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Coupe du monde de rugby : Bryan Habana, l'"avorton" qui court plus vite qu'un Airbus

L'ailier sud-africain pourrait devenir, samedi, lors de la demi-finale face aux All Blacks, le joueur qui a inscrit le plus d'essais dans l'histoire du Mondial. Mais Bryan Habana n'est pas qu'une machine à marquer. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
L'ailier sud-africain Bryan Habana marque un essai lors du match de poules de la Coupe du monde de rugby contre les Etats-Unis, le 7 octobre 2015 à Londres (Royaume-Uni). (JAN HENDRIK KRUGER / GETTY IMAGES EUROPE)

S'il marque un essai contre la Nouvelle-Zélande, samedi 24 octobre, en demi-finale de la Coupe du monde de rugby, Bryan Habana deviendra le meilleur marqueur de l'histoire de l'épreuve. L'ailier sud-africain détient déjà le record du nombre d'essais inscrits sur un Mondial, en compagnie de Jonah Lomu. Si le colosse néo-zélandais est resté célèbre pour son physique dévastateur, Bryan Habana mérite aussi sa place dans le panthéon du rugby - il a déjà son entrée dans le Larousse des noms propres

"On m'appelait 'l'avorton' à l'école"

Pourtant, il n'était pas destiné à devenir l'une des plus grandes stars de la planète rugby. Déjà, à cause de son prénom, que son père a choisi en hommage au milieu de Manchester United, Bryan Robson. Un footballeur ! "Tu m'aurais simplifié la vie en me prénommant Brian, sans 'y'", a un jour lâché Bryan Habana à son père. Enfant, sa vie tourne exclusivement autour de... l'athlétisme. Entre 6 et 13 ans, il est invaincu sur 100 et 200 m. Les filles ? "On m'appelait 'l'avorton' à l'école. Jusqu'à mes 16 ou 17 ans, j'étais le plus petit de ma classe", se souvient l'ailier dans le Guardian. L'âge tendre ? Pas un si bon souvenir. "Dans la famille, on avait coutume de dire que mon frère avait hérité des muscles, ma sœur du cerveau, et que j'avais dû me contenter du reste."

Sa vie bascule quand son père, un homme d'affaires à succès, l'emmène dans un périple de 2 800 km pour aller assister à plusieurs matchs de la Coupe du monde de rugby, organisée par l'Afrique du Sud en 1995. Bryan Habana a 12 ans, et reste marqué par l'expérience : deux jours d'école séchés, des auto-stoppeurs embarqués au mépris de toute prudence, et son père qui conduit au-dessus des limitations de vitesse. Le goût de l'interdit. Sans oublier l'excitation de pourchasser Jonah Lomu jusque dans les toilettes de son hôtel pour un autographe et l'émotion de la victoire des Springboks en finale, assis sur les genoux de son père : "On avait deux places, mais le stade était plein à craquer." Du match, il ne garde que peu de souvenirs. L'embrassade de son père avec son voisin de tribune, un gros Afrikaner aux joues peintes aux couleurs du drapeau national, "qui a mis plein de peinture sur sa plus belle veste", raconte-t-il au Daily Mail. Et un petit drame : "J'avais perdu mon écharpe des Springboks en sortant du stade. J'étais furieux."

Le jour où il a failli dire "oui" à l'Australie

C'est décidé, Bryan Habana fera du rugby. Même s'il est métis et que les Springboks représentent, encore aujourd'hui, un sport d'Afrikaner. Sa famille est riche - "nous avions des femmes de ménage et des jardiniers" - et il est intégré dans l'une des meilleures écoles du pays. Ces mêmes écoles qui constituent le vivier des Boks. Pour son premier match, "l'avorton" évolue en équipe G - la plus mauvaise - au poste de demi de mêlée. Une réussite pour celui qui s'imposera en professionnel au poste d'ailier. "Le match d'après, j'étais dans l'équipe D. La semaine suivante, dans la B", se souvient ce surdoué, dans le Telegraph

En 2003, il a à peine 20 ans et deux sélections nationales se battent pour récupérer le prodige. L'Afrique du Sud, bien évidemment, et l'Australie, qui lui propose une naturalisation express, ce qu'elle a déjà fait avec l'ailier sud-africain Clyde Rathbone. "On s'est posé avec mon père, pour en discuter. Vous n'imaginez pas à quel point on est passé près de dire 'oui' à l'Australie", raconte Bryan Habana au Mail and Guardian. Son père, ancien joueur de rugby, banni par la fédération pour avoir assisté à un match des Springboks contre les Lions britanniques dans la partie du stade réservée aux Blancs, entretient des liens ambigus avec les autorités rugbystiques du pays.

