Réouverture des sites sportifs : de la théorie à la pratique, qu'est-ce qui change ?
Le mardi 2 juin devait marquer le début de la fin. Le commencement d’une nouvelle ère après plus de trois mois de galère pour tous les Français, particulièrement pour les collectivités locales puis pour l’ensemble du sport amateur et de ses associations. Oui, le mardi 2 juin devait sonnait l’heure de la délivrance et du déconfinement pour le sport. Du stade de foot en passant par le boulodrome, la salle de basket, le gymnase ou la piscine, tous ces établissements devaient rouvrir… sous conditions ! Vous savez, c’est comme ce petit astérisque que l’on n’aperçoit jamais, ou presque, tout en bas d’un vilain panneau publicitaire. Ces conditions ne sont autres que des protocoles sanitaires très stricts, légitimes et nécessaires en cette période exceptionnelle.
Mais alors pourquoi un tel décalage existe-t-il entre les annonces gouvernementales et la réalité du terrain ? Quelles sont les contraintes rencontrées par les collectivités locales ? Nous avons essayé d’élucider ces questions en épluchant les différents guides de reprise du sport diffusés par le ministère des sports, et en nous appuyant également sur un témoin majeur, en première ligne face aux protocoles sanitaires de réouverture auxquelles les quelques 36 000 communes françaises doivent se référer. Et l'annonce dimanche soir de Roxana Maracineanu de la réouverture officielle pour ce lundi ne simplifie en rien la donne.
► Les équipements sportifs extérieurs : Ouverts, sous conditions
Les courts de tennis, les terrains de football ou de rugby, les pistes d’athlétisme, les bases aquatiques (aviron, canoë-kayak, etc…) ou encore les complexes sportifs omnisports : depuis le mardi 2 juin, tous ces espaces réservés à la pratique sportive en extérieur ont bel et bien rouvert du moment que les collectivités locales étaient en mesure de faire respecter le protocole sanitaire aux pratiquants. "En ce qui concerne les pratiques extérieures, nous n’avons pas connu de difficultés majeures", nous confie Franck Patissier, directeur des sports de la ville de Roanne (Loire) qui compte 35 000 habitants et pas moins de 15 000 licenciés répartis dans un peu plus de 160 associations sportives.
Évidemment, ces réouvertures ont été soumises à des conditions drastiques : "À partir de la mise en œuvre d’un protocole écrit par les associations, respectant par ailleurs le protocole proposé par le ministère de la jeunesse et des sports, elles se sont engagées à pouvoir accueillir leur public" nous explique-t-il. Et sur la pratique individuelle du sport, les espaces publics ont également obtenu le feu vert : "Assez vite, à compter du 2 juin, nous avons pu prendre la décision de rouvrir les terrains synthétiques, les pôles fitness et street work out, et enfin les espaces communs des complexes sportifs pour permettre au grand public de pouvoir repratiquer leurs activités sportives et individuelles."
Un guide de reprise du sport qui pose problème
Le premier constat en ce qui concerne les équipements sportifs extérieurs est donc positif : en France, et même en zone orange d’ailleurs, le sport a pu reprendre son cours dans les espaces publics ou réservés aux pratiquants d’associations. En revanche, c’est dans la pratique que le bât blesse. Si tout a rouvert, il est encore impossible de faire "normalement" du football, du basket ou du rugby pour ne citer que ces disciplines. Depuis le 11 mai et le début du déconfinement, le ministère des Sports, en collaboration avec les différentes fédérations, ont diffusé à tous les clubs un guide de reprise du sport via des pratiques alternatives. Depuis le 2 juin, les sports collectifs et de combat sont réautorisés si et seulement si leurs pratiquants respectent scrupuleusement ce fameux guide. Mais quel footballeur ou rugbyman aimerait reprendre sans ballon ou sans avoir le droit de faire des simples passes à un coéquipier ? Quel basketteur prendrait du plaisir à s'envoyer le ballon à soi-même contre un mur ?
Franck Patissier semble avoir la réponse à ces questions : "Je trouve que ces pratiques alternatives ont le mérite d’exister et je ne me permettrais surtout pas de critiquer les gens qui ont passé du temps à les construire avec une volonté louable derrière pour retrouver la pratique du sport. Sauf que dans les faits, je trouve que ces pratiques-là ont plutôt tendance à dénaturer le sens premier de l’activité concernée, plutôt que de favoriser le retour à cette activité-là."
"On se reverra en août pour faire du foot. Du vrai foot, et non pas une pratique alternative."
