Quand les nageurs font face à l'angoisse de la chambre d'appel
Les compétitions de natation ne se gagnent pas que dans l'eau. Quelques minutes avant le départ d'une course, beaucoup de choses se jouent dans ce lieu confiné où les athlètes sont confrontés à leurs peurs et à leurs adversaires.
Des chaises en métal, du carrelage au sol et sur les murs, un petit écran, sans son et une porte. Voilà à quoi ressemble la chambre d'appel, où se rassemblent les nageurs engagés dans une course des championnats d'Europe de natation, qui se terminent le dimanche 24 août. C'est dans ce lieu confiné que se sont noués les plus grands drames de la discipline, ou ses plus grandes victoires. Demandez au relais français du 4x100 m nage libre, médaillé d'or lundi 18 août quel a été l'impact du discours de Fabien Gilot, juste avant la finale. "Pour moi, on avait gagné avant de nager", confie Jérémy Stravius. La chambre d'appel, c'est là où les caractères se révèlent. Là où les nageurs se montrent tels qu'ils sont.
Ceux qui ont peur
"Les 30 minutes dans la chambre d'appel, c'est pire que la course", confie le nageur australien Brent Hayden dans The Star (en anglais). Sur quelques mètres carrés se retrouvent des egos surdimensionnés, avec des cœurs qui battent la chamade. Même son de cloche chez John Naber, vétéran des Jeux olympiques de Montréal, en 1976, dans le New York Times (en anglais) : "C'est probablement le moment le plus stressant des Jeux olympiques. Il n'y a pas d'endroit où se cacher. Pas d'endroit où fuir." Certains grands noms de la discipline fuient cet endroit. Le nageur néerlandais Pieter van den Hoogenband avait l'habitude d'y arriver au dernier moment.
Pour affronter cette salle d'angoisses, certains mettent en place une routine très précise, qui ne doit en aucun cas être modifiée. A l'image de Michael Phelps, le plus grand nageur de tous les temps. Règle n°1 : il choisit la chaise qu'il veut. Règle n°2 : hors de question que quiconque s'asseye à ses côtés. La légende américaine de la natation explique dans son livre No Limits qu'il bloquait toujours les places voisines à l'aide de sa serviette, de son bonnet et de ses lunettes. Vu son incroyable palmarès, sa technique a du bon.
Beaucoup de nageurs font appel à la préparation mentale pour surmonter cette pression. Le coach mental du nageur américain Mel Stewart lui a conseillé de s'imaginer en train de rosser ses adversaires présents dans la pièce. Deux médailles d'or aux JO de Barcelone (1992) plus tard, on peut affirmer que cette technique est efficace. Sinon, vous pouvez toujours faire comme Yannick Agnel : chanter. En 2009, il a entonné L'Aigle noir de Barbara lors des championnats de France, raconte Rue89.
Ceux qui font peur
Le roi incontesté de l'intimidation, c'est le nageur américain Gary Hall Jr., qui a semé la terreur dans les chambres d'appel au cours des années 1990-2000. Il résume sa technique dans un entretien à L'Equipe, en 2012 : "Quand vous entrez dans la chambre d'appel, vous pouvez déjà éliminer trois adversaires. Pas parce qu'ils sont de moins bons nageurs, mais parce que vous voyez sur leurs visages qu'ils ne sont pas prêts à gagner." En 1996, l'Américain tourne autour de son grand rival, Alexander Popov, imitant un Indien dansant autour d'un totem. "Je vais te briser sale Yankee", lâche le nageur russe, passablement énervé.
En 2004, aux Jeux d'Athènes, Gary Hall Jr. introduit un peignoir de boxeur dans la chambre d'appel. Excédé par ces frasques, le manager de l'équipe américaine voit rouge et tente de récupérer le vêtement à Hall. "Les autres nageurs américains ont dû sortir notre manager manu militari de la chambre d'appel. Tout ça à une minute ou trente secondes de ma 10e finale olympique, la dernière de ma carrière", raconte Hall sur le site de Team USA (en anglais). Il fait son entrée à la manière de Mohammed Ali devant un public conquis... et gagne la dernière course de sa carrière pour un dixième de seconde. N'empêche : il sera sanctionné d'une amende de 5 000 dollars pour n'avoir pas porté la tenue officielle prévue pour les Jeux.
