Promu en National, le SC Bastia veut retenir les leçons du passé
"Ce club est fait pour raconter des histoires". Depuis qu'il a repris le Sporting Club de Bastia en 2017, Claude Ferrandi a entamé l'écriture d'un nouveau chapitre, celui d'une renaissance. Trois ans après un dépôt de bilan et une descente en cinquième division, le club corse est à nouveau aux portes du monde professionnel. Jeudi dernier, le SCB a appris sa promotion en National, quand la Fédération française de football a prononcé l'arrêt de la saison dans les championnats amateurs. L'homologation n'est pas encore entérinée, mais la nouvelle est une bouffée d'oxygène pour le peuple bastiais, et toute la Corse.
Plus qu'un club de football
Car, le Sporting est bien plus qu'un club de football. Ses succès et ses échecs n'engagent pas que ses salariés. La "testa mora" (tête de Maure) sur son logo a valeur d'allégorie, d'incarnation de toute une région. “C’est en mettant les pieds dans le monde de l’entreprise que j’ai vu l’impact qu’avait le club. A la conserverie de mon grand-père, on m’appelle tout le temps pour me parler de Bastia. ‘Ah Cioni ! Vous êtes parent avec le joueur ? Ah, vous vous occupez de l’entreprise familiale. On vous remercie d’être resté’. Sans être des supporters acharnés, les gens ont toujours une pensée pour le club", s'amuse à raconter Gilles Cioni, le capitaine iconique d'un club avec lequel il vient de boucler une dixième saison consécutive.
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L'homme au sang bleu et blanc, taulier du vestiaire, a connu la Ligue 1 avec Bastia, et même une finale de Coupe de la Ligue contre le Paris Saint-Germain en 2015. Quand il a fallu repartir en National 3, le latéral droit n'a pas lâché le SCB. Aujourd'hui, c'est lui qui se charge de prévenir les nouveaux arrivants, insistant sur leur devoir d'exemplarité. "Quand ils se baladent, à Ajaccio ou à Porto-Vecchio, des gens les arrêtent et les reconnaissent, même en quatrième division", souligne-t-il. Dans une bulle en Ligue 1, le Sporting Club de Bastia est revenu à l'essentiel en accomplissant sa catabase. "Le fait d'avoir dégringolé de quatre étages en trois semaines, c'est sûr que ça nous a ramenés sur terre. On est plus humbles et on a renoué des liens avec les petits clubs locaux", confie Gilles Cioni.
"Le football a besoin d'un club comme Bastia", Frédéric Née
Ce devoir d'exemplarité est d'autant plus important que la survie du Sporting tient en partie de l'engagement des supporters. Au moment du dépôt de bilan en 2017, un système de Socios est sorti de terre. Des supporters engagés ont mis de l'argent de leur poche pour maintenir en vie le SC Bastia. La barre des adhérents au projet a désormais dépassé les 5500 unités et, depuis l'année dernière, deux personnes issues du collège des supporters siègent au Conseil d'administration du club. Ceux-ci "peuvent participer aux décisions stratégiques et budgétaires" explique Claude Ferrandi. Ce système est une première dans le football français.
"On est une terre de football et de passion", insiste Cioni. La ferveur du public bastiais n'est plus à prouver. Parfois excessive, elle a pu déraper, mais tous les acteurs du club la placent au centre de la reconstruction du Sporting. "Du continent, on connaît le nom du Sporting Club de Bastia, sa réputation, son histoire. Mais on ne mesure pas l'engouement tant qu'on y est pas", appuie Mathieu Chabert, l’entraîneur, arrivé en Corse il y a six mois. "Le Sporting c’est la petite flamme bleue du réchaud à l’ancienne, une lueur bleue qui ne s’éteint jamais. Elle n’attend qu’une seule chose, c’est l’apport de gaz", surenchérit Ferrandi.
L'impact du douzième homme
Très peu de clubs français pourraient se targuer d'avoir 4600 abonnés à la reprise d'une saison en National 3. "On était sur une jambe et on n'avait pas de joueurs", rappelle le président. Bastia a réuni 6000 spectateurs dans son enceinte pour son premier match à domicile au cinquième échelon national. "Je vois des matches de Ligue 2 où il y a moins de monde en tribunes que chez nous, en National 2", remarque Frédéric Née, l'entraîneur adjoint. Même chose à l'extérieur. Le parcage rempli à Sedan ferait pâlir la plupart des clubs de Ligue 1.
"Cette année, j'ai gagné des matches grâce au douzième homme", confie Mathieu Chabert. Celui qui a amené Béziers en Ligue 2 en 2018, n'est pas avare d'anecdotes sur le début de son aventure corse. Il évoque notamment la réception de Belfort, dans la foulée du match nul à Sedan, chez le concurrent direct pour la montée et à égalité de points. Après avoir mené 2-0, le Sporting subit en fin de match la pression de Belfort, revenu à 2-1 un peu plus tôt. "Sur un six mètres en notre faveur, je me retourne vers la tribune et je vois tout le monde me crier ‘Sedan est en train de perdre, Sedan est en train de perdre !’. Pendant un quart d’heure, tout le stade a chanté sans s'arrêter, et pas seulement le Kop... C’est une onde qui vous traverse", raconte-t-il, comblé.