Le patron des sports de la commune ligérienne a d’ailleurs pu sonder les différents protagonistes. Et sans surprise, les conséquences ont été radicales : "J’en ai discuté avec quelques présidents de club. Localement, le plus gros club de foot de la ville, il a fait quoi ? Il a fermé boutique ! Et il ne reprendra pas avant la rentrée. A un moment donné, le président a pris la décision : la saison est terminée. Rideau ! On se reverra en août pour faire du foot. Du vrai foot, et non pas une pratique alternative." Ce club, c’est le Roannais Foot 42, qui compte près de 500 licenciés.
Pour Damien Vernay, référent technique en charge du football réduit (U6 à U13) au RF42, la reprise, dans ces conditions, était inenvisageable : "Le truc porte bien son nom, ce n’est pas du football mais juste une pratique alternative et ça dénature totalement le football. J’y ai quand même réfléchi longtemps pour trouver des solutions… Mais quand j’ai expliqué aux gamins, qui étaient hyper motivés à reprendre, que ça se passerait sans ballon ou sans la moindre interaction avec leurs copains, et bien évidemment, j’en ai perdu plus de la moitié." Reprendre le sport en extérieur est donc possible. Mais à quel prix ?
► Les gymnases : Fermés sauf exception
"La grosse problématique que l’on a rencontré, elle a concerné les gymnases et les gymnases spécialisés" nous a rapidement alerté Franck Patissier sur la gestion de leurs équipements sportifs d’intérieur. "Le soir du 28 mai, en prenant connaissance des annonces du Premier ministre, je me suis dit : ‘on est dans la panique !’ Le soir même, j’ai reçu sur mon téléphone professionnel de nombreux messages des associations qui m’ont dit : ‘Comment fait-on pour rattaquer mardi 2 juin ?’" Sa réponse aura été aussi simple que rigide : aucun établissement ne sera rouvert le 2 juin ! "Le mardi, le retour au bureau a été sympathique" nous avoue-t-il ironiquement avant de s’expliquer : "Depuis ce jour-là, on est en permanence entre le marteau et l’enclume. Parce qu’on a des utilisateurs qui veulent reprendre, alors qu’on doit faire face à de nombreuses contraintes, des protocoles sanitaires très stricts et à des moyens humains qui sont ce qu'ils sont…"
Des protocoles sanitaires stricts à respecter avant de rouvrir
Alors pourquoi la ville n’était pas en capacité de rouvrir ses gymnases et gymnases spécialisés (handball, basket, volley, tennis de table, sports de combat, escalade, etc…) le 2 juin comme annoncé par le gouvernement ? "Pour l’ensemble de ces équipements, nous devons respecter un protocole sanitaire avec plusieurs étapes à réaliser, très claires et très strictes, car nos établissements ont été fermés pour une période supérieure à deux mois" nous explique le directeur des sports de la ville de Roanne. Cinq étapes très techniques mais tout simplement "indispensables" :
- le nettoyage et la désinfection particulière des sites qui nécessite par ailleurs un temps de formation important pour l’ensemble du personnel,
- l’aération des locaux,
- la mise en place d’une circulation et d’une gestion des flux des pratiquants sur l’ensemble des sites avec, par exemple, une entrée et une sortie différente, un principe de marche à l’avant, ou encore un passage obligatoire au lavage des mains à l’entrée et à la sortie,
- l’entretien, le détartrage et la purge de tout le réseau d’eau froide et de toutes ses sorties dans le bâtiment,
- l’analyse liée à la légionelle sur l’ensemble des réseaux d’eau chaude.
Pas de réouverture avant la reprise de la saison en août
Ce protocole sanitaire n’est évidemment pas exclusif à la ville de Roanne mais bien à toutes les communes françaises qui veulent rouvrir leurs gymnases et gymnases spécialisés. Conséquences ? Pas de réouverture avant fin juin, au mieux : "Dans une collectivité comme Roanne, avec une vingtaine d’équipements à remettre en œuvre, ce protocole ne peut pas se mettre en place instantanément et en claquant des doigts sur l’ensemble des sites. On s’est donc très vite aperçu que nous ne serions pas en capacité de rouvrir avant le 22, ou le 23 juin dans le meilleur des cas." Soit près de trois semaines après cette fameuse date du mardi 2 juin et qui correspond aussi au début de la phase 3 du déconfinement qui pourrait, peut-être, permettre d’assouplir ce protocole sanitaire très contraignant.
Pour autant, les élus de la ville de Roanne ont fait un choix encore plus fort, en décidant d'aller plus loin pour ne pas prendre le moindre risque. "La fermeture estivale de nos équipements doit intervenir le 28 juin pour une réouverture envisagée sur la troisième semaine d’août. Donc une question s’est posée : est-il opportun, si c’est possible évidemment, de rouvrir pour une seule petite semaine d’activité ? Par rapport à ça, les élus ont décidé de franchir ce cap-là en laissant fermés nos équipements pour pouvoir rouvrir à la fin du mois d’août tous nos sites qui seront en parfait état de fonctionnement avec la volonté d’accompagner au mieux les associations dans la reprise de leurs activités."
