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"Tu leur montres que tu existes, qu'il va falloir te passer dessus" : ils ont osé défier le haka des All Blacks

Coincée entre les hymnes et le coup d'envoi, la danse traditionnelle néo-zélandaise ne dure qu'une petite minute. Mais elle peut rester très longtemps dans la tête des adversaires.

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le XV de France pendant le haka des joueurs de Nouvelle-Zélande, le 6 octobre 2007, sur la pelouse du Millenium Stadium de Cardiff, au pays de Galles (Royaume-Uni). (ROSS LAND / AFP)

Imanol Harinordoquy replace une dernière fois son Elastoplast sur les oreilles, avant d'enrouler ses longues paluches autour des épaules de David Marty et de Jean-Baptiste Poux. Quelques secondes plus tard, les premières notes du haka néo-zélandais enveloppent le Millenium Stadium de Cardiff (pays de Galles), plein comme un œuf pour ce quart de finale de Coupe du monde de rugby"Ka Mate ! Ka Mate ! Ka Ora ! Ka Ora ! Tenei te ta ngata puhuru huruuuuuu !" Il est 20h57, ce 6 octobre 2007, et les Bleus s'apprêtent à piétiner allègrement l'une des règles de bienséance de la planète ovale. Oser, devant 71 699 spectateurs, défier les All Blacks pendant leur danse traditionnelle d'avant-match.

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Collés les uns aux autres comme un Carambar entre les dents, voilà les joueurs du XV de France qui s'avancent tout doucement. D'abord trois mètres, puis deux, puis un, puis… "On a quasiment fini front contre front, se souvient Imanol Harinordoquy, l'ancien troisième ligne tricolore. J'avais Byron Kelleher en face de moi. J'aurais presque pu sentir son souffle tellement on était proches." Au micro de TF1, le regretté Thierry Gilardi manque de s'étouffer devant le show : "L'équipe de France se rapprooooche, elle va quasiment au contact des joueurs néo-zélandais ! Le premier défi de ce quart de finaaaaale !" 

On connaît la suite : les Français finiront par terrasser les Blacks (20-18). Dans les colonnes de L'Equipe, le capitaine Raphaël Ibañez dira ceci : "En se mettant près d'eux, on voulait montrer qu'on était fiers des couleurs de notre pays."

Du rab de "Marseillaise"

Sans présager de l'attitude qu'adopteront les Anglais en demi-finale du Mondial, samedi 26 octobre, on peut quand même noter que les joueurs qui ont tenté "quelque chose" face au haka sont peu nombreux. Et que, étonnamment, ils sont surtout français. La première tentative de déstabilisation tricolore semble remonter au 15 novembre 1986. Ce soir-là, sur la pelouse de la Beaujoire à Nantes (Loire-Atlantique), les hommes de Jacques Fouroux viennent "se planter" devant les Blacks. "C'était ma première sélection avec les Bleus, raconte à franceinfo le pilier de l'époque Pascal Ondarts. Et voilà qu'on choisit d'aller fusiller du regard les gaillards néo-zed. Qu'est-ce que c'était impressionnant !" 

Sept mois plus tard, rebelote. Mais cette fois en finale de la toute première Coupe du monde de rugby de l'histoire. La bande à Ondarts refait le même coup en s'avançant en rang d'oignons. "C'était plus fort que nous, fallait qu'on réessaie", s'amuse l'emblématique pilier du Biarritz olympique. 

En 1999, c'est en poussant la chansonnette que les Français laissent les joueurs du Pacifique sans voix lors de la demi-finale de la Coupe du monde. Juste après le haka mais avant le coup d'envoi, ils restent squatter la pelouse de Twickenham... pour proposer au public du rab de Marseillaise. "C'était une séquence folle, se remémore le centre Richard Dourthe. On s'est mis à rechanter notre hymne national pendant quelques secondes. On était comme transportés."

Ce que les gens ne savent pas, c'est qu'on aura chanté trois fois la Marseillaise en dix minutes ce soir-là. Une première entre nous dans le vestiaire, une deuxième pour le protocole, et une troisième après le haka.

Richard Dourthe

à franceinfo

C'est aussi la technique employée par l'équipe de France féminine. "Cela dure une petite dizaine de secondes, pas plus, mais ça nous reconnecte à ce qui nous attend, détaille à franceinfo Lise Arricastre, pilier des Bleues qui a joué trois fois en un an contre les Néo-Zélandaises. Tu inverses les rôles, ce sont elles qui ne savent pas trop ce qu'il se passe." 

"C'était couillu"

Un an plus tard, le 11 novembre 2000, lors d'un test match au Stade de France, les Français tournent carrément le dos à des Blacks occupés à se taper les cuisses. En 2011, on peut parler de coup de grâce. Avant la finale de la Coupe du monde, les Tricolores se déploient sur la ligne médiane pour former le V de la victoire. "Faire ça, chez eux, dans leur stade d'Auckland, c'était couillu, reprend Imanol Harinordoquy. Ils semblaient perturbés. Ce n'était pas prévu dans leur protocole." 

Il y a aussi du flottement dans l'air, ce jour de novembre 2008, quand les Gallois refusent de se disperser après le haka, comme le veut pourtant la tradition. Sur les images, on voit les deux équipes immobiles, semblant jouer à une version rugbystique de "Je te tiens par la barbichette". C'est monsieur l'arbitre qui mettra à fin à ce malaise au bout de (tout de même) 1 minute 30.

En 1997 aussi, l'arbitre doit jouer les vigiles pour séparer l'Anglais Richard Cockerill et le Néo-Zélandais Norm Hewitt, qui ont décidé de la jouer "bisou-bisou" en plein haka. Un an après, les deux hommes seront aperçus en train de se lancer quelques pains à la sortie d'un taxi.

