Coupe du monde 2019 : "Si les Argentins n'ont pas réglé leurs problèmes en mêlée … ", Jérôme Cazalbou décrypte les enjeux de France-Argentine
On ne cesse de répéter que ce match sera déjà décisif pour la qualification dans la poule très relevée de l’équipe de France, où figure aussi l’Angleterre. Etes-vous de cet avis ?
Jérôme Cazalbou : "Effectivement, ce match revêt une importance capitale. D’abord parce que c’est le premier match de la Coupe du monde. Il va donner le ton pour la suite de la compétition d’autant qu’on affronte l’Argentine, et que tout le monde voit déjà un match à trois avec la France et l’Angleterre. Les gens pensent que les Anglais sont au-dessus du lot donc cette rencontre est logiquement considérée comme un huitième de finale. Mais il ne faut pas oublier pour autant les Etats-Unis et les Tonga. Ce sont deux équipes qui peuvent poser des problèmes. Elles pourraient très bien priver une ou plusieurs nations de bonus offensif par exemple, ce qui est parfois synonyme d’élimination dans le cas d’une triangulaire. Imaginons que l’Argentine batte l’Angleterre après une défaite contre la France. Les scénarios sont assez ouverts, donc ce match est crucial pour les Français, ne serait-ce que pour confirmer la qualité de leur préparation".
Frédéric Michalak a créé une petite polémique en disant qu’il ne voyait pas les Bleus en dessous du niveau des Pumas sur les derniers matches, avant de revenir sur sa position en disant que ce serait plutôt du 50/50. Vue la forme actuelle des deux équipes, qui a l’avantage sur le papier ?
JC : "On ne peut pas avoir d’avis tranché là-dessus car la préparation des deux équipes a été totalement différente. Les Argentins ont disputé une compétition officielle (le 4 nations) face à des grosses équipes. Ensuite, ils ont coupé pour reprendre leur préparation en vue du Mondial. La France elle, a fait l’inverse. Elle a d’abord eu une grosse période de préparation physique avant de jouer des matches amicaux moins difficiles. Prendre le constat purement mathématique du nombre de victoires sans tenir compte de l’opposition est donc réducteur. Il faut plutôt regarder la qualité du jeu argentin et sa progression depuis qu’ils ont intégré le Super Rugby, et bie sûr le niveau des Français lors des matches amicaux. Ce qui est clair, c’est qu’on a pu cibler les difficultés de l’Argentine en conquête, et essentiellement sur sa mêlée. Mais on peut penser que les entraîneurs argentins ont sûrement faire un gros travail dans ce secteur pendant la préparation".
Sur quels arguments l’équipe de France devra essentiellement s’appuyer pour dominer les Argentins dans le jeu ?
JC : "Il faut d’abord se servir de cette problématique de la mêlée argentine pour glaner des pénalités. On sait que la mêlée française a toujours été une référence. Après, les Français vont devoir réussir à supporter le rythme imposé par les Argentins, qui ont l’habitude de disputer des matches contre des équipes de l’hémisphère sud, avec un temps de jeu beaucoup plus importants que lorsque deux équipes de l’hémisphère nord s’affrontent. La discipline sera aussi essentielle : éviter de prendre des cartons, faire preuve de plus d’application par rapport à la règle, car on connaît la qualité des buteurs argentins. Il faudra respecter les fondamentaux. On a vu pendant les matches amicaux que des petites choses pouvaient faire la différence : une touche dominante, défaillante, de la qualité dans la continuité du jeu. Ça pourrait se jouer à pas grand-chose".
On sait que ce n’est jamais simple de rentrer dans une compétition comme la Coupe du monde. Selon-vous, faut-il s’attendre à un match fermé ou à une confrontation plus ouverte, avec de nombreux essais ?
JC : "Je pense qu’il y aura beaucoup de sérieux et d’application. Même si les Français ont montré durant les matches amicaux qu’ils avaient l’intention de développer un jeu plus complet, il y a de grandes chances pour qu’on voie dans un premier temps un une tactique d’occupation, et de pression, avant d’attaquer à tout-va. Il va aussi falloir prêter attention aux conditions climatiques. S’il y a des vents violents ou de fortes pluies, cela pourrait fausser complètement le jeu. Donc difficile de vraiment se prononcer sur ce point".
