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"On a un modèle qui fonctionnait et on est en train de le tuer", déclare Florian Grill, candidat à la présidence de la FFR

Tête de liste du collectif "Ovale Ensemble" et candidat à la présidence de la Fédération française de rugby (FFR), Florian Grill effectue un tour de France des clubs pour y rencontrer les acteurs locaux qui voteront lors des élections du 3 octobre prochain. La date a été définitivement fixée par le comité directeur de la FFR samedi, alors qu'il était prévu de la repousser. Une décision caractéristique de l'autoritarisme qui règne à la fédération selon Florian Grill, qui juge "dangereuse" une réélection de Bernard Laporte à la tête de la FFR. Ce dernier a d'ailleurs officialisé sa candidature ce mardi.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
  (THOMAS JOUHANNAUD / MAXPPP)

La FFR a décidé vendredi dernier de maintenir la date du 3 octobre pour les élections à la présidence de l'instance, alors que vous demandiez un délai. Comprenez-vous cette décision ?
Florian Grill
: "Roxana Maracineanu (alors ministre des Sports, ndlr) avait repoussé de quatre mois la limite pour organiser les élections, et de nombreuses fédérations ont suivi en repoussant leur date. Le comité d'éthique et de déontologie de la fédération, qui est un organe consultatif, a émis un avis explicite dans lequel il juge que, compte-tenu de l'interruption de la campagne, il valait mieux repousser la date du vote. Nous avions demandé de réaliser les élections le 12 décembre, donc qu'elles soient repoussées de deux mois, soit la durée du confinement. Mais d'autorité, Bernard Laporte a fait voter au comité directeur de maintenir au 3 octobre. Je trouve ça surréaliste. Les clubs avaient voté pour neuf mois de campagne. Finalement, ce sera six ou sept mois."

"Deux visions radicalement différentes avec Bernard Laporte"

Que reprochez-vous à Bernard Laporte ?
FG :
"Le fait qu'il soit candidat à sa propre succession, c'était un secret de polichinelle. Il fait campagne depuis des mois, donc ce n'est pas une énorme surprise. Je souhaite que l'on puisse débattre, programme contre programme, pour présenter nos stratégies. Sous son mandat (de 2016 à 2020, ndlr), les clubs ont perdu 54 000 licenciés. C'est une baisse de 26% dans les écoles de rugby. Pour les clubs, c'est dramatique, parce que c'est des cotisations en moins et un manque à gagner de 22 millions d'euros. Il y a un double impact du Covid-19 et de la baisse importante des licenciés. Réélire Bernard Laporte, c'est dangereux parce qu'il n'y a pas de stratégie pour la relance du nombre de licenciés. Il souhaite construire le rugby par le haut, avec une Coupe du monde annuelle des clubs, la création de la Nationale (3e division entre la Fédérale 1 amateur et la Pro D2 professionnelle, ndlr). Il parle d'un fonds d'investissement qui pourrait faire son entrée dans le Tournoi des 6 nations et il explique que l'argent va dégouliner. Nous, on pense qu'il faut relancer le rugby par la base pour qu'il se solidifie. On souhaite par exemple multiplier par dix l'investissement dans le scolaire, et améliorer la formation et l'encadrement. Bernard Laporte et moi, nous avons deux visions radicalement différentes."

Le nombre de licenciés, c'est devenu la priorité de votre campagne ?
FG :
"Quand, en année post-Coupe du monde, il n'y a pas de croissance du nombre de licenciés, c'est dramatique et c'est du jamais-vu. Il n'y a plus de sang dans les veines des clubs. En junior, certains clubs se réunissent à cinq pour former une seule et même équipe. Comment fait-on à partir de là pour alimenter les équipes seniors ? Le drame essentiel du rugby français, c'est cette perte de licenciés. La sauvegarde des clubs de rugby est un enjeu de société : si on n'a plus ce maillage en club, si les équipes disparaissent, on ne perd pas juste le sport mais aussi la capacité des gens à créer du lien. Et la Fédération actuelle se dit que ça va repartir quand l'équipe de France aura des résultats. Mais c'est extrêmement aléatoire comme stratégie ! Ça devrait être la priorité de la Fédération, pas la Coupe du monde des clubs."

"C'est une plaisanterie, le budget présenté est gonflé à l'hélium !" 

