Rugby, hand, basket, volley : Le huis clos, la solution de repli aux conséquences économiques dramatiques
En comparaison au printemps dernier, les clubs professionnels ont été autorisés à continuer leur activité et à maintenir leur championnat lors de ce deuxième confinement. Mais si les compétitions peuvent se poursuivre, les rencontres doivent se tenir obligatoirement à huis clos, confinement oblige. Si la situation permet au football de s’en sortir financièrement, étant donné que ses droits télévisés représentent entre 60 et 70% des budgets des clubs (même si le conflit avec Mediapro rend l'avenir incertain), d’autres en revanche en ressortent davantage pénalisés. C’est le cas du rugby, dont les droits télévisés ne dépassent pas les 20% contre 60 % pour les recettes billetterie, partenariats et hospitalités. Mais plus encore, pour le handball, dont les droits télés s’élèvent à seulement 4% et pour le volley et le basket qui n’ont, eux, aucun droit télé. Ces économies ont toutes en commun de reposer principalement sur la billetterie, les hospitalités et les partenariats le jour des matches, trois sources de revenus complètement à l’arrêt à cause du huis clos.
Alors pour toutes ces disciplines, la décision de maintenir ou non les championnats n’a pas été simple à prendre. “On n'a pas vraiment eu le choix. Dans la mesure où le ministère des Sports a dit que si nous décidions d'arrêter les compétitions, alors que le gouvernement avait donné son feu vert pour que les sportifs professionnels et de haut niveau puissent continuer à jouer, dans ce cas-là, nous n'aurions plus été éligibles aux aides en matière de chômage partiel”, se résigne Joël Delplanque, président de la Fédération française de handball (FFHandball).
La difficulté n’est pas tant de jouer à huis clos, mais bien de n’avoir pour l’heure aucune aide financière de l’Etat pour pallier aux pertes économiques du huis clos. “La difficulté est qu'on nous a dit qu’il fallait travailler mais en devant payer toutes les charges inhérentes à notre activité, sans aucune aide”, regrette Alain Aubard, le président du Limoges Handball. "On ne sait pas combien de temps on pourra tenir économiquement. Entre nous, on se dit qu'on a le choix entre la peste et le choléra”, ajoute Joël Delplanque.
Calendrier serré et besoin médiatique
C’est bien pour cela que la décision fut dure à trancher au sein de la Ligue nationale de volley (LNV). “Du point de vue économique, pour les matchs joués à huis clos, on sait qu’on ne les rattrapera pas. Sur les 14 clubs de la Ligue A masculine, 12 étaient favorables à une suspension des matches jusqu’au 1er décembre pour ensuite les reporter. Cela aurait permis de jouer avec l’espérance d’avoir du public dans les salles et de respecter ainsi les contrats avec nos partenaires et sponsors”, précise Pascal Lahousse, président du club de volley de Tourcoing.
Finalement, après consultation, la décision de poursuivre le championnat a été prise par le comité directeur de la Ligue. “Il fallait continuer à jouer. Le calendrier n’est pas extensible et l’incertitude est toujours aussi grande pour les prochains mois. Par ailleurs, la saison dernière a déjà été interrompue, il est alors compliqué de disparaître encore une fois du monde du sport pendant un temps indéterminé”, approfondit le président de la Ligue nationale de volley, Alain Griguer. Une raison défendue par les quatre fédérations. “On avait besoin de rester visible. Déjà que le sport n'est pas reconnu à sa juste valeur dans cette crise sanitaire. On est un peu les éternels oubliés. C'est pour cela qu’on voulait vraiment conserver cette visibilité, et continuer à exister malgré le confinement”, précise Nodjialem Myaro, présidente de la Ligue féminine de handball.
“Avec le huis clos, on perd 70% de notre chiffre d'affaires”
Les championnats professionnels se poursuivent donc, mais à quel prix ? Pour l'heure, que ce soit le rugby, le handball, le volley ou le basket, tous jouent à perte. “Avec le huis clos, on perd 70% de nos recettes. Et en face, on a toujours les charges sociales. Sans public, ni hospitalité et sans pouvoir tenir nos engagements auprès de nos partenaires, on est autour d’un manque à gagner de 400 000 euros par match”, estime Jean-François Fonteneau, le président du SU Agen. Ce que confirme Bernard Lemaître, le président du Rugby Club Toulonnais. “On perd 1 million d’euros par mois, sur un budget de 30 millions par an. Faites le calcul, c’est dramatique... ” L’inquiétude est aussi ressentie par le président du club de volley de Tourcoing, Pascal Lahousse. “A huis clos, selon les clubs, ce sont des pertes qui vont de 10 000 à 40 000 euros par match. Les budgets en Ligue A masculine oscillent, là encore suivant les clubs, entre 2,5 millions pour le plus gros et 1 million pour le plus petit. C’est énorme. Et cela remet en jeu l'existence du club sur le court terme.”
Si le rugby, le handball et le volley ont décidé de maintenir les championnats professionnels dans leur intégralité, le basket a lui décidé de suspendre partiellement les saisons de Jeep Elite et de Pro B en ne maintenant que les rencontres télévisées lors du mois de novembre afin d’honorer les engagements de la LNB avec ses diffuseurs. “Dans le cas où novembre et décembre seraient totalement neutralisés, on aurait encore six mois devant nous. Si on jouait tous les matchs à huis clos, les partenaires auraient pu demander à être remboursés. C’est pour cela que nous avons fait ce choix”, explique Dominique Juillot, le président de Élan Chalon.