"Le football a besoin d'un club comme Bastia", tranche Frédéric Née. Même si les objectifs à court terme ne sont pas encore définis, le Sporting rêve de faire son retour dans l'élite. Le club corse estime que sa place est dans le monde professionnel. "Quand on était en Ligue 1, c’était le plus grand spectacle de Corse. Tous les 15 jours, 15 000 personnes étaient réunies à Furiani. Les gens n'attendaient que ça", justifie Gilles Cioni. Le capitaine estime que le Sporting fait partie de ces clubs irremplaçables. "S’il venait à disparaître, personne ne prendrait sa place, pas même les clubs de la région bastiaise", ajoute-t-il.
"On a tous les ingrédients pour le maintenir dans le monde professionnel. Après je ne dis pas qu’on va rester 25 ans de suite en Ligue 1", poursuit le latéral droit de 35 ans. Il faudra "retenir les leçons du passé" et accepter/anticiper les saisons de "moins bien". Le modèle que le Sporting suit c'est celui du Racing Club de Strasbourg, revenu s'installer en Ligue 1 après un dépôt de bilan en 2011 . Claude Ferrandi tient en estime Marc Keller, le président du club alsacien, venu prodiguer des conseils au moment du dépôt de bilan.
Retenir les leçons du passé
Le président bastiais ne se contentera pas d'un retour en National. "On est là parce qu’on aime le club, on est là pour qu’il puisse continuer d’exister au plus haut niveau. Pour ça, il faut garder la tête froide, mettre de la mesure et ne pas faire de choses frivoles. Ce qu’on ne peut pas faire aujourd’hui, on le fera demain", analyse-t-il. Frédéric Née le rejoint : "On est conscient de ce qu’on a. Si on ne peut pas acheter un joueur, on ne le fait pas. On gère à l’économie et de façon rationnelle".
Pas question de se jeter tête baissée dans une course à la Ligue 2. Claude Ferrandi veut temporiser. "A court terme, je ne sais pas du tout comment me positionner. Il m'est impossible à l'heure actuelle de dire qu'on va développer un budget pour monter en Ligue 2", explique le président du club corse. Il faudra d'abord mesurer l'impact économique qu'aura la pandémie de Covid-19 sur Bastia. Le budget du club repose pour "quasiment un tiers" sur l'apport des sponsors et il est encore trop tôt pour savoir combien d'entre eux pourront continuer leur partenariat.
"Les farfelus sont vite rattrapés dans ce milieu", Gilles Cioni
“Il serait complètement inconscient de ne pas être inquiet, mais il faut garder un esprit optimiste sur la relance", insiste Ferrandi. Il assure que le Sporting pourra dans tous les cas assumer la masse salariale de ses joueurs la saison prochaine. L'objectif du club dépendra des nouvelles qu'il recevra d'ici un ou deux mois. "Le National est un palier. Comme en plongée, quand vous arrivez à un palier de décompression, il faut y rester un moment pour s’adapter", analyse Mathieu Chabert. L'idée est de ne pas brûler les étapes, d'être mesuré et de garder la tête froide. Dans son discours, le SCB a changé de paradigme
Le club corse retravaille son image pour redorer son blason. Le dernier souvenir qu'il a laissé en Ligue 1 n'est que très peu ragoûtant. Le 17 avril 2017, lors d'un match à domicile contre l'Olympique lyonnais, des supporters avaient investi la pelouse pour frapper des joueurs adverses. "Nous déplorons que le SC Bastia donne une image horrible de notre football", n'avait pas hésité à déclarer Nathalie Boy de la Tour, la présidente de la LFP. Puisqu'elle ne visait pas que les supporters fautifs, cette déclaration avait cristallisé toute la tension que générait le club dans sa globalité. Lors de la même saison, les dirigeants du Sporting avait notamment défendu un supporter qui avait frappé le Parisien Lucas avec un drapeau. Et cette liste n'est pas exhaustive.
Maintenir le cap
"Au travers du club, j’ai envie qu’on puisse dire que les Corses sont des gens bien. Les Corses sont réputés comme étant des gens au sang chaud, impulsifs. Il ne faut pas que ce caractère soit porté par des comportements outranciers. La Corse a toujours été une terre d’accueil", souhaite Claude Ferrandi. Présider le SC Bastia, c'est porter toute l'histoire d'un club. Le Sporting est l'institution sportive régionale. Finaliste de la Coupe UEFA en 1978, vainqueur de la Coupe de France en 1981, il a marqué l'histoire du football français. En 2015, c’est une victoire épatante contre le PSG (4-2) en Ligue 1 à Armand Cesari qui a fait grand bruit.
Avant de se prendre à rêver d’un nouvel âge d’or, Bastia remonte la pente progressivement. Rien n'est encore acquis. Le peuple bastiais semble avoir accordé sa confiance à Claude Ferrandi, lequel a assuré que les finances étaient "saines". Mais, les démêlés financiers et administratifs n'ont pas été oubliés en Corse. "On n'est jamais à l'abri", préfère anticiper Gilles Cioni. La bonne nouvelle, c'est que les gens farfelus sont vite rattrapés dans ce milieu".
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