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Roland-Garros, le casse-tête de la programmation

Un tournoi du Grand-Chelem se passe sur les courts où les stars évoluent, dans les stades que les spectateurs garnissent mais aussi en coulisses, là où tout se décide, où tout se prévoit. De l'évolution de la météo en temps réel, à la programmation des courts décidée en fonction des intérêts des télévisions couvrant l'événement, des joueurs mais aussi des spectateurs. Rémy Azemar juge arbitre adjoint des Internationaux de France et responsable du département arbitrage à la Fédération Française de Tennis nous explique les rouages de Roland.
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
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Intérêts multiples

"Tout le monde dans cette salle sait que le programme d'hier était mauvais. Le directeur du tournoi, les organisateurs ont pris la mauvaise décision". La semaine dernière, Rafael Nadal, septuple vainqueur Porte d'Auteuil a lancé un beau pavé dans la mare des organisateurs de Roland-Garros. "Ce n'est pas juste. Aujourd'hui j'ai passé presque trois heures sur le court alors que mon adversaire regardait tranquillement la télévision, ce n'est pas bien", a lancé l'Espagnol. C'était après de son deuxième tour contre le Slovaque Martin Klizan (4-6, 6-3, 6-3, 6-3). Ces déclarations ont mis la lumière sur la programmation d'un tel événement. La programmation justement, c'est son affaire. Julien Azemar, trentenaire travaille à la FFT depuis quelques années et c'est lui qui est chargé de pondre la programmation de la quinzaine. "Je ne suis pas tout seul à décider. Avec moi, il y a le juge-arbitre principal Stefan Fransson, le directeur du tournoi Gilbert Yserne, le directeur sportif Christophe Sagniez, le responsable médias qui est au courant des requêtes des télés, Michel Grache et les deux autres instances du tennis ATP et WTA qui sont nos relais sur le tournoi auprès des joueurs". Du monde autour de la table donc pour un joli casse-tête à régler. Et trois intérêts à défendre : "celui de la direction du tournoi qui émet des souhaits pour voir les meilleures affiches proposées, celui du public qui vient pour voir le meilleur spectacle possible et enfin celui des télés qui nous font part de leurs doléances pour qu'on puisse leurs proposer la meilleure grille de programmation".

Pourquoi le "Sunday start"?

Le tournoi de Roland-Garros est le seul Grand Chelem a débuté un dimanche. Une pratique qui date de 2006 et un choix que défend Rémy Azemar. Certains comme Roger Federer n'étaient pas très favorables à cette option mais depuis le Suisse a mis de l'eau dans son vin (il a d'ailleurs débuté dimanche contre le qualifié espagnol Pablo Carreno-Busta). "Les joueurs nous font part de leurs desiderata, mais le Sunday start est tributaire de ce qui se passe la semaine d'avant. Certains joueurs sont encore engagés sur des tournois, on ne peut donc pas les faire débuter le dimanche. Mais on est obligé de proposer des matches de choix pour le public qui va venir. Chaque année, on essaye de faire jouer des têtes de série, mais c'est vrai que ce n'est pas encore rentré dans les mœurs des joueurs. C'est le week-end, c'est bien pour les familles et le public. Et puis pour les télévisions aussi : on est à la maison, c'est une journée familiale. Il y a aussi un intérêt économique évident puisque c'est une journée supplémentaire. Mais ça permet aussi de lisser le premier tour sur 3 jours et non 2. Il y a 128 matches à jouer en 3 jours. On ne va pas revenir dessus pour l'instant, on a des discussions, mais ce n'est pas facile de le tenir. C'est la direction du tournoi qui se repenchera sur le sujet. Mais cette année, on a eu un super programme avec Roger Federer et Gilles Simon.

 

Merci la technique

Tous les matches de la quinzaine sont répertoriés et sont centralisés dans une petite salle située dans les travées du court Philippe Chatrier. Dans cette pièce, une dizaine d'écrans d'ordinateurs font face à une table où sont entreposés un clavier et une souris. Une réelle avancée selon Rémy Azemar. "Il y a une dizaine d'années, la programmation se faisait à la main. On avait des logiciels pour les tableaux mais pour la faire valider, on se réunissait dans la salle du comité. C'était plus archaïque. Les explications n'étaient pas forcément claires. Maintenant on a des applications qui nous facilitent le travail. Tout se décide dans cette salle. On a une palette, où tous les matches de tous les tableaux sont référencés. On saisit chaque paramètre sur tous les joueurs (même coach, souhait de terrain), on ne répond pas à tout évidemment, mais ça permet d'identifier, par exemple, ceux qui jouent sur le simple et le double. C'est beaucoup plus simple à expliquer car on peut faire des simulations, ou encore faire plusieurs programmations prévisionnelles".

