Ecosse-France : on vous explique le "carton orange", cette nouveauté qui vise à fluidifier l'arbitrage des matchs de rugby
Parce que le rugby est un sport mouvant en recherche perpétuelle de nouvelles règles, il faudra rapidement se faire à cette subtilité. À l'initiative de World Rugby, un "carton orange" va être mis en place lors des matchs de préparation à la Coupe du monde en France. Les Bleus pourraient possiblement en recevoir pour la première fois lors de leur déplacement en Ecosse, samedi 5 août à 16h15.
"On croise les doigts pour ne pas y être confrontés", a souri en conférence de presse Jérôme Garcès, consultant à l'arbitrage auprès de l'équipe de France. Pourquoi cet ajustement à l'arbitrage, potentiellement utilisé lors de la Coupe du monde (8 septembre-28 octobre) suscite-t-il tant d'appréhensions ?
Trahissons d'emblée le secret : aucun "carton orange" ne sortira formellement de la poche des arbitres. Il s'agit d'une forme imagée, utilisée par le patron des arbitres Joël Jutge pour décrire ce nouveau processus, à mi-chemin entre le carton jaune et rouge. Concrètement, en cas de litige sur le degré de sanction dans des situations de jeu déloyal, l'arbitre brandit un carton jaune... qui peut virer au rouge dans les 10 minutes lors desquelles le joueur sanctionné est sur la touche.
Huit minutes pour décider
"L'objectif est d'accélérer le jeu tout en contribuant à la précision de la prise de décision", explique dans une vidéo Stuart Berry, consultant à l'arbitrage vidéo pour World Rugby. Exit, donc, les appels interminables à l'assistance technologique nuisibles au rythme des rencontres. Le corps arbitral se concentre ici sur "un petit nombre d'images", suffisant à déterminer "si le seuil minimum du carton jaune a été atteint". Le dispositif est enclenché lorsque l'arbitre accompagne son carton jaune d'un signe de croix avec ses bras.
Il laisse ensuite la main à d'autres juges – différents de l'arbitre vidéo – placés dans un "bunker" et chargés d'analyser spécifiquement ces images, à l'aide de la technologie Hawk-Eye utilisée au tennis. Détail important pour s'épargner de vaines polémiques, celles-ci sont fournies par une réalisation indépendante, et non par le pays hôte de la rencontre. Au bout de huit minutes d'analyse, les arbitres bunkérisés livrent leur verdict à l'homme en noir. Si la sanction est aggravée, l'arbitre central en avertit le capitaine et brandit son carton rouge vers le banc de touche.
"C'est un pas en avant", a commenté vendredi l'Anglais Freddie Steward. Lors du dernier Tournoi des six nations, son carton rouge contre l'Irlande (voir vidéo ci-dessous) a été annulé ultérieurement en commission de discipline, dans une affaire très médiatisée outre-Manche. "Si la mauvaise décision est prise, cela donne l'occasion de la corriger, a-t-il poursuivi. Et lorsque la décision met 5 ou 10 minutes à arriver, cette pause n'est bonne ni pour les joueurs, ni pour les spectateurs."
Testé lors du Mondial U20
Avant d'être introduit au niveau international, le bunker a été testé pendant la Coupe du monde U20, remportée par les Bleuets, et, sous une forme légèrement différente, lors du dernier Super Rugby. "Je trouve que c'est une bonne chose, l'arbitre peut se tromper et certains rouges ne le méritent pas forcément", juge Esteban Capilla, troisième ligne directement confronté au nouveau processus lors de ce Mondial. Lors du match contre le pays de Galles (43-19), il a vu le carton jaune du talonneur Barnabé Massa virer au rouge. "Honnêtement, je pensais qu'il allait re-rentrer", rejoue le Bayonnais.
"C'est compliqué à gérer, car tu es déjà pénalisé sur le carton jaune, et là, c'est presque comme un deuxième coup."
Esteban Capilla, international français U20à franceinfo: sport
Soumis en première ligne, les joueurs modifient-ils leur appréhension de l'engagement en se sachant sous le joug d'une sanction écarlate ? "Inconsciemment, ça joue, acquiesce Esteban Capilla. Quand tu sors sur le banc, la saveur du carton jaune est totalement différente." Les sanctionnés en sursis se laissent aussi la latitude d'échanger avec leur staff qui décortique les images en même temps que le "bunker".
Les arbitres déresponsabilisés ?
"De mon côté, je vais pouvoir donner une réponse plus rapide à mes collègues en voyant les images : "Attention, le jaune va devenir rouge"", a ainsi prévenu Jérôme Garcès. L'encadrement pourra ainsi adapter la réorganisation tactique sur le terrain en fonction de ce premier avis. De leur côté, les arbitres seront-ils moins enclins à brandir la sanction suprême ?
Dans une interview à Midi Olympique [article réservé aux abonnés] en avril, avant que les premières pierres du "bunker" ne soient posées, Joël Jutge prédisait "la fin des cartons rouges distribués par les arbitres centraux" et craignait, tout en leur faisant "peser moins de pression", une "déresponsabilisation". "C'est juste humain, personne ne va prendre le risque de se tromper, développait-il. Sauf qu'à l'heure où la priorité de World Rugby est de faire passer la sécurité du joueur avant tout [...], je ne suis pas sûr que ce soit un bon message."
Entre-temps, le "bunker" a suivi son cours et continue de figurer au rang des expérimentations lors des test-matchs estivaux. Si celles-ci s'avèrent positives, il pourrait être utilisé lors de la Coupe du monde, en attendant une éventuelle introduction lors des compétitions domestiques. Samedi, le match à Murrayfield pourrait offrir un premier cas pratique : lors des cinq derniers France-Ecosse, quatre cartons rouges directs ont été brandis.
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