Quand Donald Trump se sert... du football universitaire pour gagner des voix
"Au fait, j’ai relancé le Big Ten. C’était moi, et je suis très heureux de l’avoir fait, et les habitants de l’Ohio sont très fiers de moi”. Lancée en plein débat contre son rival à la présidentielle Joe Biden, cette phrase de Donald Trump est un peu passée inaperçue au milieu d’une foire d'empoigne moquée de toutes parts. Elle est pourtant révélatrice d’un engagement prononcé du président Trump à l’égard du football américain universitaire.
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Suspendu depuis le mois d’avril, le “college football” est une véritable institution aux Etats-Unis, deuxième sport le plus populaire après la NFL (donc devant la NBA ou le baseball professionnel) avec 47,5 millions de spectateurs en 2019. Mais au-delà de la taille du public touché, de nombreux facteurs poussent le président à s'intéresser - de près - à ce sport, et à espérer y trouver des voix décisives pour une éventuelle victoire à la présidentielle.
A la chasse aux swing states
Il faut d'abord rappeler que 2020 est une année très particulière pour le rapport du monde sportif américain avec son président. A travers le mouvement Black Lives Matter, et particulièrement après la mort de Jacob Blake, de nombreux athlètes ont publiquement exprimé leur positionnement politique. Jamais, auparavant, avait-on vu autant de sportifs manifester leur désaccord avec un président un exercice.
"C'est inédit. Certes, il y a déjà eu des figures tutélaires, des grands actes de sportifs américains contre les présidents. Mais jamais de mouvements aussi massifs que celui que l'on vit actuellement" confirme Andrew McGregor, historien du sport à l'Université de Dallas. Parmi les grandes ligues américaines, celle du football américain, habituellement conservatrice, a cédé aux sirènes du moment et permis à ses athlètes de poser un genou à terre pendant l'hymne. Ce à quoi Trump avait vivement réagi, scellant une inimitié confirmée avec le monde du sport et, désormais, avec la NFL.
Mais c'est justement une des raisons qui poussent Trump à s'immiscer dans l'actualité du football universitaire. "Il faut bien distinguer le sport professionnel du sport universitaire aux Etats-Unis, explique Peter Marquis, maître de conférences en civilisation américaine à l'Université de Rouen. En se rapprochant du Big Ten - un groupement de quatorze universités du Midwest évoluant en première division universitaire - il sait qu'il s'adresse à des Etats cruciaux dans la course présidentielle". Le Minnesota, l’Iowa et l’Ohio sont tous trois des “swing states”, c’est-à-dire des Etats indécis, qui pourraient faire basculer l’élection en virant d’un côté (démocrate ou républicain) ou de l’autre. Et il se trouve que les équipes du Big Ten se situent dans ces Etats. Plus globalement, le football universitaire est considéré comme l'un des plus fervents bastions du conservatisme aux Etats-Unis ; un contexte idéal pour le discours de Trump.
Le football américain, bastion du conservatisme ?
D'après Andrew McGregor, historien du sport américain, cette réputation s'est notamment construite à la fin des années 60 : "C'est l'époque de la nouvelle gauche et de la révolution culturelle aux Etats-Unis, comme partout ailleurs. Sur les campus américains, le football est devenu le lieu où les codes conservateurs sont restés, et se sont même renforcés par opposition au reste de la société. Les idées de discipline, d'autorité morale, ont été vraiment associées au football à partir de là. C'est devenu l'endroit privilégié du peuple anti-intellectuel, une ligne de défense contre l'Amérique qui perd ses valeurs".
Les présidents eux-mêmes, à la manière de Trump aujourd'hui, ont investi le terrain du football pour faire passer leur message conservateur, comme le raconte Peter Marquis : "Richard Nixon était footballeur, il s’en réclamait, c’était son récit : son caractère de gagnant, sa fermeté, tout ça il l'avait acquis grâce au football. Ronald Reagan clamait que c’était le sport américain par excellence. ll mettait en avant les vertus véhiculées par le foot, à l’opposé de celles du collectivisme soviétique : notamment autour du dépassement de soi."
L'image du football auprès de l'électorat conservateur correspond bien aux valeurs prônées de ce côté-là de la sphère politique. "L’histoire que raconte le football américain, explique Peter Marquis, c’est une histoire de masculinité hégémonique, d’une seule façon d’être homme : avoir de la force physique et jouir d’une endurance à la douleur. On remarque aussi l'idée selon laquelle les Blancs seraient généralement aux postes considérés comme supérieurs : ils sont quarterbacks, alors que les Noirs seraient ceux qui courent. Dans ce schéma, ils sont comme spectateurs de la virilité dominante des Blancs".
Les coachs et les fans, relais efficaces du conservatisme à la Trump ?
Cette histoire aboutit à une génération entière biberonnée aux valeurs conservatrices : celle des coachs d'aujourd'hui. Angela Denker, journaliste et pasteur, auteure du livre "Red State Christians: Understanding the Voters Who Elected Donald Trump", estime que les coachs de football universitaire sont devenus de véritables relais de la parole conservatrice sur les campus. "Je n’ai pas le chiffre exact mais je dirais que 70% des coaches du football américain universitaire sont chrétiens et conservateurs" affirme-t-elle. Charlie Weatherbie, coach chez les Utah State, ne s’en cache pas : “J’adore Trump. Il agit, contrairement aux autres. La plupart des gens ont voté pour lui pour ça."
Mais d’après Angel Denker, si la plupart sont des soutiens invétérés du président, ils ne sont pas vraiment dans le prosélytisme envers leurs joueurs. “Les coaches sont connectés entre eux. Ils partagent leurs croyances chrétiennes en assistant à des camps d’études bibliques. Ce sont généralement des baby-boomers blancs plutôt aisés, au contraire des joueurs” Selon elle, les joueurs de football universitaire sont “majoritairement issus de l’immigration, donc plutôt l’électorat cible du Parti démocrate”. Mais alors, qui Trump espère-t-il séduire ?
Les équipes du Big Ten sont basées dans villes de taille moyenne, au milieu d'Etats plutôt ruraux. Le football universitaire est souvent l'unique pôle d'attractivité économique pour ces villes. "Les villes dans lesquelles se trouvent le Big Ten n’ont pas grand chose d’autre, c’est souvent le seul pôle d’attractivité économique, tout tourne autour de l’équipe, l’hôtellerie, la restauration, la location de voiture, c’est peut-être cette cible là que vise Trump". Le président est-il parvenu à toucher cette population en clamant sa contribution décisive dans la reprise de leur activité économique ? Le commissaire du Big Ten Kevin Warren s'est en tout cas empressé de démentir le discours du président : "Le président Trump n'a rien à voir avec notre décision, et il n'a pas du tout influencé les délibérations. En fait, quand son nom est apparu, ça a été négatif, parce que personne ne voulait que tout ça ne devienne politique".
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