La télé, un acteur à part entière

L'organisation des matches commencent bien avant le début de la quinzaine. "Dès qu'on a fait le tirage au sort des qualifications – qui débutent le mardi précédant l'ouverture officielle du tournoi – on essaye d'identifier qu'elle est la partie de tableau qui va ouvrir le dimanche et le lundi. C'est la première difficulté car cela peut concerner des joueurs qui sont encore engagés dans des tournois la semaine précédent Roland, ou des joueurs qui ont des pépins physiques. Le service médical nous fait remonter ces demandes, on les répertorie puis nous choisissons quelle partie de tableau débutera. Le tournoi est organisé comme cela : une journée c'est la première partie qui joue, l'autre la seconde". Une fois ce problème résolu, les télévisions entrent en jeu. "Elles attendent qu'on leurs propose la meilleure programmation possible. Avec toutes les télévisions présentes sur place, il y a 10000 choix possibles entre les diffuseurs européens, américains et asiatiques. Les télés chinoises et japonaises demandent de programmer leur joueur le plus tôt dans la journée afin que le public asiatique puisse en profiter pas trop tard. Pour les Américains et les Sud-Américains, c'est le plus tard possible. Quand un Français affronte un Japonais, ce n'est pas évident. On demande leurs doléances en général la veille pour le lendemain. Mais en première semaine, pour la programmation du mercredi, elles sont attendues le lundi soir. Et généralement, on rend officielle la programmation le mardi dans l'après-midi".

Les joueurs, quel poids?

Entre un Nadal ou un membre du Top 4 et un autre, les requêtes n'ont pas toujours le même poids. Mais le juge-arbitre adjoint et le comité sont habitués à jongler avec les demandes de chacun. "Les demandes de Nadal ont plus de poids, oui peut-être, mais les joueurs ont conscience de ce qu'est une programmation de Grand Chelem. Nous sommes tributaires de la météo. On essaye de respecter au plus près les temps de repos entre les joueurs, mais pour que la mayonnaise prenne au mieux, on ne peut pas figer le même programme sur le Lenglen et le Chatrier. On ne peut pas avoir des femmes en même temps et des hommes en même temps. Ainsi les télévisions peuvent alterner. Le joueur a tendance à voir son cas personnel, à se demander pourquoi moi et rejeter la faute sur la programmation. Mais en aucun cas, on défavorise le joueur. Après, ce sont eux qui sont sur le terrain et qui décident de leur sort. Les têtes de série sont faites pour qu'on retrouve les meilleurs en deuxième semaine. Mais il y a toujours des surprises, c'est ce qui pimente un tournoi de tennis".

La météo, un impondérable?

"L'aspect météo entre en jeu, évidemment. Ce n'est pas parce qu'on annonce de la pluie qu'on annule tout. L'inverse est aussi arrivé : on nous avait annoncé de la pluie et aucune goutte n'est tombée. Nous sommes au courant en temps réel de l'évolution de la météo. Le PC météo est juste derrière (la salle de programmation, ndlr). On connaît l'heure de l'arrivée de l'averse, sa durée, son intensité. Avec ça, on sait si l'on doit bâcher. Cela nous permet de nous organiser, de prévenir les arbitres et le personnel. Les joueurs peuvent également se retourner : aller dans les vestiaires ou déjeuner. On doit être super réactifs par rapport aux événements qui peuvent arriver dans la journée. Quand on a un temps capricieux et qu'on a beaucoup de matches, il faut qu'on puisse prévoir et voir quels matchs pourront être annulés et recasés dans la programmation du lendemain".

 

A qui le dernier mot?

"On essaye d'avoir un "mutual agreement". Ce n'est pas toujours facile. On ne dit pas toujours amen aux télévisions et on essaye d'avoir une distribution équitable entre les Français, pour qui c'est LE tournoi de l'année, et les têtes de série. On essaye d'avoir une balance équitable entre les deux stades. On n'a pas été frustré en première semaine. On reste soucieux des spectateurs qui ont des billets sur le Suzanne Lenglen. Dimanche dernier, les gens du Lenglen ont pu se sentir lésé mais c'était impossible de ne pas mettre le Federer-Simon sur le Chatrier. Et finalement, on a eu un super match sur le Lenglen (Robredo-Almagro, ndlr). On alterne entre la programmation et la gestion de la journée. Elles sont bien remplies, mais je touche du bois, on n'a pas eu de problèmes graves à régler. Hormis le temps…"

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