Là encore, les estimations et les calculs montrent l’ampleur des dégâts. “Si je prends l’exemple d'un club qui doit organiser deux matchs à domicile à huis clos, la perte est de 150 000 à 200 000 euros par match, donc environ 400 000 par mois, et la compensation des charges sociales du gouvernement s’élève à 50 000 sur un mois. Ainsi, la perte sèche pour un club de Jeep Elite est de 350 000 sur un mois”, résume Jean-Pierre Siutat, le patron de la Fédération française de basket (FFBB). Là encore, les pertes économiques sont importantes sur un budget moyen en Jeep Elite de 5,5 millions d'euros par an.
Des aides hautement désirées
Voilà pourquoi, tous demandent des aides au gouvernement pour les soutenir, et vite. Car économiquement, les clubs sont au bord du gouffre, au point que certains imaginent déjà la fermeture de nombreux clubs. “Je pense qu'un certain nombre de clubs au-delà du 31 décembre ne pourront pas tenir. La situation des clubs est dans un état critique”, estime Bernard Lemaître, le président du RCT. “Ma plus grande crainte est d’arriver à une situation de cessation de paiement pour les clubs", s’inquiète Pascal Lahousse.
Alors que l’Etat avait largement soutenu le milieu du sport lors du premier confinement, cette fois les aides peinent à être débloquées. “Dans le cadre du plan de soutien global du secteur sportif, une enveloppe de 107 millions d’euros devrait permettre de compenser une partie des pertes de recette liée aux restrictions de jauge. Il est en cours d’examen par la Commission européenne. Par ailleurs, des dispositifs d’exonération de charges spécifiques sont actuellement à l’étude”, indiquait le 3 novembre dernier, le ministère des Sports. Le 7 novembre Roxana Maracineanu a d'ailleurs rappelé que ces aides étaient sur le point d'être finalisées. "Il y aura une répartition faite entre les sports en tenant compte de leur dépendance à la billetterie et de leur situation financière. Tout ça sera étudié au cas par cas. Les derniers arbitrages sont en cours au niveau de la Commission européenne pour avoir l’autorisation de distribuer ces fonds."
En attendant les clubs peinent de plus en plus à joindre les deux bouts. “C'est comme si on disait à un restaurateur de continuer à payer ses salariés, ses serveurs, ses produits, qu'il préparait ses repas, mais qu'il ne pouvait pas recevoir de client dans son restaurant”, compare Alain Aubard, président du club de handball de Limoges. Alors, tous aujourd’hui demandent à l’Etat des exonérations de charges sociales, et des compensations billetterie à la hauteur de leurs pertes. D’autres imaginent aussi une aide supplémentaire pour ne pas sombrer. ”Mettre en place un crédit d'impôt pour éviter qu'on ait à rembourser nos abonnés et nos partenaires me parait une idée simple à mettre en place et juste”, propose Alain Aubard.
“Je suis ahuri du peu de considération que l'on a pour le sport”
“J'espère que les aides seront à la hauteur de nos besoins afin qu'on ne mette pas quatre ou cinq ans à revenir au niveau d'avant le confinement, et qu'on se remette en marche rapidement en vue des JO”, espère Eric Tanguy, le président de la fédération française de volley (FFVB). Et l'attente avant les potentielles annonces agace sur le terrain. "On ne nous considère pas aussi touchés financièrement que les autres secteurs professionnels qui nous ressemblent, comme le spectacle par exemple”, regrette Dominique Juillot de l’Elan Chalon. “Sans aide, c'est intenable. Je suis ahuri du peu de considération que l'on a pour le sport. Comme si on était là seulement pour chanter la Marseillaise. On ne peut pas dire que le sport est essentiel à la santé publique, qu’il a toutes les vertus du monde et le jour où ça ne va pas, que personne ne soit là. Je ne peux pas croire ça”, s’insurge encore Dominique Juillot.
La peur de voir les partenaires quitter le navire
En plus des pertes financières, les clubs ont aussi la crainte de voir partir leurs partenaires, eux aussi en difficultés et sans l’exposition prévue initialement. Car si la plupart les ont soutenus lors du premier confinement, la situation de reconfinement et du huis clos pourrait être le coup de trop. “Quand les partenaires sont privés de l'exposition de leur produit, ils sont évidemment beaucoup moins enclins à continuer. On a déjà constaté une petite érosion à ce sujet. Si le championnat s'arrêtait ou s’il continuait à huis clos au-delà de la fin d’année, il y aurait une érosion très forte de cette partie de notre économie”, craint Bernard Lemaître, le président du RC Toulon. Sans parler des abonnés qui pourraient eux aussi jeter l’éponge.
Les inquiétudes sont donc nombreuses. Que ce soient les présidents de fédération, de Ligue ou de clubs, tous redoutent la fermeture de clubs si l’Etat ne vient pas rapidement les soutenir financièrement. Et déjà les craintes se transforment en réalité. “On a fait le compte avec les présidents de la fédération de handball et de basket", constate tristement Eric Tanguy, président de la fédération française de volley. "A nous trois, on a perdu entre 250 et 300 clubs.” Un constat sans appel.
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