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Coupe du monde de rugby : non, la Roumanie n'a pas toujours été une petite équipe

Si les Bleus avaient joué contre les Roumains en Coupe du monde il y a trente ans, ils n'auraient pas forcément été les favoris du match. Retour sur l'histoire d'une équipe qui a fait trembler les plus grandes nations de l'Ovalie.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Mihai Macovei, troisième ligne et capitaine de l'équipe de Roumanie de rugby, lors d'un match contre le Japon, le 15 novembre 2014, à Bucarest. (ANDREEA ALEXANDRU/AP/SIPA / AP)

Les défenseurs de la "glorieuse incertitude du sport" s'offusqueront sûrement et brandiront, à raison, l'étonnante victoire du Japon contre l'Afrique du Sud. Mais ce n'est pas faire offense à la Roumanie que de miser sur sa défaite, ce soir du mercredi 23 septembre, face à la France, pour le deuxième tour de la phase de poule de la Coupe du monde de rugby. Marius Tincu, entraîneur des avants roumains, le reconnaît lui-même dans Midi Olympique (article payant) : "Je ne vais pas vous dire qu’on veut battre les Bleus. Nous voulons seulement faire un match plein (...). Si on prend une branlée, ça nous plomberait pour le reste de la compétition." 

Pourtant, les Roumains n'ont pas toujours été une vague équipe de deuxième catégorie, au jeu basique axé sur ses rugueux avants. Il fut même un temps où l'équipe de France redoutait les combinaisons des hommes à la tunique bleu-jaune-rouge.

Un club champion d'Europe

Pour flatter la fierté du coq français, on peut d'abord rappeler que c'est à Paris que des étudiants roumains ont découvert ce sport étrange, au début du XXe siècle. Ils l'ont ramené dans leur pays, où l'idée de mêler adresse et défi physique a vite fait des adeptes. D'après le Guardian (en anglais), le premier championnat roumain voit le jour en 1914 et le premier match des Chênes, le surnom de l'équipe de Roumanie, se solde, en 1919, par une défaite 48 à 5 contre l'équipe de France militaire. Le professeur français gardera d'ailleurs très longtemps un œil bienveillant sur son élève roumain. 

Le premier match entre la France et la Roumanie a eu lieu en 1919, mais les deux équipes se sont également croisées cinq ans plus tard, en 1924, lors des Jeux olympiques de Paris. (POPPERFOTO / POPPERFOTO / GETTYIMAGES)


Le rugby croît tranquillement dans les lycées de Roumanie, jusqu'à la période faste de l'après-guerre et du régime communiste. En 1960, première victoire contre la France 11-3 à Bucarest, puis en 1964, le club roumain du Grivita Rosie remporte la Coupe d'Europe des clubs champions (compétition qui n'aura vécu que quatre ans) en battant, en finale, Mont-de-Marsan, le club star de l'époque en France.

En 1965, à son arrivée à la tête du pays, Nicolae Ceausescu voit dans les succès du rugby roumain le moyen de démontrer la capacité du régime communiste à rivaliser avec les plus grandes nations mondiales, et décide d'investir dans ce sport. Alors que la quasi-totalité des rugbymen du monde sont amateurs, de nombreux joueurs roumains accèdent à un professionnalisme déguisé. Intégrés dans l'armée ou la police, dans les clubs du Dinamo et du Steaua Bucarest, ils passent en fait leur journée à s'entraîner.

Le XV de Roumanie en 1977, époque à laquelle les Chênes rivalisaient avec des nations majeures comme la France, l'Ecosse et le pays de Galles. (AFP)


D'abord centré sur la capitale, le maillage du rugby s'étend dans tout le pays : entre 60 et 70 clubs se disputent des championnats dont les niveaux sont de plus en plus élevés. Sans surprise, l'équipe nationale progresse vite et les tournées des grandes nations du rugby en Roumanie sont loin d'être des parties de plaisir. L'équipe de France, qui a l'habitude de s'arrêter à Bucarest pendant sa tournée d'automne, y est battue à cinq reprises entre 1968 et 1982.