Parmi les reproches que vous faites à Bernard Laporte, il y a une critique de la gestion des comptes de la Fédération. Selon vous, on a l'impression que la direction actuelle ne prend pas en compte l'impact du Covid-19...
FG :
"Évidemment ! On nous annonce dix millions d'euros de recettes supplémentaires sur la billetterie, alors qu'on n'est pas sûr de pouvoir remplir les stades. On nous annonce ces recettes sur les droits TV, et tout ça en post-coronavirus... Alors que la DNACG (Direction nationale d'aide et de contrôle de gestion, ndlr) a prévenu les clubs qu'ils devaient tabler sur 30% de partenariats en moins. C'est une plaisanterie, le budget présenté est gonflé à l'hélium ! Je suis donc très inquiet, parce qu'on vit grand train et on dépense de l'argent qu'on n'a pas."

Début mai, Bernard Laporte a obtenu le poste de vice-président de World Rugby. Est-ce que vous pensez que cette nomination peut le servir pour l'élection du 3 octobre prochain ?
FG :
"Cette vice-présidence de World Rugby, ça a un impact certain sur l'intérêt que Bernard Laporte porte pour le rugby français. Pendant le confinement, il y a eu énormément de réunions en visio avec les présidents de ligues régionales. Et jamais Laporte n'a été présent ! C'est Serge Simon qui a géré la Fédération pendant l'absence de Laporte qui a la tête ailleurs. Pour le calendrier mondial par exemple, on ne sait pas quelle casquette il a choisie : va-t-il prendre la défense du modèle de club français, qui est en danger avec cette initiative, ou celle de vice-président de World Rugby ? C'est une vraie question et je pense qu'il doit défendre le modèle français. On a un modèle qui fonctionnait et on est en train de le tuer. Si on fait une Coupe du monde annuelle des clubs, ça va concerner quatre clubs et les autres vont être rétrogradés dans une sous-organisation. Avec son poste à World Rugby, Laporte est absent des décisions essentielles qui concernent le quotidien des clubs et la relance du nombre de licenciés."

Durant son mandat, Bernard Laporte a tout de même obtenu l'organisation par la France de la Coupe du monde 2023...
FG :
"Oui, et bravo d'ailleurs ! Je suis ravi qu'on ait eu cette organisation. Il a contribué à faire gagner la Coupe du monde à la France, mais il faut passer à autre chose. Quand quelque chose est bien, je n'hésite pas à le dire. Dernièrement, on m'a présenté un livret pour les écoles de rugby, je le trouve très bien et j'ai applaudi des deux mains."

"Je souhaite débattre avec Bernard Laporte, pour que l'on puisse discuter de nos projets"

Vous êtes en pleine période de campagne auprès des acteurs du rugby local. Est-ce que vous sentez ces derniers ouverts à vos propositions pour la présidence de la FFR ?
FG :
"Avant le début de la crise du coronavirus, nous avions pu faire 70 réunions sur le terrain. Depuis le pic de l'épidémie, on a repris les réunions en visio tous les soirs et jusqu'au 11 juillet avec une dizaine de clubs à la fois. Ça nous fera pratiquement 100 réunions. Et du 11 juillet au 28 août, on va faire le tour des barbecues, ce qui est logique au vu de mon nom (rires). On va aller dans tous les clubs pour discuter de manière informelle. Et au mois de septembre, on fera 25 meetings. Il y a 1 900 clubs (qui voteront le 3 octobre prochain, ndlr) et on aura vu potentiellement 100% d'entre eux, ce qui rend la campagne très intense. C'est de la co-construction, on ne fait pas des réunions descendantes. On y va pour répondre à des questions et les clubs nous parlent de ce qu'ils veulent."

Vous allez arriver le 3 octobre avec une campagne plus courte que vous l'auriez souhaitée. Pensez-vous que cela sera suffisant ?
FG :
"On se doutait que Bernard Laporte n'accepterait pas l'évidence de reporter la date des élections. On s'est organisés pour faire la totalité de notre campagne avant le 3 octobre. Maintenant, je pense qu'il y a match. Selon le dernier sondage de Midi Olympique (du 7 juin, ndlr), il y a 30% d'indécis. Et j'ai fait le calcul, si les deux-tiers de ces indécis se tournent vers nous, on gagnera. Et je veux croire que plein de gens ne disent pas qu'ils voteront pour nous, parce qu'ils ont peur de subir des pressions. Donc je pense qu'il y a vraiment match et j'attends ça avec impatience. Mais ce qui va être important, c'est la confrontation : je souhaite débattre avec Bernard Laporte, pour que l'on puisse discuter de nos projets et pour que les clubs puissent faire un choix en connaissance de cause."

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