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MPG, ESPN, Yahoo : Comment les "ligues Fantasy" changent votre vie de supporter

MPG, ESPN, Trashtalk... Ces “ligues fantasy” pullulent depuis quelques années sur les sites de sport ou ailleurs. Entre plaisir décuplé, schizophrénie virtuelle et obsession des stats, le rapport des utilisateurs à leur sport peut en être bouleversé.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
  (ACTION FOTO SPORT / NURPHOTO)

Emilie est supportrice du PSG. Elle est une fidèle, une passionnée de la première heure. Et pourtant, il lui arrive de faillir à son devoir. Elle le cache aux yeux de tous, elle est submergée de remords quand ça arrive... : "Oui, il m'est arrivé d'être heureuse de voir Paris prendre un but... quand c'est un de mes joueurs MPG qui marque" MPG?  C’est le jeu "Mon Petit Gazon".

Fondé en 2011, MPG est une “Ligue Fantasy”, un type de jeu dont le principe est de devenir capitaine d’une équipe de sport virtuelle dont les points sont distribués selon les performances des joueurs réels. En football, il y a MPG, mais aussi le Championnat des Etoiles ou encore la Fantasy Premier League. Aux Etats-Unis, des fous de NBA ferraillent virtuellement sur ESPN. D'autres invétérés de football américain écument les terrains virtuels sur Yahoo Fantasy.

"Ton cerveau est coupé en deux : la raison et la passion. Au milieu, c'est MPG"

Ils sont plus d’un million en 2019 à jouer à MPG en France. Plus d’un million à connaître une schizophrénie bien particulière tous les week-ends : celle d'exulter sur un but encaissé par son club de cœur, comme Emilie : "Si je suis en public je me maintiens grave, aucune manifestation de joie. Mais au fond de moi je me dis « mais oui, c’est ça qu’on veut mon grand ! ». Ton cerveau est coupé en deux : la raison et la passion. Et au milieu, c'est MPG" 

Boulimie de sport

Emilie était déjà passionnée de football avant MPG. Mais d’après elle, le jeu a changé son rapport au ballon rond : “Maintenant, j’ai un intérêt personnel sur chaque match. Même un Dijon-Angers, je prendrai du plaisir à le regarder parce que je voudrai suivre les performances de mes joueurs” Car quoi de plus fort qu’un enjeu personnel pour se passionner? C’est au fond le lien si spécial qui lie un supporter à son équipe, ou à son sportif ; celui qui le rend malade à chaque occasion, furibond lors des défaites ou jubilant pour les victoires. Résultat, sachant qu’il est rare qu’un joueur de Fantasy puise tous ses joueurs dans la même équipe, tous les matches sont  à suivre, au moins d’un œil distrait.

26 ligues MPG et des fichiers excel à préparer l'été

Thao, lui, se définit sans problème comme un "malade" des ligues Fantasy. Il a fait le décompte : il joue en ce moment à 26 ligues MPG, ce qui lui revient à une heure entière chaque vendredi pour composer toutes ses équipes du week-end. "Chaque été, je me prends trois journées entières pour préparer la saison. J'élabore des fichiers excel avec l'ensemble des performances de chaque joueur de Ligue 1. Je veux être prêt pour les mercatos et ne pas rater les pépites qui ne coûtent pas cher"

Qu'ils se rassurent, Thao et Emilie ne sont pas les seuls à présenter des signes de frénésie. “Les ligues fantasy augmentent clairement l’investissement des amateurs de sport pour leurs sports” explique Philippe-Antoine Lupien, doctorant en communication à l'Université de Montréal et auteur d'une note de synthèse sur les ligues Fantasy en Amérique du Nord. "Dès les années 60, certains journaux sportifs l'avaient compris. C'est à cette époque que sont nées les premières Ligues Fantasy, aux Etats-Unis, à partir des statistiques de baseball publiées dans les pages des journaux américains." 

