Natation : Sun Yang et la Fina, nage en eaux troubles
“Tu es un perdant, moi je suis un gagnant”. Le sourire narquois de Sun Yang, qui avait lancé cette phrase à Duncan Scott lors des derniers championnats du monde de natation à Gwangju, en Corée du Sud, s’est sans doute évaporé vendredi. Le nageur chinois, qui avait détruit à coups de marteau son échantillon lors d’un contrôle inopiné en septembre 2018, a été condamné à huit ans de suspension par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS). A 28 ans, cela sonne comme une fin de carrière anticipée.
Ce sont sans doute Duncan Scott et Mack Horton, qui sourient désormais. Les deux athlètes, qui avaient refusé de monter sur le podium avec Sun Yang l’été dernier, ne récupéreront pas leurs médailles - la décision n’est pas rétroactive - mais ils ne verront plus le Chinois dans les bassins au moins jusqu’en 2028.
Remontons un peu dans le temps. Les premières médailles de Sun Yang datent des Championnats du monde de Shanghai en 2011, soit neuf ans avant cette suspension. Depuis, le Chinois est devenu triple champion olympique et onze fois champion du monde malgré une suspension de trois mois pour dopage en 2014. Tout au long de cette fastueuse carrière, la Fédération internationale (Fina) et son directeur exécutif Cornel Mărculescu n’ont jamais été très loin. C’est en tout cas cette relation nébuleuse que décrit The Guardian.
Le quotidien britannique s’attarde sur les liens entre la star chinoise et les hautes instances de la natation mondiale. On avait vu le directeur roumain enlacer le nageur lors des des derniers championnats du monde à Gwangju (Corée du Sud), signe d’une proximité réelle entre les deux hommes. “C'est un très bon ami de l'équipe de natation chinoise", avait justifié Sun Yang “J'étais donc très heureux qu’il me voit remporter l'or. J'espère que cette amitié durera.”
Quand la Fina ménage Sun Yang
Marculescu avait salué Scott et Horton, mais le camouflet du podium déserté est mal passé en coulisses. Peu de temps après, la FINA a pris deux mesures drastiques pour que cela ne se reproduise plus : désormais, tous les médaillés doivent obligatoirement monter sur le podium, et il est interdit de faire des “déclarations politiques”, comme le note The Guardian. Une décision très consensuelle à l’égard du Chinois, alors dans l’oeil du cyclone après ses deux médailles d’or, et que Mărculescu avait déjà ménagé dans ses déclarations lors du tollé du podium. La Fina, comme beaucoup d’instances sportives occidentales, a peut-être jugé qu’il valait mieux s’acoquiner avec les Chinois plutôt que de les prendre en grippe. La NBA et Daryl Morey l’ont appris à leurs dépens. Alors Mărculescu, en poste depuis 34 ans, a choyé Sun Yang lors de la dernière décennie.
Lors de son Gala mondial de natation en… Chine en 2013, le président de la Fina Julio Maglione, proche de Marculescu, a remis un prix d’honneur à Yang, vantant les mérites de la Chine, “l'un des pays les plus engagés dans la promotion de la natation. Et les résultats sont assez fructueux : les athlètes chinois brillent au plus haut niveau lors des compétitions Fina.” A commencer donc par Sun Yang. Cette connivence a-t-elle pu jouer un rôle lors de l’élément-clé de l’enquête ? Personne n’est en mesure de l’affirmer. Mais des zones d’ombre subsistent.
En septembre 2018, quatre ans après sa suspension de trois mois en 2014, Sun Yang crée la polémique : lors d’un contrôle antidopage inopiné, un membre de son entourage a détruit l’échantillon demandé. Un comportement pour le moins étonnant pour un athlète propre. La Fina, qui a diligenté une enquête, a estimé qu’il “n’a pas commis d'infraction au règlement antidopage” malgré “de très fortes préoccupations concernant le comportement de l'athlète et son entourage”. La raison : les agents de l’IDT en charge du contrôle n’auraient pas respecté le protocole, invalidant la nature même du contrôle. Résultat : le nageur est blanchi pour vice de forme, et n’a enfreint aucune règle. C’est précisément ici que les choses deviennent troubles.
Appel et contre-appel
Alertée par un rapport présenté par le Sunday Times en juillet dernier, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) a alors souhaité interjeter appel auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Dans ce rapport, le Sunday Times rapporte que la Fina avait adressée à Sun une série d’avertissement suite à un échange houleux nocturne, hors compétition, pendant quatre heures entre le nageur et des agents anti-dopage près de son domicile en 2018.
Selon Craig Lord, de Swimming World, c’est à ce moment-là que la Fina est directement intervenue en souterrain. Plusieurs mois avant l’audience du TAS, les avocats de Sun Yang et la Fina ont soutenu la demande de tribunaux suisses pour que Richard Young, avocat principal de l’AMA dans cette affaire, démissionne en raison d’un conflit d’intérêts. En cause : Young avait auparavant siégé à la commission juridique de la Fina, mais avait quitté son poste en février 2019 pour s’occuper de cette affaire. Manqué. Toujours selon Craig Lord, la Fina est revenue à la charge pour suspendre l’audience du TAS : la fédération s’est rangée aux côtés des avocats de Sun Yang, qui invoquaient l’irrecevabilité de l’appel en raison “du dépôt prétendument tardif du dossier”. Encore manqué.
L'AMA a finalement interjeté appel auprès du TAS en mars 2019, malgré des tractations en coulisses plus que suspectes afin d’empêcher le TAS de statuer sur cette affaire. Mais l’AMA a fini par obtenir gain de cause. Et la conclusion du TAS est, surprise, très différente de celle de la Fina quant à l’échantillon brisé par Sun Yang, puisqu’elle a condamné le nageur chinois à huit ans de suspension.
Comme le cite Craig World, l’instance a notamment indiqué un passage étonnant, pouvant faire référence à la main invisible de la Fina. “C'est une chose de remettre en question l'accréditation du personnel de contrôle tout en conservant les échantillons intacts en possession des autorités de contrôle ; c'est une tout autre chose, après de longs échanges et des avertissements sur les conséquences, d'agir de manière à entraîner la destruction des conteneurs d'échantillons, éliminant ainsi toute possibilité de tester l'échantillon à un stade ultérieur.”, a expliqué la Cour. Un passage qui fait étonnamment écho aux faits rapportés dans le rapport du Sunday Times. Comme l’indique The Guardian, il est pour l’heure impossible de savoir dans quelle réelle mesure et à quelle profondeur la Fina est impliquée dans l’affaire Sun Yang, mais il y a peu de chances qu’elle y soit totalement étrangère.
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