Quand l'altercation entre l'Inde et la Chine s'invite dans le monde du sport
En Inde, le cricket est considéré par l’ensemble de la population comme une religion. Alors quand la première division professionnelle de ce sport prend la parole, tout le monde écoute. Le 19 juin dernier, l’Indian Premier League a ainsi annoncé sur son compte Twitter qu’elle réexaminerait ses contrats de sponsoring. Une déclaration peu anodine au vu de son timing, quatre jours seulement après le conflit le plus violent depuis 53 ans entre la Chine et l’Inde. Une altercation à mains nues - sans usage d’armes à feu comme cela est de mise entre les deux pays - entre les soldats des deux armées, à la frontière contestée du Ladakh.
Depuis, les deux géants asiatiques se rejettent la faute de l’affrontement et le sentiment nationaliste indien est grandement exacerbé. Depuis une dizaine de jours, des affiches de drapeaux chinois et des photos de Xi Jinping sont brûlées à travers le pays et le mouvement "Boycott China Products" (Boycott des produits chinois) prend de l’ampleur en Inde. Pris dans la vague, le sport indien est submergé et les responsables prennent position tour à tour.
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D’où l’annonce de l’Indian Premier League du 19 juin. "Prenant compte de l’accrochage à la frontière qui a provoqué le martyr de nos braves jawans, le Conseil d’administration de l’IPL a convoqué une réunion la semaine prochaine pour réexaminer ses différents contrats de sponsoring", a ainsi tweeté l’IPL. Comme l’ensemble du sport indien, la ligue nationale de cricket est très fortement liée à la Chine, avec des investissements et d’importants contrats de sponsoring, qui pourraient être mis en danger par le contexte actuel entre les deux pays.
"La présence chinoise a très fortement augmenté depuis 3-4 ans"
Le sponsor titre de l’IPL n’est autre que Vivo, le fabricant chinois de smartphones, qui a déboursé 260 millions d’euros pour voir son nom associé à la ligue pour cinq ans. De même, les géants chinois que sont Tencent et Alibaba détiennent respectivement des parts majoritaires dans les partenaires officiels de l’IPL, les entreprises indiennes Dream11 et Paytm. Et d’autres sponsors associés à l’IPL, comme Swiggy ou Byju, sont également financés par ces mêmes entreprises chinoises.
Le casse-tête est donc grand pour le sport indien, alors que "la présence chinoise en Inde a très fortement augmenté depuis trois ou quatre ans", explique Ashish Shah, fondateur de Dynamic Sports et ancien président de deux clubs de l’Indian Super League, le championnat de football indien. "Le sport indien ne peut pas survivre si nous décidons d’arrêter du jour au lendemain de faire des affaires avec la Chine." À y regarder de plus près, la Chine a ainsi investi massivement chez son voisin. Outre l’IPL, la fédération indienne de cricket, le Board of Control for Cricket in India (BCCI) est également très dépendant de la Chine financièrement. Le sponsor de l’équipe nationale est Byju, le sponsor titre est Paytm et le sponsor officiel de la fédération est Dream11. Des entreprises toutes plus ou moins financées par des conglomérats chinois.
Également très présente dans le e-sport indien et auprès du Comité olympique indien (COI) avec l’entreprise Li Ning qui fournit des équipements sportwear aux athlètes indiens, la Chine a créé "une asymétrie très importante avec son voisin indien", explique Simon Chadwick, professeur à l’EM Lyon spécialisé dans la politique et le sport, avant d'ajouter : "La Chine a forcé l’Inde a être dépendante et maintenant le sport indien se retrouve coincé." Une dépendance qui fait dire à Ashish Shah que malgré la puissance du mouvement "Boycott China Products", "les choses vont se calmer dans les prochaines semaines et tout va revenir à la normale."
L'Inde également dépendante pour les équipements sportifs
Mais dans un pays où le Premier ministre Narendra Modi s’est fait élire en 2014 avec un programme nationaliste, le risque de voir les conflits entre la Chine et l’Inde avoir un impact sur les échanges entre les deux pays est tout de même important. Secrétaire général du COI, Rajiv Mehta a ainsi déclaré que l’approche du comité olympique serait toujours "l’Inde en premier". Un avis partagé par le trésorier de la fédération de cricket, Arun Singh Dhumal : "L’intérêt de l’Inde est toujours plus important que les intérêts commerciaux de la BCCI."
Selon Simon Chadwick, "tous ces représentants devaient faire des annonces de ce type. L’IPL était obligée de faire cette annonce, elle ne pouvait pas rester silencieuse. Mais la réalité est que le sport indien dépend trop de l’argent qui provient de Chine". Au-delà des simples financements chinois, l’Inde repose également sur la Chine pour la production et l’acheminement d’équipements sportifs. Selon les chiffres du département du commerce pour l’année 2018-2019, sur les 118 millions d’euros d’import effectués par l’Inde pour les équipements d’athlétisme et de gymnastique, 82 millions proviennent de Chine.
Pour la production des balles et des casques de cricket, l’Inde dépend de la Chine pour les matières premières. Sathiyan Gnanasekaran, star du tennis de table en Inde, a ainsi déclaré à l’Indian Express que "le pays n’est pas dépendant pour les tables et les raquettes, mais la Chine produit les balles comme un Monopoly." Des balles utilisées à l’occasion de tous les tournois internationaux et que les joueurs doivent utiliser, à défaut de pouvoir en maîtriser les caractéristiques techniques.
Une prise de position de Donald Trump à venir ?
Selon Ashish Shah, "ce qui est certain c’est que les marques financées par des entreprises chinoises vont faire profil bas. Et la situation actuelle, sans sport, va aider". L’objectif est donc d’atténuer la véhémence des pro-boycott. Mais malgré l’accalmie, un nouveau conflit à la frontière pourrait à nouveau envenimer la situation et menacer plus concrètement encore le monde du sport indien. "On assiste à une vraie montée du nationalisme en Inde, et les fans de sport, animés par les positions du Premier ministre, réagissent très fortement", décrit Simon Chadwick.
Pour le professeur de l’EM Lyon, il semble peu probable que l’IPL, qui doit annoncer sa décision dans les prochains jours, mette un terme à ses partenariats actuels. Mais selon lui, un autre élément est à prendre en compte : une éventuelle prise de position de Donald Trump, qui partage des affinités avec Narendra Modi. "Si la Chine est trop menaçante envers l’Inde, il ne serait pas inconcevable de voir Trump s’impliquer", explique Simon Chadwick. En cas de prise de parole du président américain, le mouvement "Boycott China Products" pourrait prendre une autre dimension et les conséquences pour le sport indien pourraient cette fois devenir plus concrètes.
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