Ceux qui sont méchants
Tous les moyens sont bons pour gagner une médaille d'or, a dû se dire la championne américaine Amy Van Dyken. Pendant la demi-heure précédant la finale du 50 m nage libre aux Jeux d'Atlanta, en 1996, elle retourne sa chaise et fixe sa rivale chinoise, Le Jingyi "comme si elle avait mangé le dernier Oreo de la boîte". "J'ai accroché son regard une seule fois, et c'est tout ce dont j'avais besoin, raconte Van Dyken au Sun Sentinel (en anglais). La course était déjà gagnée, dans la chambre d'appel. Je suis méchante, désolée."
Encore plus vicieuse, la stratégie du nageur américain Don Schollander aux JO de Tokyo en 1964. Agacé par l'arrogance de son rival français Alain Gottvallès, qui affirmait pouvoir battre le record du monde après avoir descendu une bouteille de vin et fumé un paquet de cigarettes, Schollander décide de le faire sortir de sa course. Dans la chambre d'appel, avant la finale du 100 m nage libre, il se colle à lui, même quand le Français change de place. La scène se poursuit aux toilettes : Gottvallès choisit l'urinoir du milieu, dans une rangée de douze. Tous les autres pissoirs sont vides. Mais Schollander attend patiemment derrière lui qu'il termine. Dans son autobiographie Deep Water, le nageur américain s'explique : "L'esbroufe fait partie du jeu. Aux Jeux olympiques, la course se gagne avant tout dans la tête." Paralysé par le trac, Alain Gottvallès passe à côté de sa finale et termine 5e, loin derrière Schollander, médaillé d'or.
Ceux qui cognent
Certains nageurs ne tiennent pas en place avant les courses. Le Brésilien Cesar Cielo est le plus démonstratif d'entre eux. Sa technique d'avant course : se frapper vigoureusement les pectoraux, les cuisses et le visage, jusqu'à ce que sa peau soit rouge de douleur. Le bruit est tel que les accros à l'iPod sont obligés de lever la tête, raconte le nageur russe Vladimir Morozov au site de la fédération internationale : "Il fait tellement de bruit lors de sa préparation, il respire tellement fort, que ça vous distrait de votre course. Les gens disent que vous pouvez gagner une course dans la chambre d'appel. C'est quelque chose que j'associe à Cielo."
D'autres athlètes passent leurs nerfs sur leurs concurrents. La nageuse australienne Alicia Coutts en a fait l'amère expérience aux championnats du monde de Shanghai, en 2011. "J'étais simplement assise dans la chambre d'appel quand une concurrente m'a donné deux coups de coude en pleine tête, raconte-t-elle au Courrier Daily (en anglais). Ensuite, elle a craché juste devant moi alors que je me levais. C'était dégoûtant. Les gens vont trop loin dans l'intimidation. Je ne ferai jamais ça à quelqu'un. Elle pensait probablement que j'étais une menace, qu'il fallait m'éliminer." Trois ans plus tard, on ne connaît toujours pas la coupable : Coutts a préféré taire son nom, et les autres nageuses présentes affirment ne pas avoir assisté à l'incident.
Ceux qui préfèrent en rire
Dara Torres a plus de 40 ans quand elle participe aux Jeux de Pékin, en 2008. Elle raconte dans son livre Age is just a number comment elle a transformé ce handicap - ses concurrentes sont deux fois moins âgées - en avantage juste avant la finale du 50 m nage libre. "Je suis entrée dans la chambre d'appel, chaude et moite. Toutes les autres filles fixaient leurs ongles. J'ai senti que c'était le moment de lâcher une blague : 'Personne d'autre n'a chaud ? J'ai l'impression que j'ai déjà entamé ma ménopause !'". Elle obtient quelques timides sourires en réponse. Le message que voulait envoyer la nageuse américaine est passé. "Pour mes adversaires, [cette finale] c'était la chose la plus importante de leur vie, mais moi, j'avais déjà connu ça plusieurs fois. Mon âge constituait en fait un avantage", analyse après coup Torres, qui décrochera une brillante médaille d'argent.
Dans un autre genre, l'humour des nageurs américains avant la finale du 200 m papillon des Jeux de 1976 leur a peut-être permis de gagner la course. Steve Gregg et Mike Bruner discutent dans la chambre d'appel de leur principal concurrent, l'Est-Allemand Roger Pyttel. Bruner rapporte le dialogue avec compatriote dans le New York Times :
-" Tu crois qu'il parle anglais ?"
- "Je ne crois pas, il ne réagit pas."
- "Tu sais que si les Américains font le triplé, il est envoyé d'office en Sibérie ?"
Aussitôt, Pyttel devient blême. "Ah, finalement, je crois qu'il comprend", s'amuse l'un d'eux. "A ce moment-là, on s'est dit : 'On l'a eu !'", conclut Bruner.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.