On sait que cette équipe argentine aura l’avantage de l’expérience, avec des joueurs qui ont l’habitude d’évoluer ensemble. Il y aura 13 Jaguares sur le terrain. Cela pourrait peser ?
JC : "Le fait d’avoir créé une franchise de super-rugby est à la fois une force et une faiblesse pour les Argentins. Ils ont des confrontations régulières avec ce qui se fait de mieux dans l’hémisphère sud, et ont forcément plus de repères communs. Mais ils ont également un calendrier très chargé, avec beaucoup de matches, et en doublant la quasi-totalité des joueurs avec l’équipe d’Argentine, on peut penser que cela engendre de la fatigue. C’est ce qui pourrait expliquer leurs mauvais résultats en fin de cycle international. Mais pour le Mondial, je pense que le XV argentin aura quand même eu le temps de récupérer de tous ces enchaînements".
À l’inverse, le XV tricolore est plus jeune et beaucoup moins expérimenté. Jacques Brunel a fait des choix forts pour ce premier match …
JC : "Oui, pour les Français, c’est totalement différent. Il y a eu beaucoup de changements depuis la dernière Coupe du monde, avec un nouveau staff, qui a changé en cours de route. Un turnover important avec pas mal de nouveaux joueurs arrivés lors du dernier VI Nations. Avec tous ces éléments, on sait que cette équipe va peut-être manquer d’expérience. Mais des choix ont aussi été faits, avec la volonté de privilégier des secondes lignes de métier par exemple. Il y a aussi beaucoup de polyvalence au niveau des trois-quarts, où le staff va pouvoir alterner les postes. C’est un choix qui, selon moi, va dans le sens ce qui se dit actuellement, c’est-à-dire que ce Mondial doit plus servir à préparer 2023 plutôt que d’avoir l’objectif fondamental de gagner cette année. Cela n’empêchera pas les Français d’essayer d’aller le plus loin le possible. La jeune génération doit aussi acquérir le plus d’expérience possible pour les échéances futures".
Quels joueurs faut-il craindre dans le XV des Pumas ? On parle beaucoup de Pablo Matera mais d’autres individualités se dégagent derrière lui.
JC : "Il y a beaucoup de qualité dans cette équipe. Nicolas Sanchez est un joueur précieux sur le côté de l’occupation. Jeronimo de la Fuente, le trois-quarts centre, est aussi à surveiller. C’est un des leaders de la ligne d’attaque. On connaît aussi l’agressivité de la seconde ligne argentine. Petti et Lavanini sont des joueurs de fort tempérament qui mettent énormément d’engagement dans tout ce qu’ils font, que ce soit le combat autour des mêlées spontanées, ou aussi les phases de plaquages qui peuvent être déterminantes pour libérer le ballon. Et bien sûr, il y a Pablo Matera. C’est un joueur qui symbolise l’état d’esprit argentin, cette grinta, avec la volonté de ne jamais rien lâcher (...) C’est vrai que les Argentins ont longtemps été connus pour avoir un gros pack et un 10, mais aujourd’hui avec des joueurs rapides comme de la Fuente, Moroni ou Moyano, c’est différent et c’est comme cela qu’ils ont pu exister en super-rugby".
La mêlée française a toujours été un atout de poids dans les grandes compétitions, alors que les Argentins connaissent des difficultés dans ce secteur de jeu. Est-ce qu’elle peut-être la clé de ce match ?
JC : "Si les Argentins n’ont pas réussi à régler ce problème de mêlée durant leur préparation, évidemment que ce sera un élément très important. Et normalement, si les Français dominent en mêlée, il y a de grandes chances pour qu’ils remportent la partie. En Angleterre, on dit souvent « no scrum, no win », ou « pas de victoire sans mêlée » et cela s’est souvent vérifié. Donc oui ça va forcément jouer, mais je ne vois pas comment les Argentins n'auraient pas travaillé ce secteur de jeu pendant deux mois".
Objectivement, quelle équipe voyez-vous remporter ce premier match ?
JC : "En étant très pragmatique, au vue des dernières performances, j’ai envie de dire que les Argentins restent les favoris. Il y a un an, le rapport était peut-être de 70-30 en faveur des Pumas. Aujourd’hui, il y a toujours cette petite marge d’avance pour les Argentins, mais je pense que ce rapport de force a largement diminué. Je pense que Français seront au contact durant toute la partie, et la victoire devrait se jouer à très peu de choses".
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