Rejet de l'encadrement, besoin de s'affirmer, des loisirs "plus attractifs"... Quand les adolescents délaissent la pratique sportive
Malgré une hausse du nombre de licenciés en cette rentrée 2022, les fédérations sportives font toujours face à une pratique déclinante à l'âge de l'adolescence. Un constat qui se renouvelle d'année en année.
Un mois après la rentrée scolaire, les fédérations sportives se réjouissent des bons chiffres du mois de septembre. Parmi les huit plus grandes fédérations - football, tennis, judo, athlétisme, handball, rugby, basket, natation - toutes ont vu leur nombre de licenciés augmenter en cette rentrée 2022 par rapport à l'année précédente et parfois même, déjà dépasser leurs chiffres d'avant covid. Pourtant, cette bonne nouvelle cache une constante bien moins réjouissante : la baisse du nombre de pratiquants chez les adolescents.
Alors comment s'explique une telle baisse de la pratique à cet âge charnière ? D'abord, à l'adolescence, "il y a une volonté de s'affirmer, un besoin d'une culture des pairs qui se manifeste et par conséquent une prise de distance envers un encadrement adulte, qui est déjà très fort à la maison", explique Pascale Garnier, sociologue spécialiste de l'enfance et des enfants, et professeure à l'Université Sorbonne Paris nord. "La pratique très jeune est importante mais après l'âge de 10 ans, le nombre de licenciés se réduit", confirme Laurent Ciubini, le directeur général de la Fédération française de natation (FFN).
Les recommandations d’activité physique quotidiennes loin d'être atteintes
Le manque de pratique physique des Français, et en particulier chez les enfants et adolescents, inquiète de plus en plus les médecins et spécialistes alors que le phénomène est observé dans la littérature depuis une trentaine d'années. D'après les derniers chiffres publiés par l'Onaps (Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité), 37 % des enfants de 6 à 10 ans n’atteignent pas les recommandations de 60 minutes d’activité physique par jour. Un chiffre qui grimpe à 73 % pour la catégorie d'âge 11-17 ans.
Ce chiffre prend en compte, bien évidemment, la pratique au sein des fédérations sportives mais aussi celle non-encadrée que les jeunes font spontanément, entre eux, sur des terrains urbains et ruraux, comme les skate park et playground.
Le rejet de la pratique encadrée
Ce besoin de s'affirmer s'exprime aussi dans le choix de la discipline, comme l'explique encore Pascale Garnier : "Souvent, les premières activités physiques que pratiquent les enfants sont orientées selon les goûts des parents." De plus, du côté des parents toujours, dès l'arrivée au collège de leur enfant, "les enjeux scolaires augmentent beaucoup", détaille-t-elle encore.
"Les études priment et il y a une certaine pression des parents dans l'optique des résultats avant et après le bac."
Pascale Garnier, sociologueà franceinfo: sport
A cela s'ajoute aussi la question des autres loisirs des jeunes, comme les sorties entre amis ou les jeux vidéos, qui, d'après la sociologue, "deviennent à cet âge plus attractifs que le sport".
En parallèle, ces tranches d'âge sont confrontées à une recherche plus forte de la performance, voulue par les clubs et associations sportives. "Les clubs ont tendance à axer leur ambition sur la compétition, et favorisent ainsi les meilleurs. Il y a ainsi une sélectivité plus forte des fédérations au fur et à mesure que les jeunes prennent de l'âge, ce qui est un facteur de démotivation pour les pratiques encadrées", poursuit la sociologue Pascale Garnier.
D'autant plus que la pratique loisir y est par ailleurs "très inégalement développée", souligne-t-elle. Un constat dont a bien conscience Laurent Ciubini, le directeur général de la FFN : "La natation fait partie des sports fondamentaux. Ainsi, nous avons beaucoup de très jeunes licenciés pour apprendre les bases, mais une fois celles-ci acquises, les entraîneurs vont rapidement augmenter l'intensité dans une optique de compétition. La natation est une pratique exigeante qui nécessite beaucoup de répétition, et peut devenir rapidement usante pour les enfants, ce qui peut donc expliquer leur décrochage."
