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Roland-Garros - Patrick Labazuy, responsable national paratennis : "En France, il y a encore tout à faire, tout à créer"

Intégré à la Fédération Française de tennis en 2017, le paratennis continue de se développer et de se professionnaliser dans l’Hexagone. Mais la France part de loin, comme nous l’explique Patrick Labazuy, responsable national du paratennis au sein de la FFT.
Article rédigé par Mathieu Aellen
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
  (AMELIE LAURIN)

Le paratennis a basculé dans le giron fédéral il y a maintenant deux ans. Qu’est ce que cela change concrètement pour les joueurs et joueuses ?

Patrick Labazuy : "Mon rôle au sein de la Fédération française de tennis (FFT), c’est d’être responsable national du paratennis, c'est-à-dire d’essayer d’avoir la meilleure équipe de France possible. Notre objectif, c’est surtout de préparer les athlètes comme Stéphane Houdet, Nicolas Peifer et Charlotte Famin dans les meilleures conditions et donc leur donner des moyens pour préparer les grandes échéances comme les tournois du Grand Chelem. Par exemple, on a signé une convention avec eux pour qu’ils viennent s’entraîner toute l’année au Centre National d’Entraînement de la FFT, à Paris. Les athlètes profitent de cette structure, c'est-à-dire d’un préparateur physique, d’un préparateur mental, de tous les services médicaux, d’entraineurs pour les accompagner et superviser leur projet. Avec un prize-money bien inférieur à celui des valides et donc un budget limité, l’objectif est d’être en complémentarité avec leur projet pour minimiser leur investissement, mais surtout leur donner une plus-value par rapport à notre savoir-faire qui est la formation, l’entrainement, et la performance.

On essaye également de développer et d’améliorer le fauteuil. En rapport avec cette professionnalisation, nous avons signé une convention avec Polytechnique en collaboration avec le LIFT (L’Institut de Formation du Tennis). L’objectif est d’essayer de travailler sur un futur fauteuil plus performant, comme l’a déjà fait Stéphane Houdet, dans la perspective des Jeux Olympiques de Paris. Il y a donc des ingénieurs qui travaillent sur ce fauteuil, pour améliorer le rolling, le poids, la vitesse de maniabilité, le confort. Plus le fauteuil sera performant, plus le joueur sera meilleur."

De nouveaux moyens et un objectif de professionnalisation qui s’accompagnent d’un soutien financier de la part de la Fédération ?

P.L. : "On a défini depuis deux ans des critères pour aider les joueurs financièrement. C’est ce qu’on appelle des conventions, établies entre le joueur, la Fédération et la Direction Technique Nationale (DTN), et qui permettent à l’heure actuelle d’aider trois joueurs (Stéphane Houdet, Nicolas Peifer et Frédéric Cattaneo) et deux joueuses (Charlotte Famin et Emmanuelle Morch). Cette aide, elle varie selon le classement des joueurs mais elle peut monter jusqu’à 20 000€. A coté de ça, nous les aidons avec une bourse individuelle de 9 000€ pour qu’ils soient accompagnés par un entraîneur toute l’année et qu’ils aient un suivi d’au moins six à sept tournois durant la saison. Cela équivaut donc à une aide qui peut aller jusqu’à 30 000€ pour les meilleurs, et d’environ 14 000€ pour ceux qui sont un peu moins haut en terme de classement."

Est-ce que ces nouvelles dispositions au niveau professionnel se répercutent sur la pratique en club et sur le nombre de licenciés ?

P.L. : "On ne sait pas encore actuellement. La DTN et la Fédération ont nommé des référents dispatchés sur les 14 régions de France, et dont le but est de référencer et recenser le nombre de pratiquants. On estime aujourd'hui le nombre de licenciés entre 320 et 350 personnes en fauteuil qui pratiquent le tennis, haut niveau inclus.

Comment se passe la détection aujourd'hui, comment aller chercher des jeunes pour les faire basculer dans la pratique du paratennis ?

