Coupe du monde de rugby : dans le sillage d'un tirage au sort très précoce, une organisation contestée et appelée à évoluer
C’est peut-être le grand thème que l’on retiendra de la Coupe du monde. Alors que le week-end des finales se profile, c'est déjà l'heure de regarder en arrière et de faire le bilan. Tout au long de la compétition, de nombreuses critiques ont visé le format du Mondial, et surtout l’organisation du tirage au sort presque trois ans avant le match d’ouverture, qui a eu des conséquences sur le déroulé des matchs.
"Les cartes ont été mal distribuées", pose d’emblée Vincent Clerc, consultant pour France Télévisions. En trois ans, plusieurs équipes ont changé de dynamique, progressant parmi les meilleures, ou traversant des périodes compliquées et rétrogradant dans la hiérarchie mondiale. "Une équipe comme l’Ecosse, qui était cinquième nation mondiale au début de la Coupe du monde, s’est retrouvée dans une poule très relevée avec l’Irlande et l’Afrique du Sud."
Mais les effets du tirage au sort ne se sont pas arrêtés là et ont aussi déséquilibré le plateau de la phase finale, puisque les quatre meilleures nations mondiales (Irlande, Afrique du Sud, France et Nouvelle-Zélande, dans cet ordre au début du Mondial) se sont retrouvées dans la même partie de tableau, et donc adversaires dès les quarts. Inversement, des équipes moins cotées et qui ont envoyé moins de jeu, comme l’Angleterre et l’Argentine, ont pu progresser jusque dans le dernier carré.
Un effet pandémie
Le tirage au sort très anticipé n’est pas une nouveauté, puisque World Rugby a toujours fonctionné avec une répartition des poules plusieurs années avant le début de l’événement. Depuis son introduction pour l’édition 2007, le tirage au sort s’est déroulé en moyenne avec trente-trois mois (deux ans et trois quarts) d’avance. C'était le cas pour cette édition 2023, avec une répartition actée début décembre 2020 pour un match d'ouverture le 8 septembre 2023. Les justifications invoquées sont logistiques, pour faciliter l'organisation des pays et villes hôtes, avait expliqué Bill Beaumont, le président de World Rugby.
Avant ce Mondial, il a également fallu prendre en compte le contexte lié à la pandémie, tient à rappeler l'instance. "Il n’y avait aucune certitude sur la fin de la pandémie et la reprise du rugby international. Certaines équipes n’ont pas pu jouer de test-matchs pendant deux ans", fait remarquer World Rugby. Dans cet environnement, elle a utilisé des classements pris au sortir de la Coupe du monde 2019, "pour une plus grande équité". Soit quatre ans avant la prochaine édition, une petite éternité à l'échelle du sport.
Un tirage au sort reculé pour 2027
Avec l’évolution du rugby moderne et un rééquilibrage des puissances, ce fonctionnement ne convient plus. "Il y avait très peu de surprises par le passé, l’hémisphère sud dominait, et il y avait quelques surprises du côté de l’hémisphère nord", rembobine Vincent Clerc. Comprendre que, quels que soient le tirage au sort et le tableau, les Néo-Zélandais, Sud-Africains et Australiens (huit des neuf premiers titres à eux trois) arrivaient presque toujours à sortir leur épingle du jeu.
"Aujourd’hui, le Nord est en train de rattraper l’hémisphère sud, on voit une équipe australienne en difficulté, on a vu des All Blacks commencer à perdre des matchs, ça rebat les cartes. Il faut récompenser ces équipes qui gagnent."
Vincent Clerc, consultant rugby pour France Télévisionsà franceinfo: sport
La précocité du tirage a entraîné des regrets sur le plan sportif, au-delà de l’émotion, en France, de l’élimination des Bleus face aux Springboks. "On n’a pas eu des demi-finales au niveau des quarts de finale, à cause de ces quelques incohérences. Normalement, dans une Coupe du monde, ça monte en puissance, c’est peut-être le petit regret", grimace l'ancien international français.
World Rugby a entendu les critiques et amorcé un début de changement. L’instance avait déjà abordé le sujet lors d’une conférence de presse à Londres, fin avril 2023. "On utilise les classements mondiaux, ce qui est la meilleure représentation des forces et des faiblesses d'une équipe, mais ce choix peut devenir plus tard obsolète", reconnaissait alors le directeur général Alan Gilpin.
Cette semaine, l’instance a officialisé pour l'édition 2027 le passage de 20 à 24 équipes et un tirage au sort effectué vingt mois avant la Coupe du monde, en janvier 2026. Une petite progression, même si on reste loin du modèle du football et de ces grands tirages réalisés moins d'un an avant les tournois. Dans ce laps de temps se disputeront deux Tournois des six nations, deux Rugby Championships et la toute nouvelle Ligue des nations, lancée cette année-là. Malgré la réforme, les débats sur le tirage au sort risquent de se prolonger.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.