Le dopage de l'audience est clairement l'une des motivations de France Football pour son Championnat des Etoiles, sa Ligue Fantasy maison :"Ça rend les joueurs accros à l’information sportive, analyse Emmanuel Alix, directeur du pôle numérique à France Football/L'Equipe. Tous les sites de sport en profitent finalement, puisque ça intéresse des gens qui sont peut-être moins intéressés par le foot, et qui pour s’amuser avec leur groupe de potes, vont aussi s’y mettre et, donc, se renseigner dessus"

C'est ce que Martin Jaglin, co-fondateur de Mon Petit Gazon, appelle "une addiction positive". "On a des retours des gens complètement malades du jeu. Quelqu'un en a parlé dans son discours de mariage. Des mamies qui jouent avec leurs petits-enfants. Et ils viennent nous le raconter, soit parce qu'ils en sont fiers, soit parce qu'ils veulent se moquer de leurs amis" 

"Certaines équipes de Ligue 1 y jouent dans les vestiaires"

Nombreux sont les joueurs de Ligue 1, par exemple, à jouer et à le faire savoir sur les réseaux. "Certaines équipes de Ligue 1 y jouent dans les vestiaires. On sait que des clubs comme Angers, Reims, ou encore Nantes s'organisent des petites Ligues MPG entre joueurs, staff, médecins etc." Valentin Rongier avait raconté à MPG avoir vécu un moment assez particulier. Après avoir marqué sur penalty, il s'est rendu compte qu'il avait marqué contre lui-même dans le jeu. Il était bien sûr heureux d'avoir marqué... mais aussi frustré de son but encaissé dans le jeu ! Oui, même les joueurs en deviennent schizophrène, et en cours de match. 

Certains utilisateurs interpellent les joueurs professionnels sur les réseaux sociaux : "On a des joueurs qui vont aller encourager leurs joueurs MPG sur les réseaux “Allez vas-y je compte sur toi” Quand le mec est blessé t’as des “Ah j’avais beaucoup misé sur toi qu’est-ce que tu me fais” Et il arrive que  les joueurs de L1 jouent le jeu, comme Mbaye Niang, qui a publié une petite vidéo à l'attention de tous ceux qui l'ont choisi dans le jeu, ou encore Valentin Rongier, qui répond directement à un twittos qui l'avait interpellé. 

 

Mordus de stats et algorithmes sur mesure

Mieux goûter à sa passion en ne restant pas amorphe devant son écran de télé (mais devant ses fichiers excel) c'est aussi ce pour quoi ont opté les élèves de l'ENSAI. Cette école de statisticiens a carrément créé une Ligue MPG pour tout l'établissement. Chaque week-end, les organisateurs passent des heures entières à relever les meilleures performances, les pires, à faire des focus sur les leaders ou encore à réaliser des petites vidéos pour les tirages au sort. "Je dois passer environ cinq ou six heures par semaine à faire tout ça" précise, à moitié gêné, Quentin Villé, co-fondateur de MPG Ensai. Il a quitté l'école depuis trois ans mais prend toujours autant de plaisir à chapeauter "son" championnat de loin, pour les nouvelles promos.

"C'est pour avoir une bonne équipe mais c'est aussi super stimulant intellectuellement"

Les élèves de l'ENSAI étudient la statistique. Il n'est donc pas étonnant d'y rencontrer des mordus de MPG. Tristan, lui aussi ancien élève mais toujours actif dans la Ligue MPG de l'école, s'est fabriqué un petit algorithme personnel pour mieux préparer ses équipes. « C’est pour avoir une bonne équipe mais c’est aussi super stimulant intellectuellement, affirme-t-il. De faire des petits calculs, des moyennes….Franchement, on ne va pas au bout parce qu’il y a le boulot ou les études et que ça nous prendrait trop de temps, mais on aurait pu faire des pondérations et ou des trucs encore plus stimulants »  Par amour du chiffre, par amour du jeu, ou juste par amour du chambrage entre potes, choisissez votre camp - ou pas - et préparez votre prochain week-end de sport. Dans votre canapé, bien sûr. 

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