Plus rapide qu'un A380, moins vif qu'un jaguar

Bryan Habana et son épouse posent avec Dingo lors d'une visite à Disneyland Paris, le 16 septembre 2007, à Marne-la-Vallée. (GALLO IMAGES / GETTY IMAGES EUROPE)

Une fois les Springboks choisis, Bryan Habana prend fait et cause pour son équipe. Les Noirs, qui préfèrent supporter les All Blacks plutôt qu'une équipe nationale en laquelle ils ne se reconnaissent pas ? "J'ai eu plein de discussions assez vives avec eux, confie-t-il à The Independent Online. L'apartheid est fini depuis vingt ans, je ne comprends pas que des parents transmettent ce rejet à leurs enfants." L'antilope qui figure sur le maillot, symbole de la mainmise des Afrikaners sur le sport ? "J'en suis fier", affirme Bryan Habana sur la BBC. L'afrikaans ? Il l'apprend, après un voyage en Namibie, "où le moindre panneau indicateur était dans cette langue que je ne comprenais pas", reconnaît-il dans Thought Leader. De toute façon, pour jouer chez les Boks, c'est indispensable. La communication sur le terrain se fait en afrikaans pour empêcher les adversaires de comprendre les combinaisons. 

Sur le terrain, Bryan Habana se distingue par sa pointe de vitesse. L'ancien sprinter a été chronométré en 10"2 au 100 m, un temps digne d'une demi-finale des Jeux olympiques. Lors de la Coupe du monde 2007, il inscrit huit essais en six matchs - record égalé - et joue un rôle prépondérant dans la victoire des Springboks au Stade de France contre l'Angleterre. Cette compétition transforme Bryan Habana en icône publicitaire : British Airways le fait courir contre un Airbus A380 pour vanter sa liaison Londres-Johannesburg (c'est le rugbyman qui gagne). 

L'ailier est également sollicité par les défenseurs des animaux pour affronter un guépard sur une ligne droite. Le buzz pour protéger cette espèce menacée fonctionne, mais à quel prix ! Des cascadeurs venus d'Hollywood accrochent un morceau de viande à une voiturette de golf pour pousser le félin à courir droit devant lui, sans mordre dans la cuisse de son concurrent, raconte CNN. Après une première manche serrée, le guépard remporte, sans appel, la revanche. 

Une coach visuelle qui l'a à l'œil

Mais l'arme secrète de Bryan Habana, ce sont ses yeux. L'ailier a travaillé d'arrache-pied avec la docteur Sherylle Calder, sa coach visuelle. Il est devenu un virtuose dans des exercices spécifiques comme envoyer au loin un ballon de rugby attaché à son bras par un élastique. En raison de sa forme ovale, il est difficile d'anticiper le rebond d'un ballon de rugby... sauf pour lui.

Après des heures d'entraînement, il parvient à attraper et renvoyer 118 fois le ballon en une minute. Son temps de réaction est de 18 centièmes de seconde quand un joueur moyen mettra trois fois plus de temps. Ce qui fait de Bryan Habana un joueur redoutable pour intercepter les passes adverses et filer à l'essai. Après son match contre les Etats-Unis, où il a aplati trois fois dans l'embut adverse, il tweete à sa coach : "Si j'avais fait plus de 'eye-gym', ça aurait même pu faire quatre essais." Elle lui répond aussitôt : "On n'en fait jamais assez."

Une chose est certaine : Bryan Habana ne rempilera pas pour la prochaine Coupe du monde au Japon, en 2019, - il aura alors 36 ans - "sauf éventuellement comme porteur de bagages", a ironisé le sélectionneur Heyneke Meyer. Son avenir s'inscrit quelque part entre le sud de la France, dont sa femme est originaire, et son Afrique du Sud natale. S'il a signé à Toulon, ce n'est pas uniquement à cause du gros chèque signé par Mourad Boudjellal, le président du club varois, mais grâce au soleil de la Côte d'Azur. "J'ai refusé des offres d'Angleterre et du pays de Galles à cause de leur météo", confie l'ailier.

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