Un phénomène plus marqué chez les filles
Ce constat est certes vrai pour garçons et filles mais est davantage marqué chez ces dernières. "A l'adolescence, le taux de pratique chez les garçons est beaucoup plus élevé que chez les filles. Elles lâchent les activités sportives en club, en 5e ou 4e, soit un peu avant les garçons", confirme Catherine Louveau, sociologue du sport et universitaire, spécialiste des inégalités filles-garçons. L'Onaps s'est aussi penché sur la question, et son étude corrobore ces observations. Chez les jeunes de 6 à 17 ans, seuls 50,7 % des garçons et 33,3 % des filles atteignent les recommandations de 60 minutes d’activité physique par jour.
"Dès l'enfance, elles sont encore beaucoup à s'inscrire dans des sports comme la danse, la gymnastique, autrement dit des pratiques d'intérieur et d'esthétisation, alors que les garçons vont aller plus naturellement vers le football, le judo."
Catherine Louveau, sociologue du sportà franceinfo: sport
Des pratiques dont elles veulent s'affranchir à l'adolescence. Mais à la différence des garçons, elles ne vont pas reporter ce temps vers une activité sportive non-encadrée, mais "plutôt vers des activités d'intérieur, comme la lecture ou le shopping. Les filles sont plutôt dedans, les garçons plutôt dehors", résume-t-elle.
Comme chez leurs homologues masculins, l'adolescence est un tournant dans la pratique en club, où l'exigence de la compétition est de plus en plus présente. "Être sportive pour une fille, c'est-à-dire pratiquer de l'athlétisme, du handball, du basket par exemple, a fortiori en compétition, pose question pour beaucoup d'entre elles au niveau de la construction de la féminité. Pour beaucoup, il y a cette idée qu'une fille trop sportive ne serait pas assez féminine, alors qu'à cet âge les adolescents s'interrogent beaucoup sur leur corps, la séduction...", analyse la sociologue Catherine Louveau.
Le défi de la fidélisation au sein des fédérations
Face à ce phénomène, les fédérations sportives peinent à conserver leurs jeunes pratiquants, la tranche 12-14 ans étant souvent l'âge charnière d'une chute du nombre de licenciés, et ce jusqu'à 18-19 ans. Alors, pour tenter d'inverser la tendance, la Fédération française de rugby (FFR) s'est penchée sur le sujet pour en comprendre les raisons et essayer de trouver des solutions. "Nos chiffres ne sont pas mauvais, mais pas excellents non plus. On est autant en difficulté que les autres fédérations pour attirer et fidéliser les jeunes de 14 à 19 ans", explique Olivier Lièvremont, directeur technique national en charge des équipes professionnelles et amateures.
Pour inverser les courbes, la FFR a ainsi mis le paquet pour assurer une "pratique de qualité" sur l'ensemble des clubs. Labélisation, appui de conseillers techniques dans chaque territoire, et livret de suivi du jeune joueur, sont autant de solutions qu'a instaurées la Fédération dans les écoles de rugby (6-14 ans).
Des commissions jeunes (14-19 ans) ont également vu le jour pour fidéliser les jeunes jusqu'à la fin du lycée. "Si on voit déjà les premiers effets, nous devons encore nous améliorer chez les filles, car on en attire beaucoup mais on en perd beaucoup aussi", remarque le DTN. Pour la sociologue Pascale Garnier, le travail des fédérations est certes essentiel mais doit s'ajouter à d'autres mesures. "Les fédérations doivent développer les pratiques loisirs, avec une auto-organisation des jeunes, pour accrocher les enfants."
"Il faut aussi un soutien de l'Etat, qui devrait favoriser davantage l'EPS et l'UNSS. Le soutien financier à la pratique ainsi que le relais des médecins sont aussi des éléments importants pour favoriser la pratique."
Pascale Garnier, sociologueà franceinfo: sport
La marche est encore longue, mais les fédérations ont dorénavant pris ce problème sociétal à bras-le-corps dans un but commun : réconcilier les adolescents avec la pratique sportive.
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