, le chemin est encore long pour le sport américain dans sa lutte contre les inégalités raciales.

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