Super Bowl 2023 : deux quarterbacks noirs face à face, un événement historique aux Etats-Unis
Avant même le coup d'envoi, lundi 13 février à 0h30 (heure française), le 57e Super Bowl restera dans l'histoire. Pour la première fois, deux quarterbacks noirs seront opposés lors du match pour le titre en NFL, le championnat des Etats-Unis de football américain. D'un côté, Patrick Mahomes dirigera le jeu pour les Kansas City Chiefs, de l'autre, Jalen Hurts guidera les Philadelphia Eagles.
Ce duel pourrait et devrait être anecdotique. Mais dans une société américaine où la question raciale demeure particulièrement prégnante, cela n'a rien d'anodin. Les deux intéressés se sont d'ailleurs emparés du sujet devant la presse durant la semaine précédant le Super Bowl.
Tout juste nommé meilleur joueur de la saison régulière pour la seconde fois, Patrick Mahomes disputera son troisième Super Bowl à 27 ans. "Avoir deux quarterbacks noirs titulaires, je pense que c'est spécial. J'en ai appris beaucoup sur l'histoire des quarterbacks noirs depuis le début de ma carrière dans la ligue", a confié le joueur en conférence de presse. "Je pense que c'est historique et que ça mérite d'être souligné. Le chemin a été long. Il n'y a eu que sept Afro-Américains au Super Bowl avant moi", a déclaré de son côté Jalen Hurts, qui deviendra le huitième sur la pelouse du State Farm Stadium de Glendale, en Arizona.
Le premier se nomme Doug Williams, vainqueur en 1988 avec les Washington Redskins. "L'arbre qui cachait la forêt", nuance Corentin Sellin, historien spécialiste des Etats-Unis mais aussi consultant NFL pour La chaîne L'Equipe.
Pourquoi dans une ligue majoritairement représentée par des joueurs noirs (56 % des joueurs en 2022), le poste central et honorifique de quarterback, sorte de meneur de jeu, a-t-il été si souvent réservé aux joueurs blancs, qui représentent 25 % du contingent ? Cela ne doit rien au hasard, mais plutôt aux stéréotypes.
"Les joueurs afro-américains étaient limités aux rôles subordonnés"
"C'est un sport fondé sur la spécialisation des tâches entre celles de conception et celles d'exécution, expose Corentin Sellin. Pendant très longtemps, les Afro-Américains ont été limités aux postes d'exécution, aux rôles subordonnés." Ce phénomène porte un nom, le racial stacking. "C'est-à-dire que la répartition des joueurs aux différents postes n'est pas faite de manière rationnelle, mais se base sur des stéréotypes attendus d'une catégorie plutôt que sur les qualités intrinsèques", décrypte Rodolphe Perchot, docteur en psychologie sociale dont les travaux portent sur la catégorisation sociale, les effets des stéréotypes sur les comportements et les phénomènes de discrimination.
En clair, les postes tactiques et perçus comme plus prestigieux, quarterback en tête, étaient ainsi réservés aux joueurs blancs, perçus comme plus intelligents et organisateurs. Les postes requérant des qualités de rapidité de course, comme le cornerback (défenseur de profondeur) ou le wide receiver (receveur), étaient plutôt réservés aux joueurs noirs. "On présuppose des compétences seulement au regard de la catégorie", éclaire Rodolphe Perchot.
Cette discrimination peut même être encore plus subtile. "Dans les années 90 ou 2000, les quarterbacks afro-américains devaient systématiquement être des coureurs puisqu'ils étaient considérés, par avance, moins bons pour passer le ballon", assure Corentin Sellin. Une étude américaine, publiée en 2010 et réalisée sur quatre saisons différentes de NCAA (le championnat universitaire), montre que les quarterbacks afro-américains tentaient, en moyenne, presque deux fois plus de courses que leurs homologues blancs mais 12 % de passes en moins.
De rares modèles auxquels s'identifier
"De fausses idées peuvent provoquer de vrais effets", image Rodolphe Perchot. C'est ce qu'on appelle l'effet pygmalion. "Quand on est la cible du stéréotype, on va parfois se comporter selon le comportement qui est attendu de notre part, poursuit le chercheur. C'est un effet du stéréotype à travers duquel les athlètes vont se conformer. L’entraîneur attend que je sois un coureur rapide donc je vais l’être."
"Avant, lorsqu’on était Afro-Américain, les joueurs auxquels on s’identifiait n’étaient pas quarterbacks. Si tu n’as pas de représentativité, les jeunes ne vont pas s’identifier", affirme Sébastien Sejean, quatrième Français de l'histoire à avoir signé en NFL – sans y avoir joué – et désormais consultant pour La chaîne L'Equipe. "Des athlètes s'autocensuraient sur leur carrière de quarterback car ils se disaient qu’un plafond de verre allait les arrêter", confirme Rodolphe Perchot.
"C'est un encouragement pour la prochaine génération de quarterbacks. Cet enfant de 4 ou 5 ans, à Houston, à Philadelphie, au Texas, en Louisiane ou ailleurs dans le monde, se rend compte que, quoi qu'on dise ou quoi qu'on pense de lui, il peut le faire."
Jalen Hurts, quarterback des Philadelphie Eaglesen conférence de presse
Cette ségrégation raciale par poste tend à s'estomper progressivement, avec l'émergence de stars au poste de quarterback comme Mahomes et Hurts, mais également Lamar Jackson (élu MVP en 2019), Russell Wilson (champion en 2013) ou Kyler Murray. Cette saison, 21 quarterbacks noirs ont lancé au moins une passe, un record en NFL. "C'est un mouvement pérenne depuis une dizaine d'années qui ne peut plus être remis en cause, constate Corentin Sellin. Mais le chemin reste encore très long notamment dans les postes d'entraîneurs et d'entraîneurs principaux, où cette ségrégation reste encore extrêmement forte."
A la fin de la saison régulière 2022, seulement deux coachs afro-américains étaient à la tête d'une franchise de NFL, soit 6 %. En ce qui concerne les propriétaires, l'Américain d'origine pakistanaise Shahid Khan (Jacksonville Jaguars) est le seul propriétaire principal issu des minorités. "Le jour où il y aura un Afro-Américain, on aura fait un grand pas", conclut Sébastien Sejean.
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