"En cas d’incidents ou de l’apparition d’un éventuel cluster lié à la pandémie, la responsabilité aurait été celle de l’utilisateur mais aussi et évidemment celle du gestionnaire. Et dans 98,9% des cas, le gestionnaire d’un équipement sportif dans une collectivité, c’est la commune."
Bien évidemment, à contexte exceptionnel, la direction des sports de la ville de Roanne prendra des mesures exceptionnelles : si certaines associations sportives souhaitent reprendre leurs activités avant la reprise habituelle à la fin de l’été, pour rattraper le retard accumulé de ces trois derniers mois, ce sera possible. En revanche, il n’est pas question de rouvrir les gymnases avant que les protocoles sanitaires soient strictement respectés. "Un certain nombre de collectivités ont, non pas contourné la réglementation car c’est tout à fait légal, mais réautorisé l’accès à leurs gymnases assez rapidement uniquement sur les zones d’activités, nous dévoile Franck Patissier, en interdisant l’accès aux vestiaires et aux toilettes. C’était une possibilité qui nous était offerte mais nous, on a pris le parti de ne pas prendre le moindre risque."
Des risques qui peuvent être dramatiques autant pour les villes que pour ses résidents : "En cas d’incidents ou de l’apparition d’un éventuel cluster lié à la pandémie, la responsabilité aurait été celle de l’utilisateur, de l’association concernée, mais aussi et évidemment celle du gestionnaire. Et dans 98,9% des cas, le gestionnaire d’un équipement sportif dans une collectivité, c’est la commune ou l’intercommunalité à l’exception des salles privées." Marseille, Lyon, Nantes, Brest, ou encore Saint-Etienne : dans toutes ces grandes villes, pour ne citer qu’elles, les gymnases et gymnases spécialisés n’avaient pas pu rouvrir le 2 juin. Depuis, en France, les équipements sportifs d’intérieur rouvrent peu à peu. Mais non sans risques.
► Les piscines : Fermées sauf exception
Il reste enfin le problème des centres aquatiques, et plus particulièrement des piscines. Là, il faut savoir différencier deux choses importantes : les établissements privés et les établissements municipaux ou appartenant à l’intercommunalité. A Roanne, le "Centre Nauticum", lieu de résidence du club principal de l’AS Roanne Natation, rouvrira courant juillet après plusieurs semaines de travaux. Ce n'est pas forcément un problème puisque la reprise des entraînements n'est pas prévue avant la fin de l'été.
Là encore, et dans le même principe que pour les gymnases, un protocole sanitaire très strict a été mis en place avant d’assurer la réouverture des lieux, également fermés pendant plus de deux mois. En revanche, il faut rappeler que dans les zones oranges, comme à Paris, aucune piscine n’a été autorisée à rouvrir avant le début de la phase 3 du déconfinement, le 22 juin prochain... avant de voir cette autorisation être prononcée le jour pour le lendemain par la ministre des Sports Roxana Maracineanu.
Créneaux d’accueil, affluence très limitée et règles d’hygiène exceptionnelles
De ce que l’on a pu savoir, les différentes municipalités ont mis en place plusieurs mesures importantes pour respecter les fameux protocoles sanitaires. Des "piscines tests" ont même été sélectionnées pour expérimenter et définir ensuite les bonnes pratiques dans toutes les piscines de France. Au Havre, les piscines devaient rouvrir le 22 juin avec des créneaux d’accueil allant jusqu’à trois heures et qui doivent être réservés au préalable par mail ou par téléphone. A Marseille, seulement six établissements rouvriront le 29 juin avec des capacités d’accueil très limitées puisque 12 à 16 personnes seulement, par tranche d’1h30, seront autorisées à venir profiter des différents bassins ouverts.
Enfin, dans toutes les piscines, les gestionnaires devront désinfecter et nettoyer les douches, vestiaires et toilettes après chaque créneau d’accueil. Un travail dantesque pour les personnels d’entretien. Ces mesures sanitaires aussi nécessaires que contraignantes à mettre en place, expliquent qu'en France, très peu de piscines ont pu rouvrir leurs portes jusqu’ici. Et le permis de reprise du travail délivré par le gouvernement dimanche ne devrait pas changer la donne dans l'immédiat. Loin de ce qu'avait annoncé Edouard Philippe le 28 mai dernier.
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