"On est descendus bas, très bas"

Les années 1980 consacrent le statut de nation en devenir de la Roumanie : courte défaite contre les All Blacks en 1981 (14-6), victoire contre l'Ecosse en 1984 (28-22) et succès au pays de Galles en 1988 (15-9). Certains imaginent sans mal les Chênes intégrer le Tournoi des cinq nations (ce sera finalement l'Italie qui y parviendra en 2000). Un joueur roumain représentait alors l'excellence du jeu des Chênes : Florica Murariu, capitaine et troisième ligne de devoir.

Le 22 mai 1987, à Auckland (Nouvelle-Zélande), lors de la première Coupe du monde de rugby, les Roumains avaient battu le Zimbabwe 21 à 20. (GETTY IMAGES / GETTY IMAGES SPORT CLASSIC)

 

Ce dernier a d'ailleurs symbolisé le destin du rugby roumain jusque dans sa mort : en 1989, alors que le régime de Ceausescu s'effondre, Florica Murariu est abattu à un barrage routier par des militaires qui le prennent pour un "terroriste". La plupart des rugbymen professionnels fuient alors le pays pour partir jouer ailleurs, notamment en France. Mais ils répondent quand même à l'appel du maillot en 1990, et battent une dernière fois le XV de France, à Auch (12-6). On notera au passage que ce match offre sa première sélection au jeune... Philippe Saint-André, l'actuel sélectionneur des Bleus.

L'exode des pros roumains et la déliquescence des clubs finissent par faire leur œuvre. "On est descendus bas, très très bas", témoigne Romeo Gontineac, ancien joueur et sélectionneur de la Roumanie. Après 1995, l'apparition du professionnalisme dans les grandes nations du rugby vide définitivement le réservoir local. On ne compte bientôt plus que six clubs de haut niveau dans le pays. Les Chênes touchent le fond un soir de 2001, lorsque l'équipe d'Angleterre leur inflige un cinglant... 134-0.

Razvan Samuil est le capitaine de l'équipe de Roumanie qui a subi la plus lourde défaite de son histoire, le 17 novembre 2001 contre l'Angleterre, à Twickenham, près de Londres. (ADAM BUTLER/AP/SIPA / AP)

Le rêve d'un "Tournoi des huit nations"

La même année, à 16 ans, Valentin Ursache, actuel troisième ligne du XV de Roumanie et joueur d'Oyonnax en Top 14, découvre le rugby, sport devenu plus qu'anonyme. Devenu professionnel quatre ans plus tard, il fait face à la précarité du rugbyman dans son pays : "Mon salaire ? Quarante euros par mois et un appart', raconte-t-il à Midi Olympique. Franchement, je me demande comment je faisais pour manger."

Aujourd'hui, la situation s'est stabilisée. La Roumanie dispute fréquemment la première place du Championnat européen des nations, sorte de deuxième division du Tournoi des six nations. Pas suffisant pour Harlambie Dumitras, le président de la fédération, cité par L'Equipe : selon lui, le rugby roumain "manque de tout" et "de structures d'abord". Un nouveau stade va voir le jour à Bucarest, mais pour le remplir, "il faut des résultats, être plus crédibles, explique le dirigeant. Et pour être crédibles, il faut que l’on se mesure aux autres nations plus qu’une fois tous les quatre ans."

Lors de la Coupe du monde 2011 en Nouvelle-Zélande, malgré le soutien de ses supporters, le XV roumain n'avait pas réussi à remporter le moindre match, mais avait tout de même inquiété l'Ecosse, victorieuse 34-24. (MIKE HEWITT / GETTY IMAGES ASIAPAC)


Un appel du pied au grand frère français pour que le XV de France revienne jouer à Bucarest, lui qui n'a plus affronté les Chênes depuis 2006. Un moyen aussi de militer pour la création d'un "Tournoi des huit nations", intégrant la Roumanie et la Géorgie, l'autre pays de l'Est qui prétend à une reconnaissance internationale. Un "rêve ultime" qui peut prendre corps mercredi si les Roumains démontrent aux Français qu'ils ont le regard tourné vers l'avenir, et non plus vers leur glorieux passé.

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