Cet article date de plus de quatre ans.

Quand la cause des femmes dans le sport devient un outil de propagande

Ce jeudi, 3 500 femmes ont assisté à un match de qualification au mondial 2022 en Iran : jamais l’on avait vu autant de femmes dans un stade dans ce pays qui encadre fortement leurs sorties. Certains saluent l’avancée, mais d’autres, comme Amnesty International, parlent d’un "coup de publicité cynique". En réalité, l’ouverture du sport aux femmes dans le sport peut être un outil de propagande puissant.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
  (SAEID ZAREIAN / DPA)

Devant le stade Azadi, les spectateurs se pressent. Le match de l’équipe nationale commence bientôt ; face au Cambodge, les chances sont réelles. Mais exceptionnellement, l’enjeu aujourd’hui se situe ailleurs. Tous les regards se tournent vers la tribune où se trouvent plus de 3000 supportrices. 

C’est un événement dans ce pays, où les femmes n’ont eu que très, très rarement l’occasion de rentrer dans des tribunes depuis la révolution islamique en 1979. En 2005, seules quelques dizaines avaient eu l’autorisation d’assister à Iran-Bahreïn. En octobre 2018, à peu près 100 femmes ont eu l’opportunité de supporter l’Iran face à la Bolivie…avant que le procureur général du pays ne juge qu’exposer les femmes à la vue "d’hommes à demi nus" risquait de mener "au péché". 

Autant dire que voir 3500 femmes grimper les marches du Stade Azadi relève de l’exceptionnel. L’Etat iranien ne manque pas de le faire savoir depuis quelques jours : partout on voit fleurir les articles sur « l’ouverture de la société iranienne », ou "l’émancipation des femmes par le sport".

Mais la réalité est, évidemment, plus complexe. Comme c’était le cas en 2018 avec l’Arabie Saoudite de Mohamed Ben Salman ou, plus tôt, le Qatar "moderne" des années 2000, le statut des femmes est une belle rampe de lancement pour la promotion du régime en place, et donc, en quelque sorte, pour le statu quo.

Le football, l’opium du peuple ? 
 

Le 9 septembre dernier, soit un mois avant ce match Iran-Cambodge, Sahar Khodayari, une jeune femme qui se déguisait en homme pour aller voir des matches, s’immole par le feu, après avoir cru qu’elle allait être condamnée à de la prison ferme après une de ses infiltrations. Le tollé est immense sur les réseaux sociaux, la Fifa réagit et menace l’Iran de sanctions sévères. C’est après la visite d’une délégation de l’instance que l’Iran décide d’autoriser la vente de billets aux femmes. Le lien est vite fait. 

L’Iran n’a rien à faire d’avoir une bonne ou une mauvaise image

Les pressions de la FIFA sont terriblement efficaces : le gouvernement iranien sait qu’il doit dompter une société civile de plus en plus volcanique. Au premier rang, on retrouve les étudiants et étudiantes de l'Université de Téhéran, véritable vivier du militantisme moderne en Iran, capable d'exploser à tout moment.  En mai dernier, si les manifestations n'ont pas porté leur fruit, c'est parce que l'attention nationale était portée sur le conflit diplomatique entre l'Iran et les Etats-Unis. Mais la colère gronde, c'est indéniable, Or, le football reste un des seuls lieux de sérénité et de communion. “Pour un pays qui est sous l’embargo américain et de la crise économique qui en découle, il est primordial de donner de minces espaces d'ouverture à sa population, en particulier à la jeunesse,  ce que représente la passion sportive, explique Raphaël Le Magoariec, doctorant à l'Université de Tours, spécialiste de la diplomatie sportive dans les pays du Golfe. "Voilà pourquoi les pressions de la FIFA peuvent avoir une issue favorable”, ajoute-t-il.

En d'autres termes, il importe peu à l'Iran d’avoir une mauvaise ou une bonne image : l'essentiel, c’est de contenter la population. Politiquement, il s’agissait donc de contenir d’éventuels bouillonnements internes en cas de sanction sévère de la part de la FIFA, plus qu’une réelle intention d’améliorer le statut des femmes. Du pain et des jeux pour endormir le peuple. 

Une stratégie politique plus qu’une réelle avancée sociale

De la même manière, le Qatar cherche à souder la communauté nationale autour du rayonnement sportif de l’émirat. Quand le Qatar a remporté la Coupe d’Asie de football, c’est l’émir lui-même qui est venu récupérer le trophée à l’aéroport. Mais, au-delà des calculs politiques, se pose aussi la question de l’image internationale. Car contrairement à l’Iran, le Qatar et l'Arabie Saoudite nourrissent une ambition diplomatique auprès de l’Occident. Et pour Raphaël LMagoariec, cela attise le besoin qu'ont ces régimes à entrer dans un jeu de séduction :“Parce que l'Arabie Saoudite veut attirer les investisseurs occidentaux et que le Qatar souhaite se replacer sur la carte mondiale, ces deux pays se doivent soigner leur image. La faire concorder aux valeurs ouvertes de l'Occident”.

Lors des JO 2012, le Qatar a ainsi fait d’une femme le porte-drapeau de la délégation. Les exemples d’ouverture des stades. L’université du Qatar a créé en 2015 un département dédié au coaching sportif féminin. En Arabie Saoudite, les femmes ont été autorisées, pour la première fois, à assister à une rencontre de football début 2018. Le problème, c’est qu’une fois de plus, il s’agit d’un écran de fumée derrière lequel, parfois, on revoir surgir l’aspect oppressif de ces régimes. “Donner l’accès à l’espace sportif à certaines personnes, c’est donner l’impression d’avoir accès à plus de libertés, alors que les libertés politiques se réduisent dans un contexte d'après révolutions arabes" analyse Raphaël Le Magoariec.

La réalité n’est en effet pas aussi rose que le laissent entendre ces annonces d’ouverture de la société. En novembre 2018, soit quelques mois après l’autorisation faite aux femmes d’assister à certains matches, Le Monde révélait que neuf militantes féministes avaient été arrêtées, puis torturées, par le gouvernement saoudien. Jamais auparavant des prisonnières n’avaient été aussi maltraitées.” En réalité, le régime n’a jamais été aussi autoritaire.”

Comparer l’Iran à l’Arabie Saoudite a en soi quelque chose de profondément artificiel, tant les deux pays se distinguent et s’opposent. Les situations de ces pays n’ont pas grand chose en commun. Mais l’exemple de l’Iran ces derniers jours est ainsi typique d’une stratégie politique plus que d’une avancée sociale. Leur volonté d’instrumentaliser les valeurs occidentales, notamment sur le terrain de foot, pour leur intérêt politique, se rapproche. Il reste à savoir si cela sera suffisant pour empêcher les sanctions de la FIFA. Téhéran n'a pour le moment pas annoncé que les femmes pourraient assister aux matches du championnat iranien ou à d'autres rencontres internationales, alors que la Fifa demande que les femmes soient autorisées dans les stades de football "pour tous les matches".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.