"Arrêter d'être spectateur"

Il suffit de s'être un jour frotté aux Blacks pour le comprendre. Contre eux, le combat physique commence dès le haka. Car si la danse ne dure officiellement qu'une petite minute, elle reste bien plus longtemps dans les têtes. "C'est clair que ça les galvanise", répète en boucle Pascal Ondarts. "Ils sont là, face à toi, langue sortie et yeux grands ouverts, enchaîne Richard Dourthe. Il y a une panique qui s'installe de fait." 

Le haka est quelque chose qu'on subit, on ne te demande pas ton avis. Tu es toujours impuissant face à lui, tu ne sais même pas où mettre tes mains.

Imanol Harinordoquy

à franceinfo

Pour Imanol Harinordoquy, il est "évident" que les Néo-Zélandais "prennent un avantage psychologique". Alors "en arrêtant d'être spectateur, tu leur montres que tu existes, qu'il va falloir te passer dessus". Richard Dourthe ne dit pas autre chose. "Avant d'avoir touché le moindre ballon, tout le monde te voit déjà broyé haché menu, fait remarquer celui que l'on surnommait "Le chameau". L'objectif, c'est donc de laisser retomber la pression du haka, de faire redescendre leur fureur, de les calmer, de transformer cette peur en excitation et cette excitation en force."

C'est d'ailleurs pour cette raison que Cédric Soulette a choisi de former une sorte de tube avec ses mains en 1999. "C'était une manière d'absorber toute cette énergie qui nous était offerte par leur haka", décrit le pilier tricolore, grand artisan de la qualification des Bleus pour la finale de Coupe du monde, ce soir-là.

Des décisions "plus ou moins à l'arrache" 

Dans les faits, il n'y a pas de guide de bonne conduite face au haka. D'ailleurs, aucune équipe de France, quelle que soit la génération, n'est allée jusqu'à faire un PowerPoint pour peaufiner sa stratégie d'avant-match. Globalement, tout semble avoir été fait "plus ou moins à l'arrache". En 1999, le coup de la Marseillaise a été validé le jour même. En 1986, ça s'est joué un quart d'heure avant. C'est peut-être en 2007 qu'il y a eu le plus de préparation pour mettre en place la ligne bleu-blanc-rouge. "On s'est décidés trois jours avant, précise Imanol Harinordoquy. On en a discuté dans la salle de kiné, après le déjeuner, et voilà, c'était parti." 

Il n'y a pas eu de vote à main levée ou de sondage. Il n'y avait pas les pour ou les contre. C'était tout le monde ou personne.

Imanol Harinordoquy

à franceinfo

Le plus dur est peut-être de garder tout cela secret. "En 2011, les journalistes ont tenté par tous les moyens de savoir ce qu'on préparait pour le haka de la finale, se marre Imanol Harinordoquy. Mais on a tenu bon et on n'a rien lâché." Gare aussi à certains adversaires qui se trouvent être vos coéquipiers en club. C'était le cas de Luke McAlister, son partenaire d'alors au Stade toulousain à partir de 2014.

Le XV de France pendant le haka des joueurs de Nouvelle-Zélande, le 23 octobre 2011, sur la pelouse de l'Eden Park Stadium d'Auckland (Nouvelle-Zélande). (GABRIEL BOUYS / AFP)

"Montrer ses fesses"

Évidemment, dans l'euphorie d'un match contre les mythiques All Blacks, les idées fusent à la vitesse d'une touche bien trouvée. La plupart des initiatives ne passent pas la porte du vestiaire et c'est aussi bien comme ça. "Je ne vous dirai pas qui, mais en 2007, un gars de l'équipe voulait qu'on montre nos fesses, rigole Imanol Harinordoquy. Un autre voulait qu'on fasse une danse joyeuse… Mais pffff, ça n'était pas envisageable une seconde !" Dans la mesure du possible, mieux vaut en effet éviter l'incident diplomatique. Comme cette fois en 1997, où les Spice Girls ont repris le Ka-Maté dans une discothèque de Bali (Indonésie), entourées de rugbymen amateurs. Heureusement pour tout le monde, il n'existe pas de vidéo de l'incident, juste quelques photos.

Pascal Ondarts a regretté "dès le soir même" d'avoir "joué" avec le haka. "C'est leur truc à eux, il ne faut pas toucher à ça, c'est sacré, point barre !" Depuis, il se repent de sa "faute" en faisant le signe de croix dès que les Blacks entrent sur un terrain.

Tous les internationaux que franceinfo a interrogés sont pourtant sur la même ligne : O.K. pour chatouiller le haka néo-zélandais… mais toujours dans le RES-PECT ! "C'est clair que tu ne peux pas faire n'importe quoi, insiste Richard Dourthe. Tu ne peux pas te moquer, tu ne peux pas les parodier. A l'époque, on s'était vraiment attachés à trouver quelque chose d'acceptable car c'est une tradition très importante chez eux. Il ne faut pas passer pour des idiots."

Si tu les prends pour des cons, tu perds sur toute la ligne. C'est toi qui passes pour le mec ridicule.

Richard Dourthe

à franceinfo

A "jouer au gros malin", il y a aussi et surtout le risque de les énerver encore un peu plus. Car "il y a quand même 80 minutes à jouer derrière". Jusqu'ici, quand ils ont réagi au haka, les Bleus ont souvent fini par gagner. A la louche, Cédric Soulette "pense que ça fait partie de 7 ou 8% de la victoire finale. Mais pas plus." Douze ans plus tard, Imanol Harinordoquy continue de penser que "c'est surtout une histoire de bataille psychologique". Autrement dit, "il se passe quoi si tu réponds au haka et que tu prends 50 points derrière ? Bah c'est la honte. Tu passes pour une truffe, et pour toujours."

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