P.L. : "Pour le tennis valide, on va chercher des joueurs dans les académies, dans les écoles de tennis, dans les tournois. Là, ce n’est pas du tout la même chose. Pour le développement et la détection dans le tennis fauteuil, nous allons dans des centres de rééducation ou dans des Instituts Médico-Éducatifs (IME). La détection marche beaucoup par le bouche à oreille pour le moment. Le but est d’essayer de créer un maillage très complet sur le réseau médical, c'est-à-dire qu’on ait des médecins, des kinésithérapeutes et des ostéopathes un petit peu partout en France qui puissent réseauter et nous faire remonter des informations sur des jeunes qui sont dans ces centres et ces IME. Ensuite, au niveau des clubs, les ligues achètent en général entre 5 et 10 fauteuils qu’ils dispatchent dans les clubs phares qui pratiquent le paratennis. Une personne en situation de handicap ne sera donc pas obligé d’investir un fauteuil, puisqu'elle en aura probablement déjà un dans un club pour essayer et s'initier à la pratique du paratennis."

On a dix ans de retard

Aller détecter ces joueurs à travers la France, créer ce maillage, cela demande des moyens humains et financiers.

P.L : "Pour l’instant, on manque aussi bien de moyens humains que de moyens financiers. Par exemple, on a deux personnes attitrées qui s’occupent de la détection pour les juniors, Frédéric Paternio chez les garçons et Claire Colson chez les filles. Leur objectif, c’est d’essayer de créer ce fameux maillage. Mais ils leur manquent l’essentiel, à savoir le temps. Ce sont des enseignants professionnels en club, pas des salariés de la FFT, et interviennent seulement en tant que vacataires. On s’appuie également beaucoup sur les référents, sur les CTR (Conseillers Techniques Régionaux) pour développer la pratique du tennis en fauteuil mais eux aussi un petit peu nouveau dans le système et ce n’est pas forcément une mission prioritaire pour eux.

Notre but aujourd’hui, c’est de sensibiliser et inciter toutes les équipes techniques ainsi que les présidents des ligues à faire évoluer la pratique du paratennis, à aller dans les centres de rééducation pour expliquer notre démarche. Beaucoup de joueurs nous échappent en s’orientant vers d’autres sports comme le basket, car ils sont bien meilleurs que nous dans cette démarche pour le moment. On a encore beaucoup de progrès à faire sur ce point là. La détection se fait encore un peu par le fruit du hasard, ce n’est pas quelque chose qui est planifié et encadré. La preuve, on organise un championnat de France à Dijon à la fin du mois de juin, avec seulement quatre juniors qui seront présents."

La génération dorée incarnée par Stéphane Houdet et Nicolas Peifer n'a donc pas encore trouvé de successeurs ?

P.L. : "Il ne s’est pas passé grand-chose avant dans la détection et dans la formation, ce qui fait que l’on n’a pas de relève. On a à peu près dix ans de retard sur des nations comme le Japon, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas. On a un budget qui est conséquent, mais insuffisant pour pouvoir développer le paratennis comme je le souhaiterais. Chez les valides, il y a un maillage qui est fait, des rassemblements, des enseignants professionnels, une équipe technique qui vont organiser des journées de détection qui permettent de choisir des joueurs via des tests physiques, tactiques, physiologiques… Dans le paratennis, il ne s’est encore rien passé de tout ça. Il y a tout à faire à ce niveau, tout à créer."

La perspective des Jeux Paralympiques de Paris en 2024 va-t-elle permettre d'accélérer ce processus de démocratisation et de professionnalisation du paratennis ?

P.L : "Avec Pierre Cherret, le DTN, et Bernard Giudicelli, le président de la Fédération, on essaye de surfer sur cette vague olympique. On prépare déjà Tokyo 2020, mais Paris 2024, c’est demain. Malheureusement, pour créer quelque chose de propre et de solide, je pense qu’il nous faudra une décennie. On va rattraper ce retard petit à petit car on investit de l’argent mais on est encore très loin du Japon, des Pays-Bas ou de l’Angleterre. A titre d’exemple, le budget attribué au paratennis avant les Jeux Olympiques de Londres était de 1,5 million d’euros. Nous, pour l’instant, c’est 160 000€, dix fois moins. On n’a que cinq ans pour préparer Paris mais j’espère que ces Jeux Paralympiques vont nous permettre de mettre des fondations fortes sur le